La démocratisation de la recherche UX est-elle une menace ou une opportunité ?

La démocratisation de la recherche UX est un sujet débattu depuis plusieurs mois, lors de conférences et de podcasts. Certains acteurs affirment que tout le monde peut la pratiquer, tandis que d'autres professionnels insistent sur l'importance d'une expertise et d'une méthodologie rigoureuses portées par des professionnels du métier. Cette aspiration s’inscrit dans un contexte où la collaboration est de plus en plus valorisée au sein des organisations, et où naît un mouvement plus large d'inclusion. En deuxième lecture, le besoin d’évangéliser et de faire connaître (accepter ?) la research plus facilement.

Derrière le terme ‘démocratisation', certains évoquent même d’inclure des non-researchers dans le processus de recherche. Dernière occurrence en date sur ce sujet, la conférence, “A Genuine Conversation about the Future of UX Research” (Rosenfeld media). Je suis toujours enthousiaste d’avoir un développeur en atelier, un Tech Lead en immersion et de faire voir et montrer ce qui s’y passe, de créer dans l’équipe une connexion entre les users et ceux qui bossent pour eux. Et cela nous permet de montrer et faire connaître ce que nous faisons, comment nous le faisons, et d’aider à comprendre notre contribution. Cela permet même de sensibiliser les décideurs sur la réalité du terrain par exemple. Cette démocratisation de l’UX research vise à inclure plus de personnes dans la research, pour plus de résultats plus rapidement. Certains experts affirment que l’objectif est de donner à tous la capacité de mener des actions de research de manière indépendante. Pour d’autres il ne s’agit que de sensibiliser et d’impliquer dans le processus, sans aller plus loin. Une research plus inclusive, plus participative, plus diffusée dans l’organisation aussi, pour capter tous les signaux, qui sort de son confort pour se confronter au reste de l’organisation. L’évangélisation et la communication sur nos métiers doivent-elles mener à la distribution de la research dans toute l’organisation ? 

Les arguments avancés sont entendables, sur le papier. Les partisans de la démocratisation la plus poussée avancent une compréhension accrue de la research par l’ensemble de l’organisation. En filigrane, on parle donc également d’une meilleure collaboration et communication entre la research et le reste de l’organisation. Et donc une plus grande diversité de perspectives et d’idées, un modèle opérationnel optimal dans laquelle le processus de research est accéléré et alimenté par toute l’organisation finalement.

Ce qui entraîne quelques défis de taille. Dans un cas, la research risque d’être diluée dans l’organisation entre des personnes qualifiées pour le faire et d’autres qui ne le sont pas. Qu’en est-il alors de la qualité ? En regard du bagage nécessaire pour faire de la research, et obtenir des données qualifiées, non biaisées, contextualisées, pertinentes… Comment garantir une rigueur méthodologique opérationnelle ? Quel résultat et quel impact si elle est effectuée par des non-experts ? Les Researchers incarneraient-ils une sorte d'assurance qualité ? Et l’ownership ? qui serait garant des méthodes et des résultats ? 

Cette vision entraîne des dépendances. Cela introduit un besoin de formation et d’accompagnement. Et comme aucun système n’est un système parfait d'où la friction est absente, il faudra vaincre les réticences et les résistances face à ces changements et se mobiliser pour faire adopter ces nouvelles pratiques.

Il est important de questionner cette approche. Dans une perspective OPs, et avec des initiatives et des efforts additionnels, gouvernance, normes qualités, culture, outils, process, formation, coaching… est-ce que cela ne pourrait pas être envisagé ? 

Ces efforts permettent d’atteindre un niveau de maturité en design et en research assez élevé. À un stade de maturité élevée, pourquoi faire participer des non-researchers ? On peut imaginer que la question de la démocratisation-dilution de la research dans les redevabilités de tous ne se pose plus. 

D’autant que pour arriver à un système dans lequel je suis à même de démocratiser largement la research, le niveau de maturité sur le sujet doit être réellement conséquent. 

Des pratiques matures permettent aux équipes de mener des recherches de qualité, d'interpréter les résultats avec précision et justesse et de l'intégrer dans les processus de décisions. Développer la maturité de la recherche implique des compétences, des processus, une culture. Des changements. La mise en œuvre de changements implique des efforts d'alignement, la gestion de la résistance et l’adoption d’une culture de l'amélioration continue. La communication, la formation et le soutien sont des éléments essentiels du changement. Encore des efforts donc. Si je tire le fil plus loin, je déporte toute ou partie de la mission d’experts sur des non-experts, … et je mandate ces experts pour garantir le résultat... et je consens des efforts que je n’aurai pas eu à faire ou que j’aurai fait dans une moindre mesure.

Si l’organisation atteint un niveau de maturité élevée, est-ce que je remet en cause les fondements de la research à savoir qu’une recherche de qualité, c’est un researcher compétent, mis dans les meilleures conditions et avec les meilleurs outils possible pour opérer ? C’est ce dispositif qui me permet d’espérer un résultat optimal… Est-ce que déléguer à quelqu’un de non-qualifié peut permettre de viser un résultat optimal ?

Est-ce que l’opportunité de travailler ensemble doit nous faire prendre le risque de façonner un avenir dans lequel le métier de researcher aurait disparu pour devenir une compétence annexe, un genre de soft skill, une compétence transversale à la mode ?

Un métier qui, en cherchant à se faire connaître, risquerait de se diluer au sein de l'organisation et de disparaître ?