La poésie est une contre-vérité
Aujourd’hui, je suis contre, tellement contre que j’ai envie d’écrire un manifeste, c’est vous dire. Voici soixante ans que la poésie est sobre, « heideggérienne », « charienne ». J’ai même vu une biographie de Guillevic intitulée sobrement « poète et philosophe ». N’est-ce pas grotesque ? On ne dira jamais à quel point la philosophie de l’être a stérilisé une partie de la poésie. Quand les poètes jouent aux profonds, on ne sait plus s’il est préférable d’être clown ou cabot. Non les poètes n’ont pas un accès privilégié aux dieux, pas plus que mon boucher chevalin. Ce ne sont pas les VIP de la divinité. La poésie doit être impérativement ornementale au sens de Paul Valéry, c’est-à-dire narrative, démasquée et chargée. Les adjectifs, les adverbes, les noms saugrenus lui permettront de nouveau la gabegie et le désordre. L’être déteste les poètes, il lui préfère les romanciers et les théologiens à juste titre. La poésie est rabelaisienne et alcoolique, sous peine de quoi elle conçoit son propre poison et s’intoxique elle-même. La preuve : il y a même un festival des haïkus désormais. Et pourquoi ne plus rien écrire du tout pendant que nous y sommes ? L’être et le néant sont à la fois tautologiques et identiques après tout. Si j’étais militant – le diable m’en préserve – j’écrirais un manifeste sur la nécessité d’une poésie narrative, sans quotidienneté et sans question philosophique sous-jacente, une poésie de l’excès dans la contemplation, de la fureur aux abords du silence et de la gomme à effacer les littératures molles. La poésie est une contre-vérité dans un monde sans mensonges. Le mentir-vrai est mort. Nietzsche disait qu’on ne pouvait penser qu’en marchant. La poésie ne doit pas avoir un cul-de-plomb ou la dyspepsie. Il fut un temps où Francisco de Quevedo pouvait écrire « heurs et malheurs du trou du cul ». En était-il moins poète ? Non… Je n’aime pas Hölderlin et ce que les penseurs de l’être en ont fait. Quant à René Char, dame ! J’envie les interjections et les hyperboles de ne l’avoir jamais rencontré ! Je préfère les intempérants aux réunions de poivrots anonymes. Car la poésie mérite mieux que l’existence, la botanique et la génuflexion devant les concepts.