La leçon d'anthropologie n°9 : De l’emprise à la déprise
Pascale Jamoulle a étudié l’emprise dans différentes situations. Elle est l’auteure de Je n'existais plus ; les mondes de l'emprise et de la déprise (La découverte 2021). Dans cet entretien elle présente de manière simple (c'est important pour une question si complexe) ce qu'est l’emprise, et comment on peut s’en déprendre.
● « La notion d’emprise ne donne pas d’indication sur les rôles des abuseurs et des abusés ni sur les degrés d’emprise vécus. A Marseille, où j’ai étudié la vie d’un quartier sous la coupe de microtrafics de drogues, on dit qu’on est sous emprise quand on est «emboucanés jusqu’à l’os». Mon enquête multisites révèle que l’emprise est une machinerie, une mécanique de destruction qui fonctionne toujours de la même façon. Elle permet de s’approprier les personnes ou les groupes dans tous les lieux où le pouvoir peut devenir abusif, où les modes de régulation sont inexistants ou dysfonctionnels.
Les personnes sous emprise relatent un état de soumission et de dépendance à un pouvoir abusif qui les a utilisées comme des objets, en prenant possession de leur esprit, de leur corps, de leur vie sociale et économique, mais aussi de leur parole, en les mettant sous silence. C’est un processus qui se met lentement en place jusqu’à devenir un système totalitaire, qui impose allégeance, adhésion et silence. Réduire l’emprise à une relation psychologique toxique entre un bourreau et sa victime, un pervers narcissique et une proie, revient à
méconnaître sa dimension systémique, le poids de l’environnement, de même que la variété des formes qu’elle peut revêtir. On le voit dans le cas de Judith Godrèche : tous connaissaient cette relation, mais qui l’a questionnée ? Le milieu du cinéma considérait comme logique et normal d’instrumentaliser une petite fille de 14 ans. »
● « Pour s’en sortir, il faut trouver des recours. Tout peut servir contre l’emprise : une parole émancipatrice, un geste, une pensée flottante. Lentement, les femmes ou les hommes que j’ai rencontrés, aliénés par leur conjoint, leur travail, une secte, un gourou, s’en sortent parce qu’ils défont les nœuds de l’emprise. Ils ont pu imaginer qu’une autre vie était possible, ils se sont appuyés sur des fragments du moi qui subsistaient, ils ont été aidés par d’autres »
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● « Judith Godrèche raconte comment elle a dénoué un à un les nœuds de l’emprise pour se reconstruire comme personne. Elle se sépare de Benoît Jacquot, elle prend une distance physique avec son abuseur ; elle ira aux Etats-Unis, ce qui lui permet sans doute de récupérer un peu de for intérieur. Elle écrit un livre, Point de côté, une prise de parole qui est la sienne et donc, progressivement, elle déconstruit le lavage de cerveau qu’elle a subi. Dès qu’on prend la parole, on est comme un dissident, on brise l’interdit et le silence que le système d’emprise imposait. Avec ses prises de parole dans les médias, elle poursuit sa dynamique de déprise, elle décrypte les faits vécus avec beaucoup de justesse. Judith Godrèche a fait de sa colère un carburant pour faire ce qu’elle veut faire ; elle fait de son expérience un savoir émancipateur, une source de créativité. »
Extraits de l’entretien pour Libération (23.2.24) par Anastasia Vécrin
Pascale Jamoulle est docteure en anthropologie, licenciée en lettres et assistante sociale. Chargée de cours à l'UMONS (Université de Mons) et professeure à l'UCL (Université de Louvain), elle est membre du Centre de recherche en inclusion sociale (CeRIS/UMONS) et du Laboratoire d'anthropologie prospective (Laap/UCL). Elle a notamment publié à La Découverte Des hommes sur le fil (Poche, 2008), Fragments d'intime (2009) et Par-delà les silences (2013).
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Ingénieur de Recherche (émérite) 1ère classe au CNRS -chercheur associé à L'UMR Cnrs 7533 LADYSS
9 moisLa dimension psychologique et psychique de la relation d'emprise n'est pas incompatible avec le niveau psychosocial !! Selon l'approche ( grille de lecture des faits ( psychologique - psycho-sociale- sociologoque-anthropologique- ethnologique) les interprétations sont différentes . Mais ce qui est invariant c'est l'individu qui subit à différentes échelles ces processus redoutables et terriblement violents.
Responsable du Pôle Innovation petite enfance et parentalité, actions conjointes CAF - Département 93
10 moisMerci c’est une excellente mise en perspective de Pascale Jamoulle, et important comme besoin de précision sur les deux mécanismes
OG INITIATIVES
10 moisIl est intéressant et important d’entendre enfin des voix d’hommes abusés enfants, s’élever et dire l’intolérable. Ce metoo masculin accompagnant ce metoo féminin est à mon sens, un énorme progrès dans la prise de conscience sociétale de ces crimes d’emprise sur les corps et les esprits des enfants. Il est temps de combattre ces perversions et de protéger les filles et les garçons de ces pedo criminels 🥁🥁🥁
Coaching Analytique | Supervision | Public Speaking Training
10 moisMerci de signaler l'ouvrage de Pascale Jamoulle, il semble, à la lecture de votre post, approfondir et préciser ce qu'est l'emprise et son envers, la déprise. Travail nécessaire pour cerner la complexité du processus.
Éducateur spécialisé | Anthropologue
10 moisLes écrits de Pascale Jamoulle sont passionnants! 😊