Les poilus de 14 et la guerre sanitaire: les mots dévoyés
« Nous sommes en guerre, en guerre sanitaire certes. Nous ne luttons ni contre une armée ni contre une autre nation, mais l’ennemi est là, invisible, insaisissable, et qui progresse », a déclaré le président de la République le lundi 16 mars à 20 heures lors d’une allocution télévisée. Emmanuel Macron a employé plusieurs fois l’expression « nous sommes en guerre » lors de cette intervention.
Ce mercredi 11 novembre 2020, jour anniversaire de l’armistice qui mit fin à la grande guerre de 1914-1918 au cours de laquelle 1,4 millions de soldats français sont morts, le Panthéon accueille l’écrivain Maurice Genevoix, l’auteur de la fresque « Ceux de 14 » dans laquelle le romancier invalide de guerre décrit ce que les poilus et les officiers ont vécu dans les tranchées, le froid et la boue pendant neuf mois.
« Ce que nous avons fait, c'est plus qu'on ne pouvait demander à des hommes, et nous l'avons fait », écrit le romancier qui fut blessé le même jour que l’écrivain allemand Ernst Jünger lors du même combat. Sous-lieutenant qui allait avoir 24 ans, le futur académicien a été touché par trois balles aux Éparges le 25 avril 1915 lors de d’une bataille qui fît 12 000 morts français et allemands en quatre mois.
J’ai rapproché ces deux événements car je m’étonne de l’emploi du mot guerre à tort et à travers.
La pandémie de la Coronavirus est certes lourde de conséquences sur le plan humain, social, politique et économique. Mais il ne s’agit pas d’une guerre. Il s’agit d’une catastrophe sanitaire et de la capacité des états à affronter des évènements imprévus en temps de paix. Le monde économique se laisse aussi aller à cette facilité. La guerre des talents évoquée depuis une quinzaine d’années par les entreprises et les professionnels du recrutement évoque simplement l’adaptation souvent compliquée entre les personnes disponibles sur le marché du travail et les besoins des entreprises.
Ce dévoiement des mots est symptomatique des difficultés de la société française à comprendre le monde et les hommes. Car transformer la réalité en tordant le sens des mots est l’aveu de notre incapacité à comprendre les faits et de notre impuissance à changer le cours des événements.