La vérité sur l’agenda des décideurs de notre monde
Guernica - Pablo Picasso, 1937

La vérité sur l’agenda des décideurs de notre monde

Beaucoup s'interrogent comme Nicolas Hulot : "pourquoi rationnellement, ce n’est pas la mobilisation générale pour le climat ?” Un élément de réponse se trouve dans l'agenda des dirigeants de ce monde et leur gestion du temps (entre ce qui est important et ce qui est urgent de leur point de vue). Cet agenda est calqué sur les enjeux financiers. Ce qui parait rationnel aboutit à l'irrationnel.

Aujourd’hui, on ne peut que faire le constat que les priorités des décideurs de notre monde sont :

  1. [ce sur quoi il faut agir] la croissance économique;
  2. [ce qu’il faut déléguer] l’armement, c’est-à-dire une réponse “compétitive” violente aux enjeux de demain;
  3. [ce qu’il faut planifier] la lutte contre la pauvreté, qui permet d’alimenter la première priorité;
  4. [ce qu’il faut éliminer de sa liste de tâches] les enjeux climatiques (et vaguement la biodiversité et les ressources).

Examinons rapidement ces quatre priorités :

Croissance économique : 164.000 milliards de dollars et 3,7%

3,7% de croissance mondial par an, c’est le chiffre qu’annonce avec inquiétude le Fonds Monétaire International (FMI) qui craint un ralentissement.

“Dans plusieurs grands pays, la croissance est portée par des politiques qui semblent intenables à long terme.”

Quelles sont ces politiques intenables ? Plutôt le “climat” des affaires que le “climat” tout court, puisque “Les dangers liés au changement climatique se dessinent à l’arrière-plan, mais s’intensifient rapidement.” Quel rabat-joie, ce changement climatique en arrière plan qui empêche de croître en rond.

164.000 milliards de dollars, c’est le chiffre cumulé de la dette mondiale, qui a permis d’assurer la croissance jusqu’à aujourd’hui. C’est 225% du PIB mondial.

C’est le sujet sérieux de tout dirigeant qui se respecte. Comme dit le FMI dans le résumé de son rapport : “Il est donc urgent pour les dirigeants de passer à l’action.” CQFD.

Armement : 1.800 milliards de dollars et 2 balles par habitant

1.800 milliards de dollars, c’est le budget cumulé de “défense” dans le monde. Cela ne tient pas compte des ventes d’armes privées, ni du trafic d’armes.

Voici ce que nous dit l'ONU : “Au cours du siècle écoulé, les gouvernements se sont efforcés de trouver des moyens de parvenir à des accords sur la réduction de leurs dépenses militaires ou du moins d’être transparents concernant leurs dépenses militaires. Ils ont agi de la sorte dans le cadre de la Ligue des Nations puis de l’ONU. Les premières propositions faites à l’ONU concernaient la réduction des dépenses des grandes puissances militaires en vue de libérer des ressources pour l’aide au développement. Ces propositions se sont avérées irréalisables.

Dans ce contexte, s‘inscrit le réveil militaire de la Chine.

Le même site liste les armements disponibles dans le monde. Je vous la fais courte : notre capacité de détruire plusieurs planètes par les armes est largement supérieure à notre capacité à épuiser les ressources naturelles de plusieurs planètes.

Un exemple un peu dérisoire : nous produisons 14 milliards de munitions par an. Cela fait deux balles dans la tête chaque année par habitant (vos enfants compris, évidemment).

C’est le deuxième sujet sérieux de tout dirigeant qui se respecte. Sa mise en oeuvre est déléguée aux généraux.

Dans notre monde en croissance, le nombre de guerres et les morts associés diminuent. Mais quand il n’y aura plus de croissance ?

Aller sur Mars est un trait d’humour à 75 milliards de dollars (coût mondial annuel de l’exploration spatiale, soit environ 50% de l’aide mondiale au développement).

Pauvreté : 143 milliards de dollars et 1% d'hyper riches

143 milliards de dollars par an, c’est l’aide au développement destinée à éradiquer la pauvreté dans le monde. Dans le désordre.

Nous sommes très loin des objectifs affichés par l’ONU avant l’accord de Paris sur le climat, qui préconise 3.500 milliards de dollars par an pendant 15 ans, pour conjurer à la fois la pauvreté et le réchauffement climatique. “C’est un chiffre astronomique” dit un ambassadeur. Mais 1.800 milliards sans date de fin, c'est normal.

Pour éradiquer la pauvreté (priorité n°3), les dirigeants font confiance à la croissance économique (priorité n°1), sorte de “théorie du ruissellement” qui ne dit pas son nom, et qui n’a d’ailleurs jamais existé. Une façon de se convaincre de la pertinence de la priorité n°1.

La réalité, c’est effectivement une chute importante de la grande pauvreté, et “en même temps”, une augmentation sans précédent de la grande richesse depuis 40 ans :

Hans Rosling explique assez bien les enjeux, sans entrer dans la polémique des hyper riches.

Climat : peut-être 100 milliards de dollars, et 4°C

100 milliards de dollars par an jusqu’en 2020, mais ce sera dur : c’est ce qu’on peut encore lire sur le site de l’ONU, pour résoudre la crise climatique.

“Le Groupe consultatif de haut niveau du Secrétaire général sur le financement de la lutte contre les changements climatiques a estimé que lever 100 milliards de dollars par an serait difficile mais faisable”.

Mais 1.800 milliards de dollars par an pour s’entretuer, c’est facile.

Il faut mettre en face de cette somme, les 3.500 milliards évoqués précédemment. Il faut également mentionner les 1.000 milliards de dollars de l’économiste Larrouturou proposés dans le Pacte Finance Climat.

+4°C, plus ou moins 1°C, c’est le réchauffement climatique global de la planète si nous continuons à émettre le même niveau de gaz à effet de serre (GES). Depuis l’accord de Paris, supposé être le début d’actions concrètes pour réduire nos émissions de GES, celles-ci ont augmenté. Il n’y a pas de découplage entre croissance et émissions de GES, mais corrélation. La technologie ne change rien. Les paroles magiques non plus.

Vous pouvez vous faire votre propre opinion sur le scénario RCP (Representative Concentration Pathway).

La trajectoire espérée est une stabilisation à +3,5%C, mais pour l’instant il ne se passe rien. Les dirigeants de ce monde ont demandé aux experts du GIEC d’évaluer l’impact à +1,5°C qui sera de toute façon atteint entre 2030 et 2052. C’était une perte de temps de plus. Ça valait bien la peine de déranger les dirigeants de ce monde qui ont déjà un agenda chargé.

Le réchauffement climatique n’est pas le seul paramètre environnemental à considérer. La perte de biodiversité, la pollution des sols et de l’atmosphère et la limitation des ressources combinées au réchauffement climatique conduisent à deux seuls scénarios possibles :

  • soit l’effondrement de notre civilisation, telle qu'elle est aujourd'hui, avec des centaines de millions de victimes,
  • soit l’emballement climatique et l’annihilation de toute vie animale sur Terre d’ici la fin du siècle.

Il n’y a pas de plan B : ni planète, ni technologie de rechange. Il n'y a que deux options.

Dans sa représentation mentale de l’agenda, le décideur réagit toujours par rapport à la priorité n°1. Le dernier rapport du FMI en est une parfait illustration.

Dans ses “perspectives de l’économie mondiale”, rapport de 80 pages, le réchauffement climatique est cité 7 fois comme un problème externe au système auquel l’économie devra s’ajuster, sans jamais en préciser l’ampleur. Un grand encadré sur les énergies renouvelables se focalise sur le remplacement des énergies fossiles... dans la production électrique qui représente environ 20% de la forme d'énergie consommée dans le monde. La question de la biodiversité est absente.

Cette phrase est emblématique :

“Pour enregistrer une croissance vigoureuse, il faudra en outre renforcer la résilience macroéconomique des pays à faible revenu, y compris face au changement climatique.”

Celle-ci montre l’ordre de priorité :

“Il est essentiel aussi de coopérer pour achever le programme de réforme de la réglementation financière, améliorer la fiscalité internationale, renforcer la cybersécurité, s’attaquer à la corruption et atténuer le changement climatique.”

On appréciera l'adjectif "vigoureuse" et le verbe “atténuer”.

Les guerres et les conflits, sont cités à peu près deux fois plus que les enjeux climatiques, de façon négative pour la croissance (priorité n°1) sans jamais remettre en cause les budgets militaires (priorité n°2). Cela est peut-être dû à la contribution du marché de l’armement (priorité n°2) à la croissance mondiale (priorité n°1), sans s’interroger sur son utilité pour l’humanité.

Dans la tête des grands de ce monde

Ce petit voyage dans la tête des grands de ce monde permet peut-être de donner un élément de réponse à l’interrogation de Nicolas Demorand et Nicolas Hulot : “est-ce que vous pouvez m’expliquer pourquoi rationnellement, ce n’est pas la mobilisation générale pour le climat ?

Il permet également de répondre à une deuxième question : “Quel est le plus grand risque de ce siècle ?” (plusieurs réponses possibles)

Il permet enfin de ne plus attendre le salut de ces dirigeants, enfermés dans leur agenda. On peut faire preuve d'empathie pour ces personnes stressées, passant de réunion en réunion, dormant peu, sollicités en permanence et, pour certains, obligés par leurs électeurs qui leur demandent... de la croissance (priorité n°1). On peut éventuellement comprendre leur mépris, sans doute ne ferions-nous pas mieux à leur place. Il est même possible de les plaindre, si on n’avait pas aussi chaud aux fesses, et si on n’avait pas quelques doutes qu’ils ne se soient pas déjà réservés les bonnes places pour après l’effondrement. Mais tout cela est aussi une bonne raison pour ne jamais plus leur faire confiance.

Maintenant que nous, citoyens de la planète, savons que vous n’avons plus besoin d’attendre, faisons notre propre agenda.

Aujourd'hui, l'humanité consacre 10 à 100 fois trop de ressources à assurer sa croissance, et 10 à 30 fois trop peu de moyens à assurer son existence dans le monde du vivant.

Ce sont nos usages, nos modes de consommation, notre relation au travail, nos relations sociales, le but de nos vies, notre conception du bonheur et, "accessoirement", nos indicateurs qu’il faut revisiter. Il y a des priorités plus joyeuses que le PIB et les bombes.







Wilkin Matias

En recherche de nouvelles opportunités

6 ans

Un bon programme d'avenir

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