La culture urbaine dans l'industrie du luxe
Luxury streetwear, un atout financier et marketing pour appâter les millennials. Innovation, inspiration ou appropriation culturelle, comment percevoir cette tendance ?
La street culture originaire des banlieues américaines des années 80, née en opposition au luxe institutionnel, n’a cessé de prospérer et se retrouve désormais mêlée au monde du luxe. Un univers, dans lequel autrefois les cultures populaires marginalisées en quête d’affirmation sociale et d’identité n’avaient nullement leur place et qui désormais sont devenues une source d’inspiration prédominante. On se souvient encore lorsque Gucci avait poursuivi en justice le célèbre tailleur de Harlem, Dapper Dan, précurseur de la mode urbaine pour avoir détourné son monogramme ou quand Louis Vuitton s'était élevé face à Supreme pour non usage autorisé de son logo. De Givenchy, à Dior en passant par Louis Vuitton, Prada et Chanel, les marques de luxe traditionnelles sortent de leur tour d'ivoire, modernisent leur image en s'inspirant copieusement de la rue. Très récemment encore, Supreme s'est associé avec Jean-Paul Gaultier et Pharrell Williams a relancé une collection avec Chanel. Après l'ouverture d'un atelier de création à Harlem, suivi d'une collection capsule, Dapper Dan et le CEO de Gucci, Marco Bizzarri ont même crée ensemble un programme le "Gucci Changes Makers" afin de remédier aux problèmes de diversité et d'inclusion dans la mode qui ont affecté la maison.
La mode urbaine issue des sous-cultures populaires constitue un moteur de croissance pour le secteur du luxe et un levier essentiel pour attirer de nouveaux consommateurs. Jugé autrefois comme élitiste réservé uniquement aux classes supérieures, le luxe s’abandonne à cette idée pour séduire le futur consommateur du luxe de demain: la génération Y et Z, bercée dans la street culture qui redéfinit le modèle économique du secteur et remet en cause de nombreuses stratégies des marques de luxe. Depuis que le luxe l'a adopté, le streetwear n'a jamais été une industrie aussi lucrative qu'aujourd'hui, à tel point point, qu'il se fond dans la masse et perd en conséquence son caractère subversif qui le fonde et le nourrit.
Une tendance, qui malgré les objectifs financiers qui en découlent, n’est pas appréciée par l’ensemble des acteurs de la culture urbaine, qui reprochent ainsi aux créateurs d'emprunter leurs codes et leur culture parfois privée de sa substance identitaire pour répondre aux besoins du marché. Un streetwear "superficiel", exempt d'authenticité et de reconnaissance qui poussent certains à la qualifier d'appropriation culturelle dans le sens où la culture urbaine revêt bien plus que l’aspect stylistique. Une notion complexe née avec les réseaux sociaux, qui soulève des questionnements et des études récentes dans le domaine de la mode et du textile, "dans une société où les identités sont de plus en plus fragmentées".
Alors que certains initiés revendiquent un manque de crédibilité qui se perd au travers des multiples réinterprétations par le luxe, d'autres y voient au contraire un moyen de démocratiser le secteur, de représenter les sous-cultures autrefois écartées. Priver les marques de luxe d’appropriation contredit aussi l’essence même de la mode, qui s’inspire de notre société actuelle, multiculturelle globalisée et qui favorise l’expression créative.
« La mode s’est toujours nourrie et se nourrira toujours des cultures alternatives. C’est l’essence même de sa raison d’être. C’est en se révoltant contre elle qu’on lui obéit le mieux car elle s’alimente des différences » Pascal Monfort, consultant et sociologue mode.
Instaurer un échange culturel vertueux, intégrer les différentes communautés concernées dans l'industrie ainsi que dans les processus de création, ou encore faire un travail d'éducation et de diversité pourrait être la solution afin d'éviter toute sensibilité culturelle négative. Surtout, dans le secteur du luxe, où la valeur de la marque réside dans sa réputation.
Les défilés automne-hiver 2019 marquent l'apparition d'un streetwear plus raffiné et plus "bourgeois" revenant aux origines du luxe. Cette tendance est-elle vouée à disparaître progressivement de l'industrie au même titre que la culture punk, ou à s'inscrire dans la durée comme le prédit la 17ème étude de Bain & Company soulignant que les cultures et sous-cultures façonneront la mode et le luxe en 2025?
-ENGLISH VERSION-
Urban culture in the luxury industry
Luxury streetwear, a business and marketing asset to attract the millennials. Innovation, inspiration or cultural appropriation, how to perceive this trend?
Street culture which originated in the disenfranchised neighbourhoods of New York in the 1980s, born in opposition to institutional luxury, has continued to flourish and now took over the world of luxury. A world, in which once marginalized popular cultures, seeking of social affirmation and identity had no place and which has now become a predominant source of inspiration. We still remember when Gucci sued the legendary tailor of Harlem, Dapper Dan, responsible for introducing high fashion to the world of hip-hop by hijacking its monogram or when Louis Vuitton hit Supreme with a cease letter for using its logo. From Givenchy, to Dior, Prada and Chanel, traditional luxury houses break out of the ivory tower by taking their inspiration from the street in order to modernise their brand image. Again recently, Supreme has partnered with Jean-Paul Gaultier and Pharrell Williams has relaunched a collection with Chanel. After opening a creative workshop in Harlem, followed by a capsule collection, Dapper Dan and Gucci CEO Marco Bizzarri also created together a program called "Gucci Changes Makers" to further diversity and fashion inclusion after controversial issues that affected the company.
Urban fashion from popular subcultures is a stronger engine of growth for the luxury sector and a key lever to attract new consumers. Once considered elitist only for the upper classes, luxury gets over this idea in order to seduce the new and future luxury’s client: millennials and generation Z which are redefining consumption patterns and challenging many of high fashion brands strategies. Since luxury meets streetwear, it has never been such a lucrative industry as it is today, truly went mainstream and consequently loses its subversive side that nurtures it.
A trend, which despite the resulting financial objectives, is not appreciated by all urban culture insiders, who thus blame designers for borrowing their codes and culture, sometimes deprived of its identity essence, values to meet market demands. A "superficial streetwear” and a lake of recognition that encourages some of them to call it out cultural appropriation as urban culture is much more than a stylistic tool. A controversial term, that has emerged with social media and is the subject of recent studies in the fashion industry "in a society where identities are more and more fragmented".
While some insiders claim a lack of credibility through the various reinterpretations by luxury, others see in it a way to democratize the sector, to represent subcultures that were previously excluded. Depriving luxury brands from cultural appropriation is at variance with the essence of fashion, which is inspired by our multicultural society and is an outlet for creative expression.
"Fashion has always been nourished and will always be nourished by alternative cultures. It's part of its essence" Pascal Monfort, fashion consultant and sociologist.
Establishing a respectful, enriching and genuine cultural exchange, integrating the communities targeted into the industry or cultivating diversity and inclusion in the workplace could be the solution in order to avoid any negative cultural sensitivity. Especially in the luxury sector, where the value of the brand lies in its reputation.
The autumn-winter 2019 runways show a more "bourgeois style" streetwear returning to the origins of luxury. Is this trend will totally disappear from the industry the same way as the punk culture or will stay in as predicted the 17th study by Bain & Company, which emphasizes that cultures and subcultures will shape fashion and luxury in 2025?
UI / UX Designer
5 ansArticle très constructif qui remet bien en cause les frontières entre la culture urbaine et le luxe!