La pensée courte

Actuellement, la culture de l'immédiateté nous conduit à adopter des modes de réflexion rapides qui ne sont pas adaptés, la plupart du temps, à la résolution des grands problèmes qui se posent à nous.

Ce phénomène fait partie d'un système plus global qui progresse à pas de géant depuis quelques années et que j'appelle la "pensée courte" et ce n'est pas un compliment ! [Alors, je dis que c'est moi qui appelle ça comme ça mais peut-être que j'ai lu l'expression quelque part et qu'elle m'a plu. Si vous retrouvez des références et même si elles ne désignent pas ce que je vais décrire ci-dessous, je serais très heureuse de pouvoir les consulter.]

Ces impératifs de vitesse et de réactivité (là, maintenant, tout de suite, vite, vite, vite !) conduisent tout le monde à prendre parti sans réfléchir, sans même imaginer de se doter des outils intellectuels indispensables pour mener à bien une pensée construite. Il n'est plus de bon ton de vouloir se laisser du temps pour approfondir les thèses en jeu, pour aller lire bidule ou machine ou pour laisser décanter tout ça tranquillement dans le secret de notre esprit qui est également abondé par nos expériences de vie. Non, il n'en est plus question. Désormais, il faut des réponses instantanées.

Du coup, les éléments de langage politique ou marketing (comme les proverbes qui ne sont pas tous pertinents, loin s'en faut), les gimmicks qui émaillent notre quotidien à toutes et tous font office de prêt-à-penser ! Et tout le monde les répètent pour essayer de donner l'illusion d'une pensée un peu élaborée. Sauf qu'en fait, tout ça retombe mollement parce que derrière, il n'y a souvent que du vent.

Très récemment, je discutais avec un ami qui me pressait de répondre à l'une de ses problématiques par une solution clé en main. Je me suis trouvée bien en difficulté et je suis passée pour une idiote parce que j'avais simplement besoin de temps pour faire ce travail de recherche dans ma tête et dans les livres. Des millions et des millions de personnes sont passées sur Terre avant nous et elles sont très nombreuses à avoir déjà travaillé autour de certains grands problèmes. Certaines d'entre elles ont eu l'opportunité de laisser des traces (écrites, graphiques, audio-visuelles...). Le moins qu'on puisse faire c'est de s'inspirer du fruit de leur réflexion, non ?

Cela ne veut pas dire de copier bêtement leurs solutions évidemment (nos circonstances de vie singulières s'opposent de toute façon à une reproduction de ces schémas "tout faits" - on y revient) ni de se perdre dans les milliers d'ouvrages et de références à notre disposition (je suis, quant à moi, déjà limitée par les deux seules langues que je comprends). L'enjeu consiste à trouver l'équilibre entre l'illusion de la pensée issue des aphorismes et l'intellectualisation forcée de tous les sujets (parfois, certaines solutions toutes faites sont très pertinentes).

Mais il est vrai que tout ce que j'écris ici n'est pas très à la mode. Il faut dire que le fait de ne pas laisser le temps aux gens de construire une pensée propre est une méthode bien pratique. Mine de rien, cela permet de contrôler leurs comportements. Quand on ne peut plus réfléchir (parce qu'on n'a pas le temps ni les moyens de le faire) à ses propres choix, on opte pour les plus fréquents, ceux que la grande majorité des gens autour de nous ont faits. On se dit que s'ils se comportent comme-ci ou comme ça, c'est qu'ils doivent avoir de bonnes raisons de le faire. Alors qu'en fait, le plus souvent, ils sont comme nous, pris dans la grande machine. En un sens, c'est une stratégie de manipulation comme une autre...

Et si vous voulez ralentir et prendre le temps de faire autrement, vous vous entendrez dire que "c'est comme ça", qu'on ne peut pas "lutter contre le progrès", qu'il faut "faire avec". Et si vous persistez à vouloir approfondir votre réflexion et la partager avec d'autres personnes, vous passerez rapidement pour un.e marginal.e, position que beaucoup d'entre nous ne peuvent pas forcément toujours assumer. Mais, et c'est la beauté de la question, vous trouverez parfois sur votre route des personnes qui vous aideront à faire encore un pas supplémentaire. Vous vous apercevrez que vous n'êtes pas seul.e. Et ça, c'est formidable.

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