LA COMPLEXITÉ DE LA DEMANDE
Pourquoi réduire la demande à un simple modèle Stimulus-Réponse ?
À la demande, claire et précise, on offrirait une réponse, tout aussi claire et précise. Ni ambiguïté, ni zone d’ombres, ni flou, ni ambivalence... à moins de recourir à un modèle peut-être encore pire : derrière la demande, il y aurait une demande cachée, latente, inconsciente, qui serait, elle, la « vraie » demande, celle exprimée n’étant qu’une tromperie, une illusion, qu’il faudrait donc dissiper. Entre un premier degré pauvre et un soupçon systématique, peut-on avoir un point de vue différent sur ce qu’est une demande ?
Toute demande s’exprime dans le contexte d’une relation…
La première des choses à noter, c’est qu’une demande suppose quelqu’un à qui elle s’adresse. C’est donc un objet relationnel. Le simple fait de s’exprimer suppose un choix de l’interlocuteur, une représentation de ce qu’il peut apporter, et une certaine qualité de confiance dans la relation qu’on a ou pas avec lui. Je ne demande pas n’importe quoi à n’importe qui !
Allons un pas plus loin : ma demande sera mise en forme à partir de la représentation de la réponse possible que j’ai anticipée. Elle contient, en plus de l’expression de mon besoin, l’idée que je me fais de mon interlocuteur, de ses compétences, de sa bienveillance, de sa disponibilité. Ainsi s’y glisse, à l’insu de ma volonté, ma représentation d’un monde plus ou moins accueillant, plus ou moins disponible, plus ou moins généreux. Il y a des demandes qui, d’emblée, exprime leur certitude de ne pas pouvoir être exaucée… Ainsi, toute demande anticipe la réponse, et cette anticipation d’un certain futur modifie l’expression du présent.
La demande elle-même est déjà complexe
Même si l’on exclut de nos préoccupations l’importance de l’interlocuteur sollicité, il n’en reste pas moins que la demande est en elle-même complexe.
C’est un mixte de trois éléments difficilement dissociables : un problème, une causalité supposée, des idées de solutions. Ces trois ingrédients peuvent être en des proportions très variables, mais ils forment « système » dans la mesure où chacun influence les deux autres. Regardons cela de plus près :
- un problème : toute demande suppose une difficulté que l’on n’a pas réussi à résoudre par soi-même, avec l’aide de son réseau habituel. Que je demande l’heure à quelqu’un suppose que j’ai besoin de cette information et que je n’en dispose pas. Tout problème n’est donc pas nécessairement dramatique ou difficile. Nos journées sont parsemées de difficultés qui en sont la trame et qui nous mettent en ouverture pour une recherche de solutions.
Mais la plupart du temps, nous passons très rapidement, pour ne pas dire automatiquement, sur une des deux autres composantes de la demande.
- une cause : l’identification de LA cause du problème semble une nécessité évidente pour appliquer une solution définitive, qui prendrait le mal « à sa racine ». Dans cette vision, que la systémique qualifie de « linéaire », tout effet est rapporté à une cause qui le produit. Or, dans la vraie vie, je veux dire en dehors des laboratoires où les dispositifs expérimentaux immobilisent tous les paramètres sauf un, les situations relèvent d’une infinité de paramètres qui sont tous à la fois cause et effet du résultat global. La « demande » ainsi sera souvent centrée sur l’éradication d’une cause supposée, et le problème lui-même ne sera pas réellement identifié. Le problème est pourtant bien présent, à travers un ressenti de souffrance ou de gêne exprimée avec la demande. Ce ressenti s’impose et court-circuite la recherche concrète de ce qui est vécu comme un problème.
- une solution : c’est d’ailleurs souvent l’aboutissement de ce travail qu’a fait le demandeur et qu’il présente en premier ! Il n’a pas attendu l’arrivée de la personne qu’il consulte pour se mettre au travail. Le plus souvent, il vient chercher de l’aide pour mettre en œuvre la solution qu’il a en tête, pas pour qu’on lui en propose une autre.
Si l’on prend en compte cette complexité de la demande, la réponse sera elle-même plus complexe. (Mais par pour autant plus compliquée ! [1]) :
En s’appuyant sur le souhait de rendre un réel service, il faudra entendre et désintriquer ces trois éléments constitutifs de toute demande. Pour cela, quelques axes de questionnement :
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- S’intéresser aux résultats espérés d’une intervention
- s’intéresser de près aux tentatives de solutions précédentes. En effet, toute demande d’aide ne s’exprime qu’après les premières mises en œuvre spontanées et leur échec.
- élargir la représentation de la situation en cherchant les différents protagonistes qui nécessairement y participent : les « fautifs », les « alliés », les témoins « neutres » et les personnes exclues de la connaissance du problème. En effet, chacun, à sa manière, participe de la situation problème, et rien ne garantit que les rôles ne changeront pas si la situation évolue.
Cette exploration préalable prend au sérieux la (complexité de la) demande, et affirme un désir d’aider sans aggraver la situation. Elle permettra éventuellement de proposer une autre compréhension du problème et une autre manière acceptable de l’aborder.
Les demandes invisibles
N’oublions pas aussi que toute « réponse » contient, de manière plus ou moins évidente, une demande : celle de son acceptation, de son approbation. Réponse et Demande sont les deux facettes d’une même pièce : l’échange. Et tout échange est complexe…
PS : Si vous souhaitez enrichir vos pratiques par une approche de la complexité, deux possibilités vous sont proposées :
- La formation à l’Approche Systémique Coopérative. cf. www.efilia-conseil.com
- Les ateliers conférences « 7+1 renoncements pour penser systémique ». cf. www.frbalta.fr
©François BALTA – décembre 2023 – f.balta@orange.fr
[1] Cf. F. BALTA La complexité à la portée de tous, une nécessité citoyenne. » Erès, 2017
Coach de transition / Permaleader / Grand Père / Amoureux du Vivant
1 ansMerci François Balta.
Directeur chez ALTRETTANTO
1 ansmerci à ceux et celles qui republient mes posts... si quelqu'un peu m'expliquer comment faire pour republier un post que je trouverai intéressant, merci d'avance! 😉
Conseillère du travail. 🎯Formation-Facilitation-Prévention # Souffrances au travail
1 ansTrès bien posé merci bcp
Senior Partner Topics | Conseil en Stratégie et Transformation RH | Dialogue Social | Culture | Organisation | Compétences |
1 anstoujours aussi éclairant, merci François BALTA
Anthropologue / Conférencier / Associé du cabinet Utopies & AlterNego / Médiateur / Auteur
1 ansC’est très bien dit, très bien écrit. Il ne reste plus qu’à l’inscrire dans le cycle de l’échange-don 😏