La pétition des éhontés
À l'heure des crises environnementales croissantes, des pandémies, des guerres, des disparités sociales et de la haine raciale persistante, il y a vraiment l'embarras du choix sur la façon de se dépenser pour une cause collective.
Cependant, la population montréalaise est maintenant invitée à prendre les armes pour une bataille beaucoup plus sérieuse. En fait, deux pétitions sur change.org crient contre les administrations publiques de Villeray-St-Michel-Parc-Extension, Plateau, Sud-Ouest, Ville-Marie, Rosemont-La-Petite-Patrie, Mercier-Hochelaga-Maisonneuve et Verdun. Leur affront? Celui de contrer la spéculation sur le marché immobilier sur leurs territoires, la perte de logements locatifs et l'expulsion de leurs résidents les plus vulnérables.
Avec la proposition de règlement 1700-124, les sept arrondissements essayent de sauvegarder une partie des logements locatifs existants (en interdisant leur fusion en maisons individuelles au-dessus d'une certaine surface); de préserver les logements locatifs pour des familles (en interdisant leur subdivision comme stratégie spéculative); enfin, de limiter la conversion des maisons de chambre (parmi les options les plus accessibles du marché privé) en copropriété. Juste pour donner une idée de l'impact de ces pratiques, au cours des trois dernières années, 61 familles ont été forcées de quitter leur logement dans l'arrondissement de Verdun.
La décision assez différée des sept administrations est basée sur les sombres statistiques du marché immobilier de la Communauté Métropolitaine de Montréal, publiées par la Société Canadienne d'Hypothèques et de Logement (SCHL) à fin 2019. On apprend dans ce document que le taux d'inoccupation des logements de la région est, après une baisse régulière, le plus faible depuis une quinzaine d'années (1,5%), tandis que le coût moyen des loyers continue d'augmenter de façon dramatique (+ 3,6% par rapport à l'année précédente). Le rapport montre également que les logements de deux chambres disponibles sur le marché sont en moyenne 25% plus chers que le même type d'appartements occupés, ce qui reflète les avantages des "rénovictions" contournant le contrôle des anciens loyers.
Le changement de réglementation proposé (similaire parmi les sept arrondissements, mais avec de subtiles différences locales) ne s'engage pas contre les rénovations en elles-mêmes, pour lesquelles la Régie du Logement du Québec continue à être responsable. Par exemple, ceci n'empêche pas les propriétaires de rénover une propriété tout en conservant sa taille et en la remettant sur le marché à n'importe quel prix. Cependant, à travers ces mesures, les administrations limitent les types d'interventions possibles, de manière à faciliter la permanence des locataires actuels dans les quartiers centraux, qui sont équipés de services facilement accessibles dans un contexte de crise économique.
Or, l'une des deux pétitions mentionnées ("Empêcher l'adoption des règlements contre les subdivisions et agrandissements à Montréal") fait appel au droit de disposer entièrement de la propriété privée à des fins spéculatives. C'est la logique du "petit capitaliste": j'ai un capital à investir, le marché est de mon côté, je veux donc en profiter et l'élargir. Inutile d'expliquer à quelles fins: il est tenu pour acquis qu'être plus riche donne satisfaction en soi, peu importe ses effets sociaux. Il est intéressant de noter que dans cette pétition l'approche est effrontée, sans même la nécessité de promouvoir la bienveillance des petits capitalistes dans la relance de l'économie nationale (par exemple, en employant des entreprises de construction, des professionnels du design, etc.). Pour les amateurs d'idées révolutionnaires, on trouve, alternativement, l'appel à une contribution "collective" pour l'achat de terrains par les administrations locales aux fins de créer des logements abordables sur d'autres terrains.
De toute évidence, la réalité des faits démontre que les ressources de la Ville de Montréal souffrent du manque de contributions provinciales pour le logement social, et que le coût des terrains à Montréal (dont limite n'est pas réglé) ne peut être supporté par les administrations locales, à cause du même marché spéculatif que le petit capitaliste nourrit. Dans le même temps, une taxe locale fantasmagorique dédiée à la socialisation des terrains créerait une révolte sociale chez les propriétaires. Le résultat est que les seuls outils dont disposent les administrations pour faire face à la crise actuelle du logement sont réglementaires: elles ne peuvent pas participer à la course folle pour acheter des terrains sur le marché comme s'il s'agissait de papier hygiénique, ni ajouter de nouvelles taxes à leur discrétion. Mais le petit capitaliste pense d'autre façon: entre une administration publique et un particulier, il n'y a pas de différence, les deux font du business.
La deuxième pétition ("Autorisez les familles à transformer leur propriété en unifamiliale") défend l'inclusion dans les quartiers centraux de familles propriétaires de duplex, qui se verraient refuser la possibilité de fusionner deux logements pour obtenir une seule maison adaptée à leurs "besoins". Cependant, il n'est pas mentionné que les différentes réglementations accordent de grandes marges à l'interdiction de fusion. Par exemple, à Verdun les duplex avec surface totale mineure de 175 mc sont exonérés, tandis que sur le Plateau Mont-Royal cette surface pourrait arriver jusqu'à 200 mc. Pour ne citer qu'un exemple, le Guide de Construction de la Société d'Habitation du Québec recommande une superficie de 122 mc pour un logement de cinq chambres. Malgré cette valeur soit évidemment sous-estimée, on peut affirmer avec certitude que les marges proposées continueraient de permettre l'union de duplex en maisons unifamiliales (très confortables) de cinq chambres.
Mais combien de familles ont alors "besoin" de ces surfaces? Lors du dernier recensement, la famille montréalaise moyenne compte 2,9 membres et les familles de trois enfants ou plus représentent le 2% du total des familles. De plus, maintenir la division en deux niveaux leur permettrait un modèle de logement intergénérationnel (avec les aînées ou les enfants à proximité, sans avoir à renoncer à leur intimité). Nous rappelons, à cet égard, que le règlement n'interdit pas la reprise du logement locatif pour accueillir des membres de sa famille, bien que cette pratique soit certainement déjà exploitée à des fins spéculatives.
En conséquence, considérer le changement des règlements comme une attaque à la famille est ridicule. En fait, ceci n'est pas contre le 2% des familles de la région avec au moins trois enfants, car pour elles il interdit la subdivision des logements existants. Simplement, le règlement impose une limite à la création de châteaux à double hauteur en milieux populaires, lorsque ces interventions obligent des familles vulnérables à partir. Toutefois, derrière la rhétorique de la famille, l'élitisme bourgeois a trouvé sa bataille sociale.
Signataires éhontés de tous quartiers, unissez-vous!