La longue et incertaine route de la conversion en futaie irrégulière ... même pour le Douglas
Logiquement, dans son métier, on commence par appliquer les modèles enseignés à l'école. Puis, l'expérience aidant, et selon sa sensibilité, on en vient à remettre en question certains des enseignements reçus. C'est le cas pour la systémisation des itinéraires employés dans la conduite des reboisements résineux d'après guerre. Pour ma part (mais peut être est-ce indépendant de ma volonté car imprégné du modèle "cueillette" vécu dans les sapinières de mon Haut Beaujolais natal?), ce type de traitement ne me satisfait pas, en partie à cause de tout ce qu'il a pris comme habitude d'ignorer la vie des milieux naturels.
C'est pourquoi, à chaque fois que l'occasion m'en a été donnée, j'ai opté pour la conversion en futaie irrégulière dans nos parcelles familiales, ou dans celles des propriétaires qui m'ont accordé leur confiance. Au bout de toutes ces années, l'expérience montre que l'entreprise est un long cheminement et qu'une vie d'homme ne suffit pas à boucler un cycle.
En voici un exemple avec un peuplement de douglas de 3,4 ha.
- 1965 date probable de plantation
- 1985 première éclaircie manuelle classique 1ligne sur 5 ou 6 débardée au porteur
- 1995 décision de passer à la futaie irrégulière et sélective manuelle débardée au porteur.
- 2002 éclaircie à l'occasion de la récupération des chablis occasionnés par la tempête de fin 1999.
- 2007 éclaircie manuelle débusquée par traction animale et reprise au skidder.
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- 2022 nouveau martelage.
Ce dernier a été effectué après inventaire pour tenir compte de la structure du peuplement et a prélevé dans les catégories qui conduisent vers un rapprochement de la courbe de futaie irrégulière.
Les deux illustrations ci après en diront plus qu'une explication écrite.
Au vu de l'important volume sur pied et malgré le faible nombre de tiges, la vigueur du douglas aurait sans doute demandé des interventions plus rapprochées. D'autre part, la volonté de prélever essentiellement des arbres suffisamment gros a probablement freiné les prélèvements. Quoiqu'il en soit, la régénération s'est installée depuis la dernière intervention dans la partie la plus éclairée de la parcelle grâce à une bonne lumière latérale. Celle ci est généreuse, et parsemée de sapins pectinés, hêtres et quelques grandis. Sa profusion par endroit ne laisse pas craindre pour l'avenir et n'implique non plus aucun sacrifice au regard de tous les sujets qu'il faudra faire disparaitre, dans les cloisonnements ou lors de l'exploitation.
La dernière réflexion qui vient à l'esprit concerne plutôt la suite du processus. Si j'ai pratiquement l'assurance de pouvoir dépresser moi même les régénérations après exploitation, aurais-je encore le privilège d'organiser la prochaine intervention? Et dans le cas contraire, le travail entrepris sera t-il poursuivi ? Voilà bien un des principaux écueils auquel se heurte la forêt privée.
COMMERCE DE BOIS ET DÉVELOPPEMENT DURABLE.
2 ansBravo Bernard je partage ton approche que j'essaie de mettre en œuvre également sur certaines parcelles,je partage ta vision de la forêt de demain et c'est très bien d'ouvrir le debat..
Expert Forestier (gestion, études, expertises , formation)
2 ansBonjour Bernard Merci pour ce témoignage très humain. Je ne crois pas qu’il soit propre au traitement irrégulier. Quand on fait une coupe rase et qu’on plante, la temporalité des résultats est la même et l’incertitude est tout aussi forte (certainement de plus en plus forte d’ailleurs). Peut-être ne faut-il pas trop (se) projeter au-delà de nous mêmes, pour profiter pleinement du temps et de l’espace dont on a la charge? Chacun fait sa part, Ni plus ni moins. Et on le fait peut-être d’autant mieux qu’on s’exonère de doutes ou de peurs anticipées, et des incertitudes sur lesquelles on n’a pas de prises? En forêt encore plus qu’ailleurs. Cela ne procède pas d’un déni des incertitudes ou d’une absence de vision sur le long terme, bien au contraire. A mon avis en forêt on fait 100 fois plus d’erreurs à vouloir anticiper et précipiter les choses qu’à les gérer à nos échelles de temps et D’espace, comme tu le fais. Dis autrement à vouloir tordre la temporalité de la nature, on met à jour plus de problèmes que de solutions. Je ne doute pas qu’une suite cohérente sera donnée à tout cela. Car souvent quand ce chemin est emprunté la forêt nous le rend bien et il devient presque évident de continuer… Bravo à toi
Directeur technique EMO Concept SAS - Ingénierie et gestion environnementale
2 ansJe suis assez ému de vous lire, les premières lignes notamment. C'est ce que j'ai ressenti après l'obtention des diplômes horticoles. Je me suis très vite aperçu aussi que là n'était pas mon chemin, j'ai alors décidé de parcourir le monde pour mieux m'imprégner des différentes approches. Après 15 années en Asie, autant dans différents pays d'Europe, j'ai trouvé ma voie. Elle est peut-être singulière, à la marge, mais les résultats et la satisfaction sont à la hauteur de l'investissement personnel. Je vous comprends et vous félicite.
Ingénieur forestier
2 ansTrès beau témoignage qui rend parfaitement hommage au temps qui passe, l'un de nos outils de travail, celui qui nous use.
Forest development manager at EcoTree // President and co-founder of BOP film photography association
2 ansmerci pour ce témoignage très enrichissant... le temps de la forêt n'est pas réellement le nôtre n'est-ce pas.