Joaquin Phoenix, un acteur surdoué pour les rôles d’écorché vif
crédit photo : film4 interview speciale Joker

Joaquin Phoenix, un acteur surdoué pour les rôles d’écorché vif

Joaquin Phoenix a été présenté, en 2020, par le NewYork Times comme l’un des plus grands acteurs du 21ème siècle. Les critiques cinéphiles l’ont mis en lumière avec sept prix prestigieux du meilleur acteur, dont un Oscar du cinéma pour son rôle de Joker en 2020, deux Golden Globe Awards, un BAFTA et un LAFCA, une palme d’or au Festival de Cannes et à la Mostra de Venise, ainsi que 13 nominations. Ces récompenses concernaient les films  Walk the line, the Master, A beautiful day et Joker. Il joue dans des séries depuis l’enfance mais c’est depuis son apparition en tant que second rôle dans le film de Ridley Scott, Gladiator, que sa visibilité explose aux yeux du grand public.

Quelle est donc la spécificité de Joaquin Phoenix qui le rend unique ? C’est la réponse à cette question que je vous propose de rechercher tout au long de cet article.


Joaquin Phoenix, l’écorché vif

crédit photographique : wikipedia

Les humains, en tant qu’êtres sociaux, utilisent de manière presque continue et depuis l’enfance des masques pour chaque situation rencontrée : un pour les enfants, un pour les parents, un ou plusieurs pour les collègues selon leur statut de pouvoir, un pour les occasions spéciales (soirée, commémoration, fête, enterrement, etc.), un pour les clients, etc.

Ce jeu social est parfois tellement lourd à supporter que la recherche de personnes (amis, confidents, coachs, etc.) avec lesquelles il est possible d’être soi-même, de faire et dire sans retenue ni peur des regards désapprobateurs ou indignés devient presque vital pour un certain nombre d’entre eux.

Cette authenticité libératoire est également recherchée par les personnes qui s’adonnent au travail de développement personnel. Ainsi, la démarche commune est de faire converger dans la mesure du possible l’image reflétée par les autres avec celle que les humains ont d’eux-mêmes.

Et le jeu d’acteur est à total contre-sens de cette démarche : l’acteur rejette ce qu’il est pour endosser la peau d’un autre qui vit dans un autre contexte, un autre lieu géographique, une autre époque et avec des idées et convictions qui ne sont pas les siennes… et le tout de manière crédible et donc authentique !

Cela ne peut être logiquement possible que si le personnage endossé ressemble par des traits fondamentaux à l’acteur lui-même, et c’est aussi pour cela que chaque acteur a un type de personnage de prédilection. Il suffit donc d’analyser le type de personnage récompensé par la critique cinéphile pour trouver ces traits fondamentaux.


Commençons pas le premier rôle de Joaquin Phoenix, celui qui a fait exploser sa visibilité auprès du grand public et valu une nomination pour le meilleur second rôle, celui de Commode dans le film Gladiator de Ridley Scott sorti au cinéma en 2000.

crédit photo : film Gladiator

Joaquin joue le rôle du fils unique de César, Commode, rejeté par son père car il n’a pas les qualités requises pour devenir empereur selon ce dernier. C’est Maximus, général héroïque et idéaliste, qui est choisi à sa place. La scène dans laquelle César lui annonce la nouvelle destructrice est particulièrement caractéristique de son talent d’acteur : Commode, transformé en assassin ambitieux, tue César et reprend le pouvoir d’une manière éprouvante pour nos émotions de spectateur. Le rôle de méchant se confirme par la suite : il est l’anti-thèse de Maximus : manipulateur, pervers, lâche, etc.

Dans cette scène, Joaquin Phoenix, en proie à une grande souffrance liée à un rejet permanent de la part d’un père absent et considéré comme l’un des hommes les plus puissants de la planète à cette époque, accuse le coup une première fois avec une attitude digne (il a les yeux brillants de larmes contenues et son visage se tord pour retenir des secousses de douleur). Il entend ensuite les explications de son père qui prend le blâme en avouant que ses échecs de fils sont dus à ses propres défaillances de père : César le dédouane en quelque sorte et se montre particulièrement vulnérable, en position basse et visiblement affaibli par son grand âge. Et là, Joaquin implose psychologiquement, l’embrasse en lui prenant la tête entre ses mains et l’étouffe sans remords en murmurant « Père, j’aurais massacré le monde entier, si seulement tu m’avais aimé. ».

Cette scène (et c’est un petit clin d’oeil à Blade Runner 1982, autre film de Ridley Scott dans laquelle le réplicant Roy tue son créateur de la même manière), symbolique car elle représente une passation de pouvoir sauvage entre père et fils, révèle l’assassin dans toute sa faiblesse d’enfant rejeté, privé d’amour paternel et régulièrement rabaissé : la sœur de Commode, Lucilla, aurait été un parfait empereur si elle était née homme et Maximus  est le fils que César aurait voulu avoir.

Cette scène est troublante car elle secoue notre corde émotionnelle empathique pour nous renvoyer vers nos peurs enfantines, cherchant sans cesse des preuves de l’amour inconditionnel de nos parents pour grandir et nous épanouir.


crédit photo : film Napoléon

Cette capacité à malmener nos cordes émotionnelles est parfaitement traduite par le commentaire de Ridley Scott expliquant son choix pour incarner le personnage de Napoléon, son prochain film qui sortira sur les écrans de cinéma le 22 novembre 2023 et sur Apple TV+ dix-huit mois plus tard sans doute : «c’est le meilleur acteur pour des rôles de personnages cabossés par la vie».


C’est effectivement cette caractéristique d’écorché vif commune aux deux personnages qui rend sa performance authentique : Joaquin n’est pas Commode et loin s’en faut, mais ils partagent cette souffrance commune que l’un transcende dans son jeu d’acteur et l’autre dans sa perversion envers sa sœur et Maximus. En effet, le réalisateur James Gray dit de Joaquin : « Il est en fait très tendre, doux et sensible. C’est presque comme s’il canalisait son intensité dans les personnages. Comme si l’oeuvre était un exutoire pour son côté sombre. ». Cela est confirmé par un commentaire qui le dépeint comme « doucement troublant et infiniment vulnérable » dans un autre rôle.



Joaquin Phoenix, le virtuose de l’improvisation

crédit photo : film Joker

Joaquin a reçu des récompenses prestigieuses pour son rôle d’Arthur Fleck dans le film Joker réalisé en 2020 par Todd Phillips. Ce film montre la naissance difficile et impressionnante de Joker, l’ennemi juré de Batman dans la ville de Gotham City à partir d’un triste personnage ordinaire et atteint d’une maladie socialement pénalisante.

On voit là le terreau favorable au jeu d’acteur de Joaquin en tant qu’écorché vif. Mais son talent va au-delà de cette caractéristique et c’est là que son talent unique se révèle : l’improvisation et la co-construction du personnage d’Arthur/Joker.

En effet, le réalisateur Todd Phillips s’est entièrement reposé sur Joaquin en ce qui concerne la manière d’interpréter le rôle d’Arthur/Joker : « Nous n’avons jamais parlé spécifiquement de ce qu’il allait faire. Tout ce dont nous avons parlé, c’est du script, de l’histoire et du personnage. Nous n’avons jamais parlé de la manière dont cela serait exécuté.»

L’improvisation est l’ingrédient clé qui donne à Joker son côté fascinant et effrayant : Joaquin l’a fait réellement naître devant la caméra par de nombreux essais improvisés jusqu’à l’obtention de scènes émotionnellement stressantes. Les producteurs convergent dans cette analyse en confiant les propos suivants : « Il [Joaquin] ne rentre dans aucune case. » ou encore « Cela ne ressemble en rien à ce que j’ai pu voir jusqu’à présent. Il est tellement dans son personnage. Il est plein d’idées magnifiquement inspirantes. »

On peut donc affirmer que Joker est l’oeuvre de Todd Phillips et Joaquin Phoenix !



Joaquin Phoenix, un acteur à l’ADN unique

En résumé, la synergie entre la capacité stressante à solliciter les cordes émotionnelles du spectateur et celle de co-construction du personnage endossé grâce à une improvisation virtuose, contribue à donner au film une empreinte émotionnelle spécifique. Joker en est un exemple frappant : la combinaison Phillips/Phoenix a conduit à un film explosif et unique.

crédit photo : film We own the night

A la question : « En quoi Joaquin Phoenix est-il un acteur talentueux et unique? » je répondrai sans hésiter : parce qu’il fait naître de manière authentique et douloureuse ses personnages devant la caméra  de manière similaire à l’accouchement d’un bébé dans le vrai monde.

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