la tireuse de cartes et mes meilleurs voeux
Et si votre consultante pour 2018 était la tireuse de cartes de Lucas van Leyden ?
Imaginons la conversation:
- Mes hommages bonne dame, pourriez-vous m’éclairer contre deux ducats pour connaître ce qui va se produire en France et dans le monde en 2018. Pouvez-vous m’aider avec vos cartes?
- Bien sûr jeune damoiseau(elle). Il suffit pour le monde de regarder dans cette boule de cristal… qu’y voyez-vous?
- J’y vois une dame, plus toute jeune mais souriante, avec une belle chevelure blanche. C’est la Pythie?
- Non, c’est Madame Christine Lagarde, directrice générale du FMI qui vous dit droit dans les yeux que la croissance est revenue et qu’elle sera pour tous(tes) en 2018! C’est beau, n’est-ce pas?
- Oui, mais…attendez! elle disparaît dans une nuage de neige et de glace et un Monsieur apparait dans un brouillard épais… Je le reconnais! C’est Monsieur Jean Pisani-Ferry! celui qui a aidé notre président, Emmanuel Macron, à construire son programme économique lors de la dernière campagne électorale,
- Que vous dit-il?
- « Je ne crois pas à l’automaticité du ruissellement »… qu’est-ce que ça veut bien pouvoir dire?
- C’est une théorie selon laquelle la richesse de quelques-uns profiterait à la société dans son ensemble, et que l’inégalité sociale n’est pas bien grave en soi. De plus, la « main invisible du marché » va tout réguler automatiquement…
- Ah, bon alors ça veut dire que mon cumul de contrats de travail de courte durée qui m’empêche de me loger et d’obtenir des prêts va cesser naturellement en 2018?
- Ben, c’est pas tout à fait ça…
- Bon, adieu ma Dame, je vais aller voir du côté des philosophes.
Confier son avenir aux prédictions peut se révéler, non seulement dangereux, mais inhibiteur d’action.
Plusieurs philosophes se sont risqués à nous avertir du péril à se confier à des prévisions.
La quasi-totalité d’entre eux nous préviennent de notre trop grand recours aux données quantitatives qui nous empêchent de penser qualitatif et donc d’innover.[1]
Bonjour Antoinette Rouvroy, je crois que vous êtes philosophe de la technologie[2] ?
- Oui, et si je peux vous donner un conseil pour 2018, Résistez aux algorithmes!
- Se fier aux algorithmes pour guider vos décisions serait le comportement le plus proche de la consultation de la Pythie dans la Grèce ancienne.
On ne cherche plus à comprendre l’environnement, on cherche à le prédire.
On se focalise davantage qu’auparavant sur les risques.
Voir et comprendre sont supplantés par détecter et prévenir.
- Merci, mais vous ne m’avez pas répondu sur mes espérances en matière de contrat de travail…
- Allez-donc voir mon collègue, Pascal Chabot, philosophe des pathologies du travail, [3] qui va mieux vous informer sur la nature profonde du contrat de travail.
Bonjour Pascal, il paraît qu’en 2018, il me faudra regarder le travail autrement ?
- Tout à fait. Le contrat de travail implique une violence pour la personne puisque l’on nie ce qu’il donne en échange d’un salaire, un bout de sa vie.
- Il y a une asymétrie originelle dans ce type de contrat parce qu’il règle un échange entre du temps et de l’argent.
- L’argent est de l’ordre quantitatif, donc illimité, et le temps de l’individu c’est sa durée de vie, donc limitée et qualitative.
- Le besoin de reconnaissance exprimé face aux psychologues et aux DRH est l’attente de cet engagement total de la personne.
Il annonce de nouvelles injonctions paradoxales :
Soyez vous-mêmes, investissez-vous, mobilisez même vos affects, mais il faut que votre personnalité sache s’adapter au modèle prédéfini du professionnel.
Préservez-vous, n’en faites pas trop, alors que dans beaucoup de métiers cela devient passionnant quand on en fait beaucoup.
- Le burn-out, résultante des injonctions paradoxales, serait la maladie du trop?
- Oui. Et pour en sortir il existerait une alternative: résister à la force en la remplaçant par la justice, pour que chaque décision soit perçue comme juste et non comme le résultat d’un rapport de forces.
- Alors, comment faire?
Allez-donc en parler à Émilie Hache[5], philosophe en écologie politique, qui vous proposera d’écouter vos émotions pour passer à l’action pour transformer la fatalité en opportunité.
- Bonjour Émilie, c’est Pascal qui m’envoie chez vous.
- Bienvenue face aux incertitudes. N’ayez pas peur de vos émotions personnelles et engagez-vous dans des actions collectives et vous verrez que vous aurez transformé vos craintes en moteur de puissance collective.
- Cela signifie t-il qu’en me fiant à mon intuition, en décodant le monde tel qu’il fonctionne pour m’y mouvoir plus à mon aise, et en m’engageant dans une action collective qui transcendera mes peurs je changerai mon regard sur le monde?
En 2018, vous changerez de regard sur le monde en :
- Résistant aux algorithmes
- Regardant le travail autrement
- Transformant la fatalité en opportunité
et ainsi, en 2018, vous changerez de regard sur vous-même.
En conclusion, je vous présente mes meilleurs voeux pour l’année qui vient en espérant que vous donnerez plus au monde extérieur pour qu’il vous change de l’intérieur.
Trois livres à lire ou à relire :
- Comment la terre s’est tue (La découverte, 2013 ; David Abram).
- Homo juridicus (Seuil, 2005 ; Alain Supiot).
- L’Iliade ou le poème de la force (Rivages poche, 2014 ; Simone Weill)
Yves HALIFA
1er janvier 2018
[1] Le Monde IDÉES-Julie Clarini-samedi 30 décembre 2017.
[2] Entretien avec Marc-Olivier Bherer-Le Monde du samedi 30 décembre 2017
[3] Entretien avec Catherine Portevin-Le Monde du samedi 30 décembre 2017
[5] Entretien avec Catherine Vincent-Le Monde du samedi 30 décembre 2017
Prochain article à paraître courant janvier:
Les conversations secrètes de Yanis
President @ PDC EUROPE | Conseiller du Commerce Extérieur de la France
6 ansS’il ne s’agissait pas de notre économie et de notre société, je trouverais cela très amusant - aller de paradoxe en paradoxe sans que cela ne gêne qui que ce soit. Bonne année Yves !