LA DISRUPTION POUR INNOVER EN SANTÉ
J’ai le privilège de travailler pour la Fondation de l’Académie de Médecine. Et d’organiser des symposiums sur l’innovation médicale dans le monde entier. Cela m’a fait prendre conscience, moi qui ne suis pas médecin, à quel point les progrès de la médecine, aussi révolutionnaires soient-ils, ne suffiront pas à donner accès au plus grand nombre à ce que la science, la technologie et la pratique médicale ont de meilleur à offrir.
Le gouvernement a dévoilé vendredi dernier son Plan Santé, lequel vise justement à garantir à tous nos concitoyens un accès égal et effectif aux soins de santé. Il mise non seulement sur le regroupement de professionnels, sur la formation d’auxiliaires de santé et sur l’accroissement des structures de soins telles les maisons de santé pour lutter contre les déserts médicaux, mais également sur l’innovation et la télémédecine.
Le papier qui suit traite de ces sujets. Avec le regard extérieur de quelqu’un qui n’est pas issu du monde médical. Les Échos se sont intéressés à l’extrait sur l’innovation inversée qu’ils ont publié le 22 août dernier.
Des systèmes de santé dans l’impasse
Le premier secteur d’activité au monde est celui de la santé, avec un poids égal à trois fois celui du secteur bancaire. Mais dans la quasi-totalité des pays, il est loin d’engager la transformation en profondeur à laquelle il ne pourra échapper. Car, malgré les progrès considérables de la médecine, les patients ne sont pas toujours bien soignés faute de systèmes de santé garantissant des traitements efficaces à un coût abordable.
Tous les pays sont confrontés aux mêmes défis. D’une part, une explosion des classes moyennes qui veulent avoir accès à une santé de qualité, des dépenses de santé par habitant qui flambent et des personnes âgées qui vivent plus longtemps. D’autre part, des gouvernements qui ne disposent pas de ressources suffisantes pour augmenter les budgets affectés à la santé. Impasse à l’échelle mondiale…
Dans ce contexte, une priorité nouvelle doit être donnée à la prévention. Le système exclusivement axé sur la maladie ne peut tout régler. Il faut passer, comme disent les Américains, d’un « sick care system » à un « health care system ». Maintenir les patients en bonne santé plutôt que d’attendre qu’ils tombent malades pour intervenir. Le gouvernement l’a bien compris. La prévention occupe une place clé dans son plan d’investissement consacré aux réformes de fond de la santé.
Ceci étant, et quels que soient les bénéfices à attendre de la médecine préventive, la priorité est de donner accès au plus grand nombre à ce que la médecine curative a de mieux à offrir, et au moindre coût. Le défi est de taille. Pour y parvenir, il existe un chemin : celui de l’innovation.
Or, force est de constater que nous vivons dans un monde où l’aversion au risque fait partie de la culture des organismes réglementaires et des institutions médicales. Et cela freine l’innovation. Pourtant le temps du progrès linéaire, des avancées pas à pas, est révolu. L’innovation de rupture n’est plus un choix ; c’est devenu une question de survie.
Innovation disruptive
Dans le monde des affaires, on distingue généralement innovation incrémentale et innovation disruptive. On entend par innovation incrémentale l’optimisation de l’existant comme, par exemple, le renouvellement d’une formule, le lancement d’un produit haut de gamme ou la pénétration d’un marché adjacent. L’innovation disruptive est une innovation de rupture qui entraîne une transformation radicale comme par exemple, entrer sur un segment de marché éloigné de son secteur, changer de modèle économique ou transformer la chaîne de distribution. Les entreprises peuvent se contenter d'innovations incrémentales pour nourrir leurs ventes jour après jour, mais elles se doivent aussi d’innover régulièrement de façon disruptive pour résister à l’épreuve du temps.
Le secteur de la santé, quant à lui, est de plus en plus porteur d’innovations disruptives. Celles-ci se manifestent dans la science, la pratique médicale et la technologie. Mais leur rythme s’avère insuffisant.
Innovation disruptive et science médicale
Les progrès partent le plus souvent de la science. Notre survie collective dépend des découvertes que font les chercheurs dans les universités, les instituts, les laboratoires et les entreprises. Chaque jour voit s’éclore un grand nombre de percées scientifiques. Et celles-ci se voient souvent renforcées par l’effet des nouvelles technologies.
C’est le cas pour la médecine personnalisée. La thérapie génique peut désormais soigner, outre le cancer, plusieurs autres maladies comme le Parkinson, le VIH ou de graves déficits immunitaires. Bientôt en pratique courante, elle offre une alternative aux patients qui avaient perdu tout espoir, faute d’un traitement conventionnel adapté ou simplement en l’absence de traitement existant. L’intérêt pour la nanomédecine ne se dément pas. L’application des nanotechnologies au domaine biomédical ouvre des perspectives diagnostiques, mais aussi thérapeutiques, notamment dans les chimiothérapies, avec une efficacité comparable mais sans les effets secondaires. La révolution de l’impression 3D est en marche. Le procédé a certes déjà fait ses preuves en dermatologie et pour la transplantation cardiaque. Mais, dans moins de dix ans, il sera possible avec une imprimante 3D de reproduire pratiquement tous les organes et de pallier le manque d’organes pour la transplantation…
Innovation disruptive et pratique médicale
La santé connectée va progressivement transformer la relation des patients à la santé. Ce qui va engendrer des changements drastiques dans la pratique médicale.
Les patients n’attendront plus de tomber malade pour se faire suivre puisque le suivi se fera en temps réel. Nous nous acheminerons vers un monde qui ressemble à celui de Netflix, où les entreprises anticipent les besoins de leurs clients avant même que ceux-ci aient conscience de leurs besoins. L’équipe de soins recevra en permanence les données de chacun de ses patients de façon à pouvoir intervenir à la moindre alerte pour proposer un traitement et éviter la phase aiguë. En passant ainsi du court au long terme, cette nouvelle approche garantira à la fois de meilleurs résultats et une réduction des dépenses de santé. Elle permettra de faire face au défi du vieillissement de la population et à l’explosion des maladies chroniques qui en résulte, comme le diabète, les maladies cardiovasculaires ou encore le cancer.
Innovation disruptive et technologie médicale
Pour être suivis en continu, les patients seront équipés d’appareils de santé connectés comme par exemple le stéthoscope digital, le moniteur pour détecter des carences en vitamines, ou l’oxymètre pour mesurer le taux d’oxygène. Ces équipements périphériques, dont certains sont déjà sur le marché, contribueront de plus en plus au bien-être du patient. Les années à venir verront s’accroître ces dispositifs connectés, avec autant de milliers d’applications indispensables pour les rendre opérationnels et pour pouvoir collecter les données à analyser.
Cette somme de connaissances va constituer une nouvelle richesse à partager entre l’ensemble des parties prenantes : chercheurs, autorités de santé, fournisseurs d’assurances santé, fabricants de matériels médicaux, médecins, laboratoires pharmaceutiques et patients.
L’ubérisation de la santé
Ces avancées dans le domaine de la science, de la technologie ou de la pratique médicale vont conduire les intervenants du secteur à repenser en partie leurs façons de faire en matière de soins et de traitements médicaux. Comme l’a fait Sherpaa, une start-up américaine spécialisée en télémédecine qui a remplacé la consultation du médecin généraliste par un accès 24H/24 à une équipe de six médecins uniquement par email, SMS ou via une application, en faisant payer un abonnement annuel. Ou Capsule, une autre start-up américaine qui réinvente en partie la pharmacie de demain en faisant livrer sur demande les médicaments à la porte du patient.
Ces deux exemples donnent un aperçu de la transformation future du mode d’intervention des médecins et des pharmaciens. Mais de là à craindre une ubérisation de la santé, comme il en est souvent question dans les médias ces derniers temps, je crois que nous n’en sommes pas encore là… Sans mésestimer l’importance du big data et l’impact qu’il peut avoir, le médecin restera maître du diagnostic. Ce qui va changer, c’est que les données, l’intelligence artificielle et toutes les technologies relevant de la santé connectée aideront les médecins à affiner et à personnaliser leur diagnostic afin de prescrire le meilleur traitement disponible au meilleur coût.
Il faut faire mieux, plus vite. Il faut coûte que coûte accélérer la cadence de l’innovation, mobiliser massivement la communauté scientifique, et combler le fossé entre la science, la technologie et la pratique médicale. Nous devons mieux exploiter les talents et les connaissances en diffusant plus rapidement et plus largement les meilleures pratiques répertoriées dans la communauté des praticiens et en valorisant les travaux des chercheurs. Il est crucial d’aider les centaines de start-up qui opèrent dans le secteur de la santé et d’encourager la création de nouvelles jeunes pousses. Et enfin, nous devons convaincre les décideurs de politique publique à mettre en œuvre des politiques de santé disruptives afin d’améliorer l’efficacité des systèmes de santé.
L’impérieuse nécessité d’innover prend une toute autre dimension lorsqu’il s’agit de la santé, elle devient un impératif moral.
Il ne faut pas hésiter à emprunter de nouveaux chemins. À innover dans la façon d’innover. Les observateurs du monde des affaires ont identifié un certain nombre d’approches permettant de stimuler les innovations radicales. Parmi celles-ci, deux me semblent particulièrement prometteuses lorsqu’elles sont appliquées à la santé. Il s’agit de l’innovation ouverte et de l’innovation inversée.
Innovation ouverte
Ce type d’innovation donne à des communautés d’utilisateurs l’opportunité de collaborer sur des plateformes ouvertes. OpenICE en est un exemple. C'est une plate-forme qui permet d’uniformiser le matériel médical destiné à toutes les structures de soins, de la maison à l’hôpital, en passant par le bloc opératoire et le service des soins intensifs. Elle évite la mise en silos de l’information.
mPedigree en est un autre exemple. Cette application technologique, disponible dans dix pays africains, permet aux usagers de téléphonie mobile d'authentifier les médicaments qu’ils achètent en pharmacie et de distinguer les vrais médicaments des faux. Elle est le fruit de la collaboration entre des groupes pharmaceutiques de premier plan comme Sanofi Aventis, des grandes entreprises d’électronique comme Hewlett Packard, des agences réglementaires comme la Food and Drug Administration aux États-Unis et leurs homologues dans les pays où mPedigree est implanté, et des opérateurs de téléphonie mobile comme MTN.
L’innovation ouverte offre à tous - décideurs, entrepreneurs, chercheurs, organismes de santé, représentants académiques et acteurs industriels – la possibilité de travailler mieux ensemble, d’éviter les cloisonnements et d’innover de façon disruptive.
Innovation inversée
L’autre type d’innovation que je considère comme étant le meilleur moyen de créer un vrai pipeline d’innovations est l’innovation inversée. Il s’agit d’une innovation qui est d’abord conçue pour des pays en développement où elle est utilisée avant de se propager dans les pays développés.
Jusqu’au début de ce siècle, la plupart des innovations provenaient de pays occidentaux. Elles étaient ensuite adaptées, pas toujours de la meilleure façon, pour répondre aux besoins des pays en développement. Le coût est le moteur de l’innovation inversée. Les Indiens parlent d’innovation frugale. C’est en ce sens que l’innovation inversée, qui permet de faire plus avec moins, pourrait aider les pays de l’Ouest à soigner à moindre coût, plus efficacement.
Mais ce n’est pas seulement une question de coût. L’innovation inversée est aussi une vraie source de progrès. Pour pallier le manque de ressources et d’infrastructures, les pays en développement ont sauté l’étape de la téléphonie fixe et des énergies à base de combustibles fossiles pour passer directement à la téléphonie mobile et aux énergies renouvelables. Les scientifiques de ces pays ne se laissent pas enfermer dans des façons de penser et de faire qui sont rigides et immuables. Ils sont davantage prédisposés aux innovations de rupture et sont plus enclins à faire des bonds technologiques. Ils inventent par nécessité.
Voici sept exemples récents d’innovation inversée dans le domaine de la santé :
- Le « Himalayan Cataract Project », initiative née au Népal, a permis pour seulement 20 dollars de restaurer la vue à 4 millions de patients atteints de cataracte dans 24 pays.
- Le Cardiopad, une tablette tactile qui vient du Cameroun où l’on compte moins de 50 cardiologues pour 20 millions d'habitants. Cet appareil portable permet d'effectuer des examens cardiaques en moins d’une demi-heure dans des zones rurales reculées, ce qui était impossible auparavant, et de transmettre immédiatement les résultats à un réseau de cardiologues.
- Practo, une plateforme réunissant quelques 200 000 médecins et 10 000 hôpitaux. Les 25 millions de patients qui y recourent chaque année en Inde peuvent en un clic prendre, changer et annuler un rendez-vous avec des médecins généralistes ou spécialistes et peuvent payer leur consultation en ligne à tout moment, et de n'importe où.
- Zipline, une start-up dont les drones peuvent effectuer entre 50 et 150 vols par jour pour fournir en urgence à des cliniques rwandaises 1,5 kg de sang destiné à des transfusions qui ont déjà permis de sauver 6 millions de vies. Deux hôpitaux suisses utiliseront dès 2018 un service de livraison par drone inspiré de Zipline.
- 3nethra, un appareil d'imagerie ophtalmologique portable, peu coûteux et non-invasif mis au point par la start-up indienne, Forus Health. Il dépiste les cinq affections oculaires qui sont les principales causes de cécité. 3nethra Neo permet de détecter la rétinopathie chez les prématurés, laquelle, si elle n’est pas traitée à temps, peut rendre l’enfant aveugle.
- Sense Ebola Follow Up, une application mobile de localisation par GPS qui réduit de 72 à seulement 2 heures le délai entre l'identification d'un cas suspect d’Ebola et la confirmation de contamination. Cette invention a contribué, avec une efficacité inégalée, à la lutte contre le virus Ebola au Nigéria, en Sierra Leone et en Guinée.
- Accompagnateurs, des auxiliaires de santé issus du même cadre de vie que les patients sont recrutés, formés et rémunérés pour les accompagner vers la guérison. Ce système d’agents de santé communautaires a été mis en place d’abord en Haïti, au Rwanda ou au Mexique, puis dans les quartiers démunis de Boston où il a permis de réduire les dépenses d'hospitalisation de près de deux tiers et les coûts de traitement de 36%. Les autorités médicales d'autres pays pourraient se montrer réticentes à recourir à ce modèle. Elles ne devraient pas. L'OMS estime qu'il faudrait environ 40 millions de médecins supplémentaires d'ici 2025, un chiffre hors d'atteinte. Le monde aura besoin d’accompagnateurs.
La Fondation de l’Académie de Médecine organise des forums bilatéraux pour échanger sur les progrès de la médecine. Nous l’avons fait au Brésil, en Chine, en Inde, au Mexique, en Russie et au Sénégal. Il nous est apparu évident qu’un nombre croissant d'innovations disruptives viendra de toutes les économies émergentes sur des sujets primordiaux tels que la prévention, la nutrition, l’accès équitable et sécurisé aux médicaments, la télémédecine et le dépistage rapide des maladies infectieuses.
Une partie du travail à accomplir dans les prochaines années consistera alors à déterminer comment les pays développés pourraient s'inspirer des innovations provenant de pays en développement afin d’accélérer la transformation de leurs systèmes de santé.
L’accès au soin, le défi majeur de ce siècle
Nous sommes face à des défis majeurs. La science a bien évidemment contribué à la réalisation d’énormes progrès que j’ai en partie évoqués ici. Et le flux des découvertes scientifiques et médicales devra s’accélérer. Il reste que, même si on y parvient, la science seule ne pourra sortir le secteur de la santé de l'impasse. Le progrès scientifique ne suffira pas à compenser les carences qui plombent les systèmes de santé. Car ceux-ci doivent relever le défi majeur auquel ils sont confrontés, celui de l'accès. Donner l’accès au plus grand nombre aux meilleurs soins au meilleur coût.
On ne peut envisager un monde où la médecine de pointe, issue des dernières avancées scientifiques et technologiques, ne serait réservée qu’à une poignée d’élus, où les disparités croissantes dans l’accès à des soins de qualité entraîneraient une dégradation inéluctable de l’état de santé général des populations. Cela générerait une hausse des dépenses, laquelle affaiblirait encore un peu plus les systèmes de santé, et certains pourraient même s'effondrer à long terme.
Les sept exemples d'innovation inversée cités dans ce papier améliorent et facilitent l'accès aux soins, soit par une organisation plus efficace, soit par un abaissement des coûts. Provenant des nouvelles économies, ils permettent de réduire les inégalités dans l'utilisation des soins de santé. Ce n’est qu’en mettant sur un même pied d’égalité toutes les idées novatrices, qu'elles viennent de pays en développement ou de pays développés, que nous pourrons tirer pleinement parti de tous les grands esprits de ce monde. De plus en plus, le Nord importera des idées du Sud. Le Nord s’inspirera du Sud.
Jean-Marie Dru
Sur Twitter : @jeanmariedru
entrepreneur/intrapreneur
7 ansMerci pour cet article. Une tendance de fond se précise. Nous n'en prenons pas conscience étant les acteurs de ce changement mais dans 20 ans les générations futures nous remercierons. Le tout est de faire participer tous les acteurs concernés sans quoi les GAFA passeront seuls et devant tout le monde.
EMEA Sr. Commercial Energy Asset Manager chez Tesla
7 ansFrançois Bataille
Résidence Services Seniors "Les Girandières" - Groupe ZENITUDE PLOËRMEL
7 ansJ'aime la conclusion
Haircare expert B to B & B to C
7 ansGuillaume Costil ;)
Responsable Projets Nationaux - IDF/Hauts-de-France/PACA - Rhumatologie
7 ansCharlotte Viard Lidiya Zinko Alexandra ROMANET Alexandre PINTO