La justice ne peut faire abstraction de l'élection présidentielle

170301 Le Figaro

Guillaume Drago :

«La justice ne peut faire abstraction de l'élection présidentielle»

 

 

·        Vox Politique


Par Guillaume Drago 

Mis à jour le 01/03/2017 à 19h24 | Publié le 01/03/2017 à 19h09


TRIBUNE - Il n'est pas raisonnable de convoquer un candidat a la présidentielle pour lui signifier sa mise en examen à l'avant-veille de la date limite de dépôt des parrainages, explique le professeur de droit public à l'université Paris II - Panthéon-Assas\*.


Grande nouvelle: les juges savent lire un calendrier! Depuis le début de ce qu'on appelle «l'affaire Fillon», le calendrier judiciaire est extraordinaire. Qu'on en juge, si j'ose dire. 25 janvier: publication des faits par Le Canard enchaîné. Le jour même, ouverture d'une enquête préliminaire par le parquet national financier (PNF), compétent pour les affaires «d'une grande complexité, en raison notamment du grand nombre d'auteurs, de complices ou de victimes ou du ressort géographique sur lequel elles s'étendent» (art. 705 du Code de procédure pénale). 27 février: transmission de l'affaire à trois juges d'instruction qui ouvrent une information judiciaire. 15 mars: probable mise en examen de François Fillon et de membres de sa famille, selon ce qui a été signifié aux avocats, soit deux jours avant la fin du délai de dépôt des parrainages des candidats à l'élection présidentielle, le 17 mars.


«À Paris, compte tenu de sa charge de travail, la brigade financière met parfois quatre à six mois pour ouvrir un dossier » (Un rapport de l'Assemblée nationale du 8 février 2017)


On est en droit de s'interroger sur ce processus ultrarapide. Un mois pour boucler l'enquête préliminaire, dans une affaire «d'une grande complexité». Quinze jours pour une information judiciaire et annonce, à l'avance, d'une mise en examen, sans audition des personnes concernées, sans débat contradictoire, tout en refusant aux avocats de saisir la chambre de l'instruction sur des questions fondamentales: l'incompétence du PNF, la protection constitutionnelle d'un parlementaire dans l'exercice de son mandat, l'atteinte potentielle à la séparation des pouvoirs, l'application de la prescription, rendue complexe par une loi nouvelle votée in extremis par le Parlement (pourquoi tant de précipitation…?). Des qualifications pénales de «détournement de fonds publics», de «trafic d'influence» ou de «non-déclaration à la Haute Autorité de la transparence de la vie politique» qui méritent nécessairement des vérifications nombreuses et approfondies et non une simple enquête de police, même conduite par des spécialistes des affaires financières.

Le juriste s'interroge: soit cette affaire est «d'une grande complexité», au sens du Code de procédure pénale et on ne comprend pas cette extrême rapidité de l'enquête et de l'information judiciaire. Un rapport de l'Assemblée nationale du 8 février 2017 interroge les magistrats de ce parquet qui «soulignent les délais parfois très longs pour qu'une affaire puisse être prise en compte. À Paris, compte tenu de sa charge de travail, la brigade financière met parfois quatre à six mois pour ouvrir un dossier» (rapport parlementaire, p. 54). Soit cette affaire n'est pas«d'une grande complexité» et alors on doit poser la question de la compétence du PNF et la validité de la procédure.




Chaque citoyen doit aussi s'interroger en conscience : quelle est la signification de tout cela ? Quel est l'objectif recherché ?


Rappelons simplement ce qu'a dit le Conseil constitutionnel en 2013 (décision n° 2013-679 DC du 4 décembre 2013) contrôlant la loi créant le PNF et sa compétence concurrente avec le parquet de Paris: «§ 60. Considérant, d'une part, qu'aux termes de l'article 6de la Déclaration de 1789, la loi doit être la même pour tous, soit qu'elle protège, soit qu'elle punisse» ; que son article 16 dispose: «Toute société dans laquelle la garantie des droits n'est pas assurée, ni la séparation des pouvoirs déterminée, n'a point de Constitution» ; que, si le législateur peut prévoir des règles de procédure différentes selon les faits, les situations et les personnes auxquelles elles s'appliquent, c'est à la condition que ces différences ne procèdent pas de distinctions injustifiées et que soient assurées aux justiciables des garanties égales, notamment quant au respect du principe des droits de la défense, qui implique en particulier l'existence d'une procédure juste et équitable garantissant l'équilibre des droits des parties ; § 61. Considérant, d'autre part, que la bonne administration de la justice constitue un objectif de valeur constitutionnelle qui résulte des articles 12, 15 et 16de la Déclaration de 1789», pour souligner les exigences qui doivent être celles du parquet dans ces affaires complexes. Chacun appréciera le respect de ces exigences constitutionnelles.

Chaque citoyen doit aussi s'interroger en conscience: quelle est la signification de tout cela? Quel est l'objectif recherché? Pourquoi ce calendrier judiciaire est-il parfaitement calqué sur le calendrier constitutionnel de l'élection présidentielle? On ne peut que s'interroger, sans porter de jugement, sur le but de l'institution judiciaire: peser sur l'élection comme sur les électeurs. Il ne s'agit pas ici de porter atteinte à l'institution judiciaire. Il faut seulement souligner que ces délais de procédure ont une incidence directe sur le processus électoral. Les juges ne peuvent l'ignorer et priver potentiellement les citoyens d'un candidat qui doit pouvoir se défendre sur le plan judiciaire, politique et médiatique dans un délai raisonnable pour préparer sa défense. Le calendrier judiciaire doit cesser d'interférer avec le calendrier politique. Il en va de la sérénité de la justice comme de celle du débat politique.




Guillaume Drago


* A notamment publié «Contentieux constitutionnel français» (PUF,coll. «Thémis», 4e édition, 2016).

Cet article est publié dans l'édition du Figaro du 02/03/2017. Accédez à sa version PDF en cliquant ici 


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