LA CONNAISSANCE ET L’EXERCICE DU POUVOIR POLITIQUE
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LA CONNAISSANCE ET L’EXERCICE DU POUVOIR POLITIQUE

À l’observation des comportements de notre civilisation, nous sommes plusieurs à reconsidérer la nature de l’exercice du pouvoir politique au sein d’un État-Nation. Cependant quelle est la source du pouvoir politique ? Comment y a-t-on accédé ? Et quel est le facteur essentiel du XXIe siècle ?

En entrée de jeu, je me rallie à la définition de l’«État-Nation» de Benedict Anderson qui dans un esprit anthropologique la présente comme étant …une communauté politique imaginaire, et imaginée comme intrinsèquement limitée et souveraine…

L’État-Nation est imaginaire parce que les membres ne connaîtront jamais tous leurs concitoyens, ne les croiseront, ni n’entendront parler d’eux, bien que dans l’esprit de chacun vive l’image de leur communion. Elle est limitée par des frontières finies même si elles sont élastiques. Elle est souveraine depuis l’époque où les Lumières et la Révolution détruisaient la légitimité d’un Royaume dynastique hiérarchisé et d’ordonnance divine et en fin elle est imaginée comme communauté parce que, indépendamment des inégalités et de l’exploitation qui peuvent y régner, l’État-Nation est conçu comme une camaraderie profonde et horizontale. Cette camaraderie génère sa valeur à partir des usages et des représentations culturelles dont elle fait l'objet dans la communauté.

De cette fraternité imaginée au XIXe siècle, l’«État-Nation» représente une nouvelle forme de conscience au faîte de la rupture au sein des deux systèmes culturels antérieurs qu’ont été la «Communauté Religieuse» et le «Royaume Dynastique».

Il faut se rappeler que ces deux systèmes culturels, à leur apogée, passèrent pour des cadres de référence qui allaient de soi, un peu comme l’État-Nation d’aujourd’hui. Nous sommes, en droit de s’interroger de quelles origines ces cadres puisaient-ils leur pouvoir, leur vraisemblance, voire leur souveraineté ? Quel a été un des principaux déclencheurs de la rupture en faveur de l’État-Nation ?

Ici, je prends des raccourcis pour répondre à ces questions, ce qui a le mérite de la synthèse et cependant, le défaut de minorer la complexité de la dynamique des éléments historiques, actifs et cruciaux des cadres de références qu’ont été la Communauté Religieuse, le Royaume Dynastique et aujourd’hui l’État-Nation.

Je pose trois a priori soit : 1) une collectivité d’humains atteints de nouvelles sphères de Conscience, quel que soit les cadres de référence, 2) l’accès à ces sphères a toujours été tributaire de la maîtrise d’une langue/écriture idéographique pour l’acquisition de nouvelles connaissances et 3) Le contrôle et la diffusion de ces connaissances ont toujours été la pierre angulaire de l’exercice du pouvoir politique.

L’imaginaire des Communautés religieuses a été développé par l’acquisition de connaissances utilisant les langues véhiculaires (sacrées) telles que : le latin, le chinois, l’arabe, l’hébreu et le pâli. Ces connaissances étaient disponibles aux couches expertes et stratégiques des lettrés, au sein d’une hiérarchie cosmologique dont le faîte était de nature divine.

La conception des groupes sociaux au lieu d'être horizontale et fondée sur des catégories, était centripète (Dieu) et hiérarchique. La collectivité (peuple) était gouvernée par une intelligentsia bilingue qui maîtrisait la langue véhiculaire et vernaculaire (peuple). Toutes les grandes communautés religieuses ont exercé un pouvoir politique temporel et elles se sont crues au centre de l’univers.

Tout changea, du moins en Europe, au XVIe siècle, à la suite de l'émergence du capitalisme de l’imprimé qui propulsa les langues vernaculaires (langue du peuple) lesquelles ont permis la diffusion de la connaissance à un grand nombre d’individus et par conséquent ils ont eu la capacité de contester l’hégémonie du pouvoir politique en place.

Il est bon de mentionner qu’avant l’âge de l’imprimerie, Rome triompha sans mal de toutes les hérésies en Europe occidentale parce qu’elle avait toujours eu de meilleures voies de communication interne (diffusion de l’information) que ses adversaires.

Entre 1520 et 1540, il y eut trois fois plus de livres publiés en allemand que dans les deux premières décennies du siècle. Une transformation stupéfiante dans laquelle Luther joua un rôle absolument central sur le déclin de l’emprise du pouvoir politique de la communauté religieuse chrétienne. La chute du latin (langue véhiculaire) a créé un processus de fragmentation, de pluralisation et de territorialisation progressive des Communautés religieuses dont les langues sacrées avaient assuré l’intégralité au-delà des frontières physiques et politiques.

Dans l’imaginaire des Royaumes dynastiques, la royauté détient sa légitimité de Dieu, non des populations composées de sujets et non de citoyens. Ses frontières étaient poreuses et indistinctes, les souverainetés se fondaient imperceptiblement les unes dans les autres. Ces souverainetés étaient le résultat d’une succession de mariages, de marchandages et des guerres (souvent de nature religieuse). La connaissance et sa diffusion demeurèrent dans des cercles de pouvoir restreint (aristocratie, bourgeoisie, marchand…).

C’est au XVIIe siècle que la légitimité automatique de la monarchie sacrale amorça son lent déclin en Europe occidentale. Cette légitimité reposait sur des certitudes interdépendantes responsables de la temporalité dans laquelle cosmologie (divin) et histoire (activités humaines) s'interpellaient. Sous l’impact du changement économique, des découvertes sociales et scientifiques, de l’essor de communications toujours plus rapides et l’exploration du Nouveau Monde, ces certitudes se sont estompées.

C’est alors, que l’Humanité en quête, d’une nouvelle manière d’associer significativement fraternité, pouvoir et temps fait émergé la notion de l’État-Nation. C’est dans le dernier quart du XVIIIe siècle et à partir du Nouveau Monde que d’extraordinaires événements donnèrent subitement à cette nouvelle notion, un sens complètement inédit. Le premier fut très certainement la Déclaration d’indépendance (des Treize Colonies) en 1776 et sa défense manu militari au cours des années suivantes.

Du fait qu’il s’agissait d’une indépendance républicaine, elle fut perçue comme quelque chose d’absolument sans précédent, en même temps qu’absolument raisonnable sitôt en place. À cette époque, il en est résulté le sentiment profond qu’une rupture radicale était en train de se produire avec le passé (Royaume dynastique). Peu après, en 1789, la naissance de la notion de l’ « État-Nation » dans le Nouveau Monde trouva une équivalence dans l’Ancien avec l’explosion volcanique de la Révolution française.

L’Humanité venait d’accéder à une nouvelle forme de Conscience qui a créé une brèche grande ouverte dans la continuité de l’Histoire.

Au cours du XIXe cette brèche a conduit une révolution philo logico lexicographique (littérature, science, ordinateurs…), l’essor de mouvements nationalistes de différentes doctrines politiques (capitalisme, communisme, socialisme, libéralisme…), l’industrialisation (énergie, technologies, transports, télécommunications…).

Cette révolution a généré des changements sociétaux, économiques et environnementaux propulsant l’Humanité à s’installer dans le matérialisme conquérant de la «Technosphère» cependant, sans égard aux ressources physiques et limitées de la «Géosphère» et sans respect de la «Biosphère» responsable du maintien de la Vie.

Depuis le XXe siècle, l’Humanité a amplifié le divorce entre la nature (Vie) et l’esprit (Conscience) créant un dualisme antagoniste entre le matérialisme conquérant «Technosphère» et la «nappe pensante» de la « Noosphère » de laquelle émergent les visions « imaginations vraies » générant cette fois une mosaïque de brèches (complexité vs linéarité) dans un espace-temps multidimensionnel.

Le mot «Noosphère» a été inventé par Vladimir Vernadsky. Il a formé ce néologisme sur le modèle du mot « Biosphère » (couche du vivant, bios, entourant la terre), en y substituant la racine noos (intelligence, esprit, pensée). Ce néologisme est en lui-même une proposition cosmologique, exprimant cette idée qu’une couche de Pensée et de Conscience, une «nappe pensante», envelopperait la surface de la Terre de la même façon que la Biosphère.

On le voit, l’Humanité est de nouveau en quête, d’une nouvelle manière d’associer significativement fraternité, pouvoir et temps. Cette fois, elle n’émergera pas d’une explosion volcanique du type « Révolution française » mais d’une métamorphose du vivre ensemble de l’État-Nation et de l’exercice du pouvoir politique.

La puissance du pouvoir politique de cette métamorphose, à l’instar des langues sacrées (langue véhiculaire), s’appuiera sur le langage mathématique donnant l’accès aux sphères de Conscience génératrice de nouvelles connaissances et ainsi donner la mainmise de la destinée de nouvelles « communautés imaginées » au-delà des frontières physiques et politiques.

Dorénavant, l’exercice du pouvoir politique en tant que mobilisation collective devra avoir une fonction vitale, écologique et cognitive.

Ceux qui reconnaîtront la manifestation des «imaginations vraies» et ne les considéreront plus comme des hallucinations seront en mesure de trouver les voies de la réconciliation entre la nature (Vie) et l’esprit (Conscience). Ils participeront à la nécessaire construction d'une démocratie cognitive exigeant à la fois d'apporter à la démocratie le savoir disponible (connaissances), son effectivité, et de débattre démocratiquement (donc philosophiquement) des objectifs des technosciences (algorithmes) et de leur signification humaine.

Aux Québec, nous avons reconnu ses manifestations à quelques reprises au cours des 50 dernières années, notamment lors de notre décision collective et historique du «Maître chez nous» envers l’énergie électrique qui nous a permis d’être parmi les leaders de la société industrielle. Cependant, il nous faut renouer avec cet état d’esprit afin que nous puissions continuer à exercer un réel pouvoir politique au sein de notre «communauté imaginée».

En réponse aux questions de l’introduction, l’exercice du pouvoir politique au XXIe siècle passera par exploitation de la Noosphère (Data Québec) pour accéder à la source du pouvoir (connaissances), la maîtrise du langage mathématique (algorithmes) et par le facteur essentiel qui est l’accès à une énergie propre et renouvelable.

En conclusion, à ce stade de l’Histoire, la «communauté imaginée» du Québec possède par sa créativité, sa culture et son savoir-vivre tout le leadership nécessaire à la conjugaison au lieu de l'opposition, «du culturel et du naturel» ou « de l’artificiel et de l’affectif» contribuant ainsi à l’essor du mieux-être de l’Humanité.

Inspiré du livre : L'imaginaire national : réflexions sur l'origine et l'essor du nationalisme de Benedict ANDERSON (Auteur), Pierre-Emmanuel DAUZAT (Traduction)

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