Kaja Kallas: «On ne doit pas laisser de porte de sortie à Poutine»


Isabelle Lasserre

Le Figaro

18/05/2022


ENTRETIEN - Selon la première ministre d’Estonie, dialoguer avec le président russe est vain et la solution à la guerre en Ukraine ne peut être «que militaire».

LE FIGARO. - Après l’unité du début de la guerre, l’Union européenne paraît à nouveau divisée entre Est et Ouest sur l’attitude à avoir vis-à-vis de la Russie et sur la nature de l’aide à apporter à l’Ukraine…

Kaja KALLAS. - Certes, il existe différentes opinions, mais je pense qu’il faut mettre l’accent sur l’unité que nous avons réussi à créer. Quand nous sommes divisés, nous sommes faibles et nous servons les intérêts de la Russie.

Il est normal que les grandes démocraties comme l’Allemagne et la France mettent plus longtemps pour arriver là où, par exemple, les petits pays Baltes sont arrivés. Je sais que vos pays ont besoin de temps pour obtenir un consensus et je me félicite de la décision importante de l’Allemagne de pousser son budget défense à plus de 2 % du PIB… Le problème, c’est que l’Ukraine n’a pas ce temps.

Emmanuel Macron doit-il selon vous continuer à parler à Vladimir Poutine?

Les échanges téléphoniques n’ont rien donné. À Boutcha, nous avons découvert des signes clairs de génocide. Vladimir Poutine est pour moi un criminel de guerre et je ne vois aucune raison de lui parler. On dit qu’il faut montrer à Vladimir Poutine qu’il est isolé ; si on lui parle tout le temps, il ne se sentira pas isolé mais plutôt au centre du monde.

Pensez-vous que l’Union européenne doit tenir davantage compte de la position des pays de l’Est en matière de politique étrangère?

Je pense qu’il ne faut plus parler d’Est et d’Ouest et que tout le monde doit être assis à la table avec les mêmes droits. Ces droits, nous les avons tous. Je regrette qu’aucun des nouveaux États membres ne soit représenté au niveau des plus hauts postes de responsabilité… Mais depuis le 24 février, je remarque qu’on nous écoute plus qu’avant. C’est une bonne chose, car notre expérience avec la Russie - cinquante ans d’occupation - fait que nous connaissons bien le mode de fonctionnement des Russes.

Si la Russie n’est pas arrêtée, qui sera la prochaine cible dans la région? Vous? La Pologne? La Transnistrie?

Il n’y aura pas de prochaine cible. Nous n’avons pas d’autre choix que d’arrêter la guerre et de punir les agresseurs et tous ceux qui sont responsables de crimes de guerre. Si nous acceptons un retour du «business as usual», la guerre reprendra après une pause d’un ou deux ans.

On ne doit pas proposer de porte de sortie à Vladimir Poutine, car ce serait pour lui un message clair qu’il peut recommencer. La solution ne peut être que militaire. L’Ukraine doit gagner cette guerre. Comme le disait récemment le ministre ukrainien des affaires étrangères, Dmytro Kuleba, si la Russie arrête de combattre, il y aura la paix. Mais si l’Ukraine arrête de combattre, il n’y aura plus d’Ukraine.

L’Europe est-elle au niveau des enjeux?

Elle a réagi vite et de manière unifiée. Mais plus la guerre dure, plus il est difficile de garder cette unité. L’Europe, ce n’est pas seulement un espace géographique, c’est aussi des valeurs. C’est pour les valeurs européennes, la liberté, la démocratie, la souveraineté, que les Ukrainiens se battent. L’Europe doit montrer qu’elle protège aussi ces valeurs qui sont les siennes.

Assistons-nous au retour de la guerre froide? Avec un nouveau rideau de fer séparant le monde «libre» du monde autocrate?

Cette division n’a jamais disparu en réalité. Pendant la crise du Covid, on a ainsi d’abord cru que les autocraties réussissaient mieux que les démocraties, car il était plus facile pour elles d’imposer des mesures autoritaires à leurs populations. Je parle d’expérience, pour avoir vécu en URSS, dont l’idéologie avait étouffé tous les droits, les droits individuels comme ceux de la propriété privée.

Mais aujourd’hui, on s’aperçoit que les démocraties ont finalement beaucoup mieux géré la crise du Covid que les autocraties, même si elles ont parfois été plus longues à réagir, car le consensus prend plus de temps. Cette guerre de la tyrannie contre la liberté persiste depuis la guerre froide et elle est évidente aujourd’hui. J’ai parfois l’impression que la guerre en Ukraine est un résumé de notre propre histoire. Quand certains affirment que la paix doit être le but, cela me fait penser à l’occupation soviétique après la guerre froide. Nous avions la paix, ça oui. Mais une paix accompagnée de meurtres, d’atrocités, de répression. Ma famille a été déportée en Sibérie. Je n’ai aucun doute que c’est ce qu’il se passera en Ukraine si l’on exige la paix à tout prix.

Il y a des gens qu'on se doit d'écouter et des textes qu'on se doit de lire. Beau travail.

Philippe Thiébaut

2ème section chez Armée de l'air

2 ans

Je suis d'accord avec l'idée que, en face de quelqu'un qui ne connaît que la loi du plus fort, il ne faut pas transiger. Les différences d'opinion au sein de l'UE montrent la richesse de notre liberté d'expression. Rien n'est plus contraire à la démocratie que la pensée unique.

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