L’ajustement de la TVA ne présente aucun intérêt pour les freelances

L’ajustement de la TVA ne présente aucun intérêt pour les freelances

La semaine dernière (celle du 6 avril), une nouvelle mesure de soutien aux professionnels en difficulté a été annoncée : la possibilité de calculer la TVA due forfaitairement. Si cette mesure peut éventuellement trouver un intérêt pour les redevables qui vendent des biens, il apparaît difficile d’y trouver un quelconque intérêt pour les prestataires de services. Par ailleurs, elle est l’occasion de réfléchir à la structure de financement souhaitable pour passer la crise.


La TVA : une taxe exclue des dispositifs de soutien jusqu’à très récemment

La TVA est une taxe indirecte. Cela signifie que le payeur n’est pas celui qui en supporte la charge. On comprend aisément cela quand on fait partie du système et qu’on se trouve à facturer de la TVA à ses clients pour la reverser ensuite au Trésor Public le mois qui suit.

Il avait été annoncé dès le début de la crise que les redevables de la TVA devaient continuer à s’acquitter de la taxe dans la mesure où ils détenaient de l’argent qui ne leur appartenait pas (cet argent réglé par les clients appartenant à l’Etat).

Sans remettre en cause l’obligation de déclarer et payer la TVA, l’annonce de cette semaine a entrouvert la possibilité de ne pas régler dans l’immédiat ce qui était réellement dû.


La mesure annoncée

Là où il est d’usage de déclarer un mois les opérations survenues le mois précédent, et de s’acquitter du montant dû, un assouplissement a été prévu pour les déclarations déposées au cours des mois d’avril et mai (concernant donc les opérations des mois de mars et avril). Concrètement, les entreprises pourront ne déclarer qu’un acompte égal à 80% de la TVA due lors du mois précédent.

Cette mesure est toutefois réservée :

  • aux entreprises étant dans l’incapacité de pouvoir déterminer avec exactitude leur TVA, dû au fait que leurs pièces comptables ne sont pas accessibles à cause du confinement.
  • aux entreprises qui ont subi une baisse de chiffre d’affaires du fait de l’épidémie. Pour ces dernières, il est même possible de verser un acompte de seulement 50% du montant du mois précédent, en cas de fermeture administrative ou baisse du CA de cette proportion.

La régularisation interviendra lorsque le confinement sera levé.


Les limite de la mesure

Sans vouloir critiquer la mesure en soi, qui pourra peut-être soulager certaines structures, il me semble aisé d’y voir ce qu’elle n’est pas : un soutien de trésorerie à moyen terme.

Parmi les limites de la mesure, je voudrais souligner les suivantes : 

  1. Il convient d’ajuster manuellement la TVA, et même si le principe est simple, des erreurs notamment lors de la régularisation pourront intervenir, ce qui occasionnera des pénalités.
  2. Pour les prestataires de service qui doivent déclarer leur TVA non pas à la date de facturation mais à la date de perception du dû client, cette mesure ne sert à rien. Si nos clients nous ont réglé, on a de quoi reverser la TVA, à l’inverse tant qu’ils n’ont pas réglé, il n’y a rien à reverser. Cette situation bien plus avantageuse que pour le régime des ventes de bien, n’est pas source de tension de trésorerie. Dès lors, se baser sur la TVA réglée au titre du mois précédent ne fait aucun sens pour atténuer l’effort de trésorerie. On pourra aisément trouver des cas où même 80% de la TVA due en mars est supérieur à 100% de la TVA due en avril.
  3. Il ne s’agit pas d’un décalage d’échéance, comme ce que l’URSSAF a mis en place par exemple, mais d’un mode de calcul dérogatoire. Le montant réellement dû n’est pas déclaré immédiatement, mais il sera naturellement bien à régler dans un futur assez proche, à priori dès la fin du confinement. Là où les échéances sociales se sont vues reporter de 3 mois, il n’est pas sûr que le solde de TVA à régler soit repoussé, d’un point de vue effectif, d’un délai aussi long.


La première limite peut paraître anecdotique, mais elle doit s’apprécier dans un environnement où les ressources sont limitées. Les cabinets comptables sont grandement sollicités par leurs clients qui réclament de l’information, du conseil et de la réactivité. Ils ne sont pour autant pas exempts des mêmes limitations pratiques que subissent la plupart des entreprises du pays. Est-il vraiment souhaitable de consommer de la ressource cabinet pour mettre en place un report de TVA quand le gain de trésorerie est aussi limité ? A apprécier au cas par cas naturellement.

La seconde limite est assez explicite, du moins je l’espère, pour les indépendants en freelance. 

Quant à la dernière, c’est probablement la plus importante par la question qu’elle pose : en quoi cette mesure me permettra-t-elle de surmonter la crise ?


Ne pas mélanger les mesures de soutien

Quelle que soit la taille d’une entreprise, la question de la trésorerie revêt une importance de premier ordre. De ce point de vue, les mesures annoncées ne se valent pas toutes.

Le report des échéances sociales oscille entre 3 mois pour les cotisations d’employeurs et 6 mois pour les indépendants (puisque les échéances non prélevées sont annoncées comme reportées par étalement sur les échéances à venir sur le 2e semestre). On vient de le voir, le report de TVA sur la fraction non réglée sera très limité, quelques semaines à priori. Il s’agit ici de mesures à très court terme qui poseront probablement un souci de redémarrage pour certains qui auront besoin de trésorerie pour effectuer des achats le moment venu. Pour ceux-là il faudra arbitrer entre régler la dette URSSAF de mars ainsi reportée ou régler un fournisseur permettant ainsi de remonter le rideau et donc rentrer du chiffre d’affaires (cas de nombreux commerçants).

On peut ainsi déduire que l’ambition de l’Etat (avec ces mesures de report) était simplement de ne pas entraîner de cessation des paiements du fait de l’exigibilité de sommes sociales ou fiscales. Ces mesures sont des mesures de soutien indirectes.

La véritable mesure permettant d’améliorer la trésorerie des entreprises est le PGE (Prêt Garanti par l’Etat). C’est vers les banques classiques (comprendre hors BPI et hors banques en ligne qui n’ont souvent pas l’autorisation d’accorder des crédits) qu’il faut se tourner pour pouvoir en bénéficier. Les PGE prévoient un différé de remboursement d’au moins un an et constituent à ce titre une véritable solution de financement à moyen terme qui permettra d’aborder la question du remboursement une fois que l’activité sera pleinement repartie (du moins peut-on l'espérer).


Concluons

Cet acompte de TVA doit-il être mis en oeuvre ou non ?

Dans un premier temps, non s’il ne s’accompagne pas d’une demande de PGE, seule à même de sauvegarder une structure de financement cohérente dans une optique de survie à moyen terme. La modulation de la TVA ne peut être qu’une mesure très accessoire, mais certainement pas l’outil principal de cette ambition.

Dans un second temps, il faut considérer l’activité exercée. Dans le cas de prestations de services, le mode de calcul de la TVA est tel que la mesure ne servira à rien dans probablement plus de 99% des cas. A l’inverse, elle peut faire sens pour des structures dont l’objet est la vente de bien, dans certaines situations.

Identifiez-vous pour afficher ou ajouter un commentaire

Plus d’articles de Guillaume Delemarle

Autres pages consultées

Explorer les sujets