La généralisation de la facturation électronique en France dès 2023, sous quelles conditions ?

La généralisation de la facturation électronique en France dès 2023, sous quelles conditions ?

Malgré quelques réticences au début, notamment dues à l’importante réglementation fiscale/TVA et juridique applicables aux factures, les entreprises jouent un rôle majeur dans le développement de la facturation électronique.

D’une manière générale, la dématérialisation des factures présente de nombreux avantages pour ces dernières :

  • Une réduction du coût de traitement administratif et du coût d’archivage ;
  • Une réduction des délais de paiement ;
  • Une réduction du risque fiscal/TVA et comptable grâce à une automatisation des processus et des contrôles renforcés ;
  • Une meilleure relation commerciale avec leurs partenaires ; et
  • Une promotion des valeurs de l’entreprise, notamment au regard de leur empreinte carbone

Au niveau mondial, c’est environ 55 milliards de factures qui ont été échangées sous un format électronique en 2019, pour un total de 550 milliards de factures [1].

La pandémie du COVID-19 a en outre démontré l'importance d'un processus dématérialisé robuste de bout en bout afin de pouvoir maintenir le fonctionnement administratif et comptable des entreprises.

La gestion de cette crise, à travers le confinement des organisations, a imposé le recours massif au travail à distance rendant la réception, l’émission, le traitement et le contrôle des factures plus difficile.  

La situation actuelle sanitaire et financière, couplée avec le renforcement des obligations de transparence et de compliance liées aux réglementations fiscales/TVA et juridiques, bouscule ainsi nettement les organisations comptables des entreprises et contribue au développement de nombreux projets de dématérialisation ayant pour but de rationaliser, transformer, sécuriser et offrir des processus de gestion plus performants.

Par ailleurs, depuis quelques années, dans un objectif de lutte contre la fraude à la TVA, certains Gouvernements tendent, comme en Italie, à généraliser la facturation électronique. Sans imposer cette dernière, certains Gouvernement, comme la Grèce, tendent quant à eux à inciter à son recours.

Sous l’impulsion de réformes internationales en matière de contrôle périodique et continue des transactions (modèle CTCs : « Continuous Transaction Controls »), le gouvernement français, au travers de l’article 153 de la Loi de Finances pour 2020, souhaite généraliser la facturation électronique entre assujettis dès 2023/2025 et envisage la possibilité d’un pré-remplissage des déclarations de TVA/CA3.

Le développement de la facturation électronique n’est cependant pas nouveau. En France, comme en Europe, une généralisation de la facturation électronique a effectivement déjà été opérée dans le cadre des relations entre un assujetti et le secteur public (relation « Privé-Public »), sous l’égide de la Directive 2014/55/EU.

Dès 2015, au travers de la Loi n°2015-990 du 6 août 2015 (dite « Loi Macron »), le Gouvernement avait déjà souhaité instaurer la possibilité de pouvoir introduire par ordonnance une obligation pour les entreprises d’accepter les factures électroniques. Jugées contraires à l’article 232 de la Directive TVA, ces dispositions ont cependant été abandonnées.

En effet, afin de pouvoir appliquer la généralisation de la facturation électronique, la France devra demander, et obtenir, une dérogation à l’article 232 de la Directive TVA, qui prévoit que « l’utilisation de la facture électronique est soumise à l’acceptation du destinataire ».

Avec l’article 153 de la Loi de Finances pour 2020, le Gouvernement a cependant franchi une étape supplémentaire mais les contours et les modalités d’application du dispositif demeurent toujours flous et restent encore à définir. Un rapport sur le modèle « cible » est d’ailleurs attendu de la DGFIP et doit être remis sous peu au Parlement.

***

Un calendrier d’implémentation qui reste à clarifier

Le texte adopté l’année dernière prévoit une généralisation de la facturation électronique au plus tôt à compter du 1er janvier 2023 et au plus tard à compter du 1er janvier 2025.

  • Est-ce qu’il s’agirait de prévoir une date unique située entre le 1er janvier 2023 et le 1er janvier 2025 pour tous les acteurs ? ou bien
  • S’agirait-il de prévoir une implémentation graduelle de l’obligation, qui pourrait notamment dépendre du chiffre d’affaires des assujettis ?

Par mesure de cohérence, le Gouvernement devrait dans tous les cas prévoir une date unique à laquelle tous les assujettis seront dans l’obligation de recevoir des factures sous format électronique.

Champ d’application de l’obligation de facturation électronique

La dérogation obtenue par l’Italie, seul Etat membre à avoir adopté la facturation électronique obligatoire, prévoit que ne peuvent être soumis à l’obligation d’émettre une facture électronique que les assujettis établis en Italie. On peut donc s’attendre à ce qu’en France, les assujettis immatriculés à la TVA en France mais non établis, ne soient pas soumis à cette obligation.

Par ailleurs, l’obligation d’émission de factures électroniques à destination d’un client assujetti non établi en France ainsi qu’à destination d’un client non assujetti pourrait s’avérer difficile dès lors :

  • Qu’il n’existe pas d’obligation pour un assujetti non établi en France de recevoir des factures électroniques ; et
  • Que la réglementation fiscale/TVA actuelle n’impose pas par principe l’obligation d’émettre des factures dans le cadre d’une opération réalisée au profit d’un non-assujetti (excepté le cas particulier des ventes à distance intra-communautaires de biens).

En ce qui concerne les opérations visées et afin d’éviter toute complexité supplémentaire dans la mise en œuvre du dispositif par les acteurs concernés, il serait sans doute pertinent de ne pas retenir un champ d’application « dégradé » mais qu’il soit inclus dans le champ d’application du dispositif l’ensemble des opérations domestiques (opérations taxables, opérations exonérées de TVA ou en suspension, opérations donnant lieu à auto-liquidation de la TVA, etc.) réalisées à partir du numéro de TVA intracommunautaire français du vendeur.

Il devra enfin être précisé si les opérations réalisées entre deux assujettis français mais réputées extraterritoriales au regard des règles de TVA seront ou non couvertes (par exemple, livraisons de biens de Chine vers les USA entre deux assujettis français ou chaînes de reventes complexes impliquant plusieurs parties et notamment des opérateurs intermédiaires français).

Vers un modèle mixte de type « e-Invoicing Clearance » combiné avec du « e-reporting » ?

En Europe, le modèle « post-audit », adopté en masse jusqu’à présent, tend à évoluer rapidement. Avec l’émergence de nouvelles solutions et le recul de certains Gouvernements ayant déjà adopté il y a plusieurs années de nouveaux dispositifs, de nombreux Etats membres optent pour des modèles permettant un contrôle périodique et continue des transactions (« Continuous Transaction Controls » - CTCs) :

  • Un modèle de déclaration des données des factures en temps quasi-réel : « Near Real-Time e-Reporting Model » ; et/ou
  • Un modèle d’approbation des factures avant transmission aux clients : « e-Invoicing Clearance Model ».

Dans la grande majorité des Etats ayant adopté la généralisation de la facturation électronique, le dispositif prévoit une approbation de ces dernières en amont de leur transmission. Par ailleurs, un tel modèle est souvent couplé d’une solution de « e-Reporting » permettant de collecter les informations des flux non couverts par la facturation électronique (factures émises à destination d’un non assujetti ou d’un assujetti non établi dans l’Etat concerné, autres informations métiers, etc.).

Pour suivre cette tendance mondiale, le Gouvernement français pourrait dès lors envisager un modèle mixte combinant une solution de type « e-Invoicing Clearance » ainsi qu’un dispositif complémentaire de « e-Reporting ».

Les modalités de transmission des factures électroniques et l’utilisation d’opérateurs privés certifiés

Dans le cadre de relations entre un assujetti et le secteur public, les factures doivent obligatoirement transiter par le portail de la plateforme publique CHORUS-PRO. Ce dispositif est obligatoire pour tous les acteurs depuis le 1er janvier 2020.

Au travers d’un consortium regroupant de nombreuses entreprises, l’Agence pour l’Informatique Financière de l’Etat (AIFE) et l’administration fiscale ont réalisé une expérimentation qui s’est achevée le 26 juin 2020 et qui avait pour objectif de tester l’utilisation de la plateforme publique CHORUS-PRO dans le cadre de ce nouveau dispositif.

Si au cours des premiers échanges et débats entre professionnels du secteur, CHORUS-PRO est souvent annoncée comme pouvant être retenue pour jouer le rôle de la future « plateforme gouvernementale » pour la réception et le traitement des données de facturation dès 2023, rien n’est encore certain et nous pouvons légitimement nous interroger sur sa mise en œuvre technique. En l’état actuel de la plateforme, CHORUS-PRO gère des dizaines de millions de factures par an dans le cadre des échanges « Privé-Public ». Or, on peut penser que la généralisation de la facturation électronique aux échanges B2B devrait représenter annuellement des milliards de factures.

Le Gouvernement pourrait donc, à la différence de l’Italie par exemple (plateforme publique SdI), trouver des solutions alternatives et opter pour le recours à des plateformes privées « certifiées ». Ces plateformes privées certifiées seraient en charge d’approuver les factures et extraire les données concernées pour les transmettre à l’administration fiscale. La certification d’opérateurs privés est un concept repris d’ailleurs en Grèce pour la mise en œuvre de solutions de dématérialisation des factures en B2B ou encore en France avec les opérateurs INFOCERT et LNE pour les logiciels de caisse. Il restera à définir clairement les termes et conditions de cette « certification » pour les entreprises et les acteurs notamment en termes de responsabilité et de cahier des charges.

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En ce qui concerne les factures qui entreraient dans le champ d’application du dispositif, Il est donc peu probable, dans l’hypothèse où un modèle de type « e-Invoicing Clearance » serait adopté, que les assujettis puissent émettre les factures directement à leurs clients, la plateforme publique et/ou la plateforme privée certifiée jouant ainsi le rôle de « clearance ». Le recours à un tel modèle pourrait également mettre un terme ou limiter la possibilité offerte aujourd’hui aux assujettis de recourir à l’auto-facturation. Ce point devra être clarifié.

Une liberté ou une restriction des formats de facturation ?

Aujourd’hui, les entreprises jouissent d’une certaine liberté quant au choix du format qu’elles souhaitent développer dans le cadre de leurs relations commerciales avec d’autres assujettis mais également avec le secteur public (mode webEDI, EDI, PDF).

Ainsi, un assujetti peut avoir librement recours aux formats non structurés, tel que le PDF simple, ou à n’importe quel format structuré, tel que XML ou encore EDIFACT, norme syntaxique et sémantique étant largement utilisée dans certains secteurs.

En revanche, l’adoption d’un modèle de type « e-Invoicing Clearance » se traduit généralement par une obligation d’émettre des factures sous un format structuré spécifique. C’est tout du moins ce que confirment les expériences récentes en la matière comme en Italie, où un format unique structuré est requis (XML).

  • Est-ce que la généralisation de la facture électronique signe la fin du PDF simple ?
  • Est-ce que la France va, comme l’Italie, adopter un format de facturation électronique restreint basé sur la Norme EN16931 ?
  • Est-ce que l’adoption d’un format structuré spécifique remettrait également en question la liberté du format dans le cadre des relations entre un assujetti et le secteur public ?

Si actuellement les entreprises ont pu profiter d’une liberté quant au choix du format qu’elles souhaitaient développer dans le cadre de leurs relations commerciales, cette liberté pourrait être, sous peu, restreinte, voire supprimée.

S’il est vrai qu’une harmonisation des formats pourrait à long terme être bénéfique pour l’ensemble des acteurs européens, celle-ci devrait, selon nous, se traduire par l’adoption de formats harmonisés au niveau européen, notamment dans la continuité de la Norme EN16931.

Le recours à des plateformes privées certifiées pourrait plus facilement permettre une liberté quant au choix du format des factures électroniques. Ces dernières pourraient alors être chargées d’appliquer un cahier des charges imposé et extraire les données et les transmettre à l’administration fiscale sous un format unique.

Les données qui devront être transmises : de quelles informations de facturation parle-t-on ?

S’agissant des informations à transmettre, l’administration fiscale pourrait exiger, pour les besoins de l’analyse automatique des données, que des informations complémentaires aux mentions obligatoires prévues à l’article 242 nonies A de l’annexe II au CGI, soient transmises.

En effet, la seule présence de ces dernières ne permettrait pas de pouvoir analyser automatiquement l’opération, et notamment à titre d’exemple déterminer la nature exacte de l’opération (livraison de bien ou prestation de service, fonctions partenaires détaillées) et donc le régime de TVA associé.

Le sort des mentions légales prévues au Code de Commerce ou récemment dans le cadre de la Loi Egalim à compter du 1er octobre 2019 devra également être précisé.

Le devenir des obligations connexes

En parallèle des règles applicables à l’émission des factures, de nombreuses obligations connexes s’imposent aux assujettis. Ainsi, au-delà du dispositif en lui-même, la généralisation de la facturation électronique et la transmission des données à l’administration fiscale soulève plusieurs interrogations au regard de ces obligations connexes.

  • Est-ce que les modalités d’archivage des factures seront amenées à évoluer ?
  • Est-ce que le dispositif permettra pour certaines catégories d’opérations voire la totalité, sous certaines conditions, d’échapper à l’obligation d’élaboration de la documentation Piste d’Audit Fiable ?
  • Est-ce que l’administration, au travers des informations qu’elle détiendrait, pourrait préremplir les déclarations de TVA des assujettis, tout comme l’envisage actuellement l’Italie ?
  • Les modalités actuelles du contrôle fiscal seront-elles adaptées ?

Les conditions relatives aux conditions d’archivage légal des factures pourraient, au regard de la TVA, évoluer voire être atténuées. Toutefois, constituant une pièce fondamentale dans les relations commerciales et d’un point de vue comptable, une modification de la réglementation nous parait peu probable.

En ce qui concerne la Piste d’Audit Fiable (PAF), il ne peut être exclu que le Gouvernement prévoie que le dispositif à venir pourrait permettre aux assujettis, sous certaines conditions, d’échapper en tout ou partie à l’obligation d’élaboration de la documentation PAF pour les flux concernés. Les entreprises et professionnels seront très attentifs sur ce point étant donné que la documentation PAF représente actuellement un outil de contrôle puissant pour les brigades de vérification en complément du FEC et constitue également un critère déterminant et obligatoire pour les entreprises qui rentrent dans le processus de « relation de confiance » avec l’Administration.

Enfin, le pré-remplissage des déclarations de TVA/CA3 pourrait s’avérer être un exercice compliqué non seulement pour l’administration fiscale, étant donné la complexité des règles de gestion TVA à anticiper (opérations complexes, taux, exigibilité de la TVA, exonération/suspension, etc.) mais également pour les entreprises qui devront mettre en place des processus de contrôles et de réconciliations renforcés afin d’anticiper et justifier les écarts d’analyses et de déclarations identifiés. Des contraintes supplémentaires ajoutées aux obligations de compliance actuelles seraient donc à prévoir.

Outre ces interrogations, une attention particulière devrait à notre sens être portée en ce qui concerne les modalités d’utilisation des données par l’administration fiscale et leur opposabilité en cas de validation, notamment dans le cadre de la programmation des contrôles fiscaux ou encore des garanties offertes aujourd’hui aux contribuables.

***

Fin septembre 2020, un rapport de la DGFIP sera remis au Parlement sur les conditions de mise en œuvre de la généralisation de la facturation électronique qui devra identifier et évaluer les solutions techniques, juridiques et opérationnelles les plus adaptées (modèle « cible »), notamment en matière de transmission des données à l’administration fiscale, en tenant compte des contraintes opérationnelles des parties prenantes.

Le projet de Loi de Finances pour 2021, qui devrait être débattu sous peu, pourrait donc apporter des précisions complémentaires sur les modalités d’application de la généralisation de la facturation électronique, notamment dans l’hypothèse d’une entrée en vigueur du dispositif dès 2023.

Le Gouvernement pourrait également souhaiter, au travers de ce projet de Loi de Finances pour 2021 modifier le périmètre de l’article 153 de la Loi de Finances pour 2020.

En conclusion, étant donné les enjeux et les contraintes pouvant en résulter, la généralisation de la facturation électronique est un projet à suivre de très près afin de pouvoir anticiper les nouvelles obligations pour une meilleure anticipation et adaptation à l’horizon 2023/2025 et renforcer les projets existants ou futurs des entreprises.

[1] « The e-invocing journey 2019-2025 », Billentis, September 2019

Article rédigé par Laurent Poigt, Avocat Associé, TVA - Technologie & Transformation et Marvin Doose, Collaborateur TVA - Technologie

PwC Société d'Avocats

Pascal Lacoste

Consultant expert en facturation électronique et réforme 2026

4 ans

Article très clair. Merci

Laurent Poigt merci pour ces premières informations fortes utiles qui permettent de dégager les tendances futures. Une première question 😎, doit-on comprendre par assujetti tous les assujettis établis ou non, respectivement les sociétés étrangères au bénéfice d’une immatriculation TVA (par exemple sans établissement stable au sens IS) seraient également touchées selon toi ? 🧠

jean-François Clocheau

Creator of DAGTVA - Automatic withholding system to levy the VAT & Global Tax System - Owner Le Corbusier Houses

4 ans

Un article très complet qui résume bien une incertitude sur le choix des solutions en matière de facturation électronique. Il ne faut pas perdre de vue que le « juge de paix » dans ce domaine sera probablement l’OCDE avec son protocole  SAF-T dans sa version V2 qui va mettre tout le monde d’accord sur ce format XML normalisé. Celui-ci sera utilisé, et je ne vois pas comment il pourrait en être autrement, par l’obligation internationale de répondre au retour des taxes de ventes dans les États de marché aux Etats-Unis, suite à la décision aux US dans le procès Wayfair Inc. Le tout dans un ‘package’ afin de répondre à une requête du G20 de trouver une solution de taxation mondiale si possible pour 2021. Tous les détails sur dagtva.com

Frédéric MERCIER

Regional Partner Manager at Thomson Reuters

4 ans

Merci Laurent pour cet excellent article de synthèse qui pose les bonnes questions sur le devenir de la facture en France. Cela ouvre l'opportunité d'en finir avec les documents non interopérables.

Marc WOLFF 🐺

Vous protéger avec wapsi.fr et stratow.com

4 ans

Il faut se préparer et aussi favoriser envoi, réception et archivage des factures pdf. Des acteurs français existent dont QWEEBY et STRATOW.com Extranet-As-A-Service

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