Léon Trulin : adolescent fusillé pendant la Grande Guerre
Statue de Léon Trulin à Lille

Léon Trulin : adolescent fusillé pendant la Grande Guerre

Le 8 novembre 1915, les Lillois peuvent lire cette affiche placardée dans toute la ville :

« AVIS. L’étudiant Léon Trulin, Belge, né le 2 juin 1899, a été fusillé ce matin à la Citadelle. Il a été condamné par le Tribunal de Guerre à la peine de mort, pour trahison de guerre par l’espionnage. Le présent jugement est porté à la connaissance du public pour qu’il lui serve d’avertissement. Lille, le 8 novembre 1915. LE GOUVERNEUR ».

Léon Trulin avait dix-huit ans. Il était né en 1897 et non en 1899 comme indiqué sur l’annonce. Lille, à l’instar d’autres villes du Nord et de l’Est de la France, est alors occupée par les Allemands. Pour le général gouverneur von Heinrich, la date de naissance d’un traître n’est sans doute qu’un détail.

La famille Trulin vit à Ath en Belgique avec ses huit enfants avant que le père plombier-zingueur ne meure prématurément. Pour faire face à la précarité qui les menace, Madame Trulin déménage en France, à La Madeleine puis à Lille. Dès l’âge de treize ans, le jeune Léon entre comme apprenti dans une fabrique de pelleteries et fourrures afin de soulager financièrement sa mère. Il se brise le genou au cours d’un accident du travail, et subit une immobilisation longue de huit mois qu’il met à profit pour lire. Fasciné par les récits d’aventures, il s’exalte pour les héros légendaires et acquiert une culture rare dans le milieu ouvrier qui l’a vu naître. Sa convalescence terminée, il entre dans une usine de métallerie et suit des cours du soir en dactylographie et aux Beaux-Arts.

Le 3 août 1914, l’Allemagne déclare la guerre à la France alors même que ses troupes envahissent le pays en violant sa neutralité*. Léon Trulin n’est alors, selon Louis Delepoulle (1858-1944), président du syndicat d'initiative « Les Amis de Lille », qu’un « laborieux, un besogneux, qui n'est rien socialement. Il est à peine adolescent... Il est obscur, aime sa mère et les siens ».

Pourtant, idéaliste et catholique, déterminé et patriotique, il gagne l’Angleterre en juin 1915, bien décidé à s’engager sous le drapeau belge. Son apparence physique encore souffreteuse lui vaut un refus, mais un officier le repère et lui propose une mission de renseignements.

C’est sous le nom de la cellule « Noël Lurtin », anagramme de son nom, ou de « Léon 143 » que le jeune Belge opère comme espion avec quelques amis âgés de quinze à dix-huit ans : André, Lucien, Marcel, Marcel, Marcel et Raymond qu’il embarque avec lui dans cette aventure. Sillonnant la Belgique de long en large, de la frontière française à la frontière néerlandaise, ils envoient aux Anglais des clichés des installations allemandes sur les territoires occupés. Une mine d’or pour la Triple Entente.

Naviguant seul, sans protection, dénué de formation comme d’expérience, vivant de ce que veulent bien lui concéder des sympathisants – on ne parle pas encore de Résistants, Trulin note dans son inséparable carnet ses émotions, ses impressions, ses pressentiments. Il se voit comme un gibier traqué. Il a du flair.

Une lettre à sa mère la veille de sa mort remémore son voyage éphémère : « J'ai bien souffert, pendant le mois de juillet, souvent sans feu, ni lieu, puis au mois de septembre la vie a changé. J'ai été un peu plus heureux, je me suis distrait pendant un mois (en Hollande, en Angleterre) puis de retour en Belgique, puis crac, voilà le malheur. Je me fais prendre par malchance à une demi-minute du territoire hollandais »…

En effet, une patrouille allemande l’a eu à la frontière belgo-hollandaise, le 3 octobre 1915, alors qu’il se glissait sous les fils barbelés électrifiés de la frontière avec son ami Raymond Derain. Une question de secondes. Le fruit du hasard ?

Transférés à la Citadelle de Lille en octobre, les deux adolescents retrouvent leurs complices, leur bande de copains, et ces gamins attendent trois interminables semaines avant que ne soit délivré le verdict à l’issue d’une audience sommaire.

Condamné à mort, le chef du réseau remplit son carnet et des pages blanches destinées à sa mère, toujours écrit avec un « M » majuscule. Les mots édifiants implorent le pardon de sa chère Mère tandis qu’il l’accorde à ses bourreaux : « Je meurs pour la patrie et sans regret. Simplement, je suis fort triste pour ma chère Mère et mes frères et sœurs qui subissent le sort sans en être coupables » ; « Je pardonne aux Allemands. J’ai fait mon devoir. (…). Chère Mère, j’espère que vous me pardonnerez avant de mourir ». Il la supplie de vivre pour ses frères et sœurs et de marcher la tête haute avant de rédiger son testament dans des déliés enfantins, attestation suprême de l’innocence de ce jeune garçon sacrifié : « À 5 h 1/4 belge, je lègue à ma Mère que j'ai peine à faire souffrir : 4 photos, 1 timbale, 1 montre-bracelet et un catéchisme, ainsi que le linge propre et le sale que je n'ai pas encore lessivé ».

Léon est le seul à tomber puisque le général von Heinrich décide de commuer les peines de ses comparses aux travaux forcés ou à la réclusion. Seul Marcel Denèque, dix-sept ans, est gracié. Une lettre ultime à sa mère rapporte des propos équivoques : « Je vous demande de pardonner à D... Ce qu'il a fait, je lui ai pardonné, c'est la parole d'un condamné qui vous le réclame ». Bien possible que l’arrestation de Léon ne soit pas si fortuite…

Mort pour avoir photographié des tranchées, Léon Trulin finit sa courte vie dans les fossés de la Citadelle de Lille, tel un agneau immolé, tel un «adolescent chargé de gloire », selon les mots de l’avocat Philippe Kah, en 1932, dans Les Amis de Lille.

Albane de Maigret

*Voir chronique du 04/10/2018 : La Belgique naît sur un air d’opéra

Identifiez-vous pour afficher ou ajouter un commentaire

Autres pages consultées

Explorer les sujets