Les vraies innovations disruptives
« Uber n’est pas réellement disruptif. » Telle est la thèse que défend Clayton Christensen, professeur réputé de Harvard. Cette assertion défie le bon sens. Bien sûr qu’Uber est une vraie disruption.
Mais elle n’entre pas dans le cadre défini par le professeur américain. Pour lui, ne sont disruptives que les innovations provenant de nouveaux entrants qui abordent le marché par le bas, les nouvelles technologies leur permettant de proposer des produits ou services moins chers. Ils pénètrent par la suite le cœur du marché, menaçant de déstabiliser les entreprises établies. Selon cette définition qui s’applique avec justesse, mais de façon presque exclusive aux start-ups, une majorité de succès récents, déjà légendaires, tels que Xiaomi, Alibaba, Burberry, Big Bazaar, Red Bull, Toms, Haier, Spotify ou Zappos ne seraient pas des disruptions.
Il en va de même pour Apple. Le plus grand disrupteur de ces vingt dernières années n’est jamais rentré par le bas du marché. Bien au contraire, dès le départ, l’iMac, l’iPod ou l’iPad étaient des produits haut de gamme. C’est le problème avec beaucoup de théories, aussi brillantes soient-elles. Elles finissent par déformer la réalité pour la faire entrer de force dans une grille de lecture préétablie.
La définition de Christensen est clairement trop étroite.
Je préfère revenir à l’étymologie. Disruption provient du latin « disrumpere » qui signifie « rompre ». Ainsi le mot dans sa définition courante renvoie à quelque chose de beaucoup plus large que ce à quoi Christensen le limite. Il renvoie à tout ce qui n’est pas graduel.
C’est cette définition que beaucoup d’analystes et chefs d’entreprise utilisent. Je pense par exemple à A.G. Lafley, l’ex-CEO de Procter & Gamble. Pour lui, il y a tout simplement deux types d’innovations : l’innovation incrémentale et l’innovation disruptive. Par incrémental, il entend les progrès à la marge. Une amélioration de formule. L’élargissement d’une gamme. L’entrée dans un marché adjacent. Par contraste, l’innovation disruptive apporte des changements radicaux, comme l’illustrent brillamment les exemples cités plus haut.
Les innovations incrémentales alimentent un flux continu de revenus. Mais les innovations disruptives, prises dans le sens large du terme, génèrent plus de chiffre d’affaires et de profit. Elles assurent la pérennité des entreprises.
Or, la plupart des sociétés qui ne sont pas nées de l’internet, des sociétés qui ne sont pas prioritairement liées aux nouvelles technologies souffrent d’un rythme d’innovations disruptives insuffisant. Même Procter & Gamble est confronté à ce problème. L’entreprise qui fait partie depuis plus d’un siècle des corporations les plus inventives n’a lancé depuis dix ans que deux innovations réellement disruptives. Swiffer et Febreze.
Comme Procter & Gamble, beaucoup de firmes sont à court d’inspiration. Je ne pense pas que la théorie de Christensen puisse leur porter grand secours. Aux entreprises qui essayent d’imaginer de nouveaux relais de croissance, Christensen exclut de leurs réflexions toutes les stratégies disruptives, idées disruptives, business models disruptifs qui ne correspondent pas à sa définition. Il réduit le champ des possibles.
Ce qui, pour toute entreprise en mal d’innovation, est particulièrement contre-productif.
Il faut aussi combattre l’idée que disruption est synonyme de destruction. Ce courant de pensée a trouvé son origine dans la théorie de Christensen, laquelle s’est vue fréquemment appliquée aux start-ups qui déséquilibrent à jamais leur marché. En conséquence, beaucoup trop de responsables marketing pensent que leur choix se limite à l’alternative suivante. D’un côté, les stratégies graduelles, incrémentales et de l’autre, les stratégies destructrices. Alors qu’il existe tout un éventail de stratégies, d’approches disruptives, qui permettent aux entreprises de se tailler de belles parts de marché sans pour autant bouleverser leur marché.
Toutes les entreprises n’ont pas à suivre le modèle de Netflix ou d’Airbnb. Ni même d’Uber.
Un dernier mot sur la disruption. Pour la plupart des analystes du monde des affaires tel Clayton Christensen, le terme « disruption » sert de cadre conceptuel pour expliquer l’existant. Leur approche est purement analytique. Pour moi, différemment, la Disruption® n’est pas une théorie, c’est une méthodologie. Elle n’est pas statique, elle est dynamique.
Une théorie décrit et interprète ce qui est, une méthodologie permet d’imaginer ce qui peut être.
Cet article est une adaptation de l’article de Jean-Marie Dru publié initialement en anglais sur Forbes.com, puis repris sur LindkedIn.
Vous pouvez suivre Jean-Marie Dru sur Twitter @jeanmariedru
Chef de Projet Marketing chez Epsilon (Publicis Groupe) | Copywriter freelance spécialiste des e-mails et acquisition META ✍️
7 ansMerci M. Dru pour ce rappel rafraîchissant ! Cet article est particulièrement intéressant grâce aux nombreux exemples cités qui permettent de mieux cerner le concept de disruption. Il faut comprendre que le modèle disruptif s'appuie sur une réflexion de l'esprit anti-conventionnelle et non sur une théorie.
Data Analyst
8 ansDans votre analyse, je suis en désaccord sur un point en particulier : l'exemple d'Apple. Il est vrai que Clayton Christensen a estimé pendant longtemps que l'iPhone n'était pas une innovation de rupture. Il a toutefois changé de fusil d'épaule il y a déjà un bon moment, en admettant avoir mal défini la cible disruptive : en effet, dans le monde des téléphones, l'iPhone n'a jamais été une innovation de rupture ; la disruption potentielle - car c'est toujours un potentiel qui dépend d'une bonne exécution stratégique et de facteurs externes incontrôlables, et non une fatalité - se situe par rapport aux ordinateurs. Si l'iPhone est disruptif, c'est parce qu'il a représenté pendant longtemps une alternative de basse qualité (dans le sens où il ne fait ou faisait pas tout ce que pouvait faire un ordinateur) aux ordinateurs traditionnels. Qu'on trouve à redire ou non à cette analyse, elle souligne en tout cas l'idée que la disruption est toujours contextuelle, et ne se joue pas nécessairement dans le cadre strict d'une catégorie de produit définie ou d'un segment de marché restreint. Par ailleurs, la théorie de la disruption développée dans l'ouvrage de C. Christensen The Innovator's Dilemma décrit certes un phénomène et explique avant tout la chute (totale ou relative) de géants "incumbent" par rapport à de nouveaux venus sans légitimité apparente, mais les ouvrages de Christensen qui ont suivi établissent plus concrètement une méthodologie d'action. Je ne saurais les détailler ici car je ne les ai lus qu'en partie, et certains de ses aspects complexes me sont peu familiers m'échappent, mais il faut tout de même le noter. Du reste, vous avez tout à fait raison en disant que la disruption/destruction n'est pas le seul chemin de la réussite. Scott Anthony, un des principaux "disciples" de Christensen, l'évoquait il y a quelques années dans un article que je ne retrouve pas malheureusement : quelque part, on s'en "fiche" de savoir si une innovation est disruptive ou non, si elle marche. Mais ça n'en rend pas la théorie plus fausse pour autant, sauf bien sûr si le succès en question vient directement contredire les fondements de la théorie.
CADRE UNIVERSITAIRE RETRAITEE ACTIVE
8 ansà jean marie dru, je suis en ce moment entrain d'évaluer la portée numérique des startup, à très xn--bientt-mxa.qu'en penses tu? sinon rappelle moi par un signe.
chef d'entreprise
8 ansil n y a pas de courant de pensée ...s il n y qu une seule idée ......c est simplement un singuliiarisme agaçant et obséquieu qui représente un individu sans interet ..