La petite histoire du jeudi
En ce jeudi de l'ascension, la petite histoire du jeudi se tourne un peu vers Dieu.
Devant Dieu
Ils se tiennent là devant de Dieu. Au-dessus un Christ sur sa croix penche vers eux son visage de douleur et de compassion. Il la trouve belle, vêtue de blanc. Dans le silence de l’église, devant le calme frémissement de l’assemblée heureuse et attentive, l’histoire fulgure devant ses yeux.
Il a deux ans de plus qu’elle. À cet âge, c’est un siècle, c’est énorme. Il vient de fêter son douzième anniversaire et joue dehors avec ses copains. Tout le monde se connaît dans ce petit village de la vallée de la Dourbie sur lequel veillent, rudes et débonnaires, le plateau du Larzac et le causse Bégon. Il a deux ans de plus et pourtant il l’a invitée à se joindre à eux, elle qui restait à l’écart, regardant sans oser s’approcher les garçons jouer ensemble. Elle est la sœur d’un des invités, Vivien, elle s’appelle Marie, les prénoms changent peu en ces régions reculées. Dans la chaleur de cette fin de juin, ils finissent tous à la rivière. Les enfants se baignent dans l’eau claire et se sèchent dans les tièdes caresses des odeurs du soir.
Il ne se souvient pas des autres anniversaires jusqu’à son quinzième. Il l’avait invitée en même temps que son frère. En sortie de fin d’année à Rodez, elle n’avait pu venir. Et puis l’été, les vacances, les séjours à Montpellier chez ses grands-parents maternels et au Puys, dans la famille de son père, puis la rentrée au lycée, la pension à Rodez. Ses copains du village, il les voyait le week-end, moins qu’avant parce que ses parents entendaient profiter de lui. Elle, il ne l’avait recroisée qu’aux vacances de Noël. Enveloppée dans sa doudoune, le bonnet bas sur le front, il l’avait trouvée un peu changée.
Avance rapide, pause. L’été de ses seize ans. Il est parti pédaler dans les contreforts du causse avec son copain Thomas. Il est dix-huit heures, ils sont partis aux heures les plus chaudes. Ils reviennent par un sentier longeant la Dourbie. Il l’aperçoit sur la plage de galets dans une robe légère, son cœur se pince, une légère arythmie. Il en a honte, presque. Il sourit, salue de loin. Thomas a-t-il lancé une pique ? Il ne sait plus.
Ce ne sont que des enfants quand ils s’embrassent à la fin de l’été, mais il est déjà sérieux, peut-être plus tourmenté, ou plus réfléchi que les autres. Ils vivent leur première histoire d’amour en pointillés. Elle dure deux ans. Les week-ends, les vacances scolaires. Et puis le temps fait son œuvre. Le miel des premières amours s’évanouit doucement, les intérêts changent, d’autres priorités se dessinent.
Il s’exile à Paris pour ses études. Elle s’en va à Lyon. Des nouvelles en passant, quand il redescend à l’occasion des fêtes. Il reste en contact avec Thomas, avec Vivien, c’est à peu près tout. Il se sent appelé ailleurs, il s’en va brièvement en Afrique, puis en Birmanie. Un séjour pesant comme la chaleur de la jungle, mais essentiel pour lui. Le pays est dangereux, dans nombre de villages il n’est pas le bienvenu. Il le fait parce qu’il doit le faire. Il y reste parce qu’il doit y rester.
Il se décide à rentrer, poussé par la santé vacillante de son père. Il a changé. Ils ont tous changé. Les enfants qu’ils furent, pleinement, ne sont plus qu’une pierre enchâssée dans l’édifice d’une vie qu’ils se bâtissent.
Le film avance encore. À Noël, Thomas lui apprend qu’il viendra au village passer les fêtes en famille. Ils se voient au café. Marie est là aussi. Elle aide ses parents au bistro. Elle est plus mûre, grandie. Ils parlent, se racontent leurs vies. Le déclic se fait là.
Retour au présent. Il sourit. En cet instant, il est heureux. Il ne regrette rien de ses années d’exil, il a embrassé son chemin qui l’a ramené vers les siens. Ils sont là, tous, à les regarder. Alors il se tourne vers Marie, vers Thomas et dit, bien haut, les mots que tous attendent :
- Vous pouvez embrasser la mariée.
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