L'architecture financière internationale à l’épreuve de la pauvreté et de l'urgence climatique
NOUVEAU PACTE FINANCIER MONDIAL
Repenser la finance internationale, préserver la planète, agir contre la pauvreté sont les enjeux qui ont été débattus lors du sommet pour un nouveau pacte financier qui s’est achevé à Paris le 23 juin 2023. Face aux multiples chocs tels que la crise de la COVID-19, la dette publique a atteint des sommets sans précédent à l’échelle mondiale. En effet, un tiers des pays en développement et surtout deux tiers des pays à faible revenu présentent un risque élevé de surendettement. De même, la pression inflationniste et le resserrement des conditions financières par les banques centrales ont drainé de la vulnérabilité et tiré les taux d’intérêt à la hausse.
Dans ce contexte, les gains réalisés dans la lutte contre la pauvreté lors des deux dernières décennies se sont effrités voire inversés causant des disparités importantes et amplifier par un environnement climatique de plus en plus contraignant pour les pays du Sud.
Cela dit, à Paris, les dirigeants mondiaux qui ont participé à ce sommet semblent être parvenus à un consensus complet sur l’ensemble des enjeux évoqués plus haut. Quand n’est-il exactement ? Quelles ont été les avancées ? Les points de frictions ou peut-on qualifier ce rendez-vous comme étant un sommet du Greenwashing et de l’imposture climatique ?
Révolutionner la finance internationale…face aux défis persistant de la pauvreté et de l’urgence climatique
Une centaine d’États, d’organisations internationales, représentant de la société civile et du secteur privé se sont réunis à Paris pour discuter des financements à destination des pays les moins avancés et des pays les plus vulnérables aux changements climatiques.
Face au double objectif de durabilité et de réduction de la pauvreté, les pays du Sud ont besoin d’un financement de 27.000 MM$ selon Oxfam d’ici à 2030 pour répondre aux besoins en matière de dépense climatique et sociale. Concrètement, selon les experts, il faudrait un investissement de 2.000 MM$ par an, soit 2% du PIB mondial pour éradiquer la pauvreté et agir décisivement contre le changement climatique.
Une responsabilité historique du Nord en vers le Sud
Pour rappel, l’Afrique contribue à environ 4% du réchauffement de la planète contre 49% pour l’Amérique et l’Europe. Par ailleurs, la Chine et les États-Unis sont les principaux pays pollueurs de la planète. Or, l’Afrique est l’un des espaces géographiques les plus exposés aux effets néfastes du changement climatique tels que la sécheresse, les cyclones, l’avancée de la mer et l’érosion des côtes, etc.
Face à cette réalité, les pays avancés s’étaient engagés à décaisser 100 MM$/an pour l’action climatique depuis la COP 15 Copenhague (2009), promesse non tenue, mais réitérée à la COP 21 à Paris en 2015, puis à Glasgow et à la COP 27 à Charm El Cheikh en 2022. Qu’importe, à ces 100 MM$ promis, les pays riches s’engagent à nouveau à une réallocation de l’équivalent de 100 MM$ de DTS à destination du Sud via le FMI, soit un total de 200 MM$/an pour faire face aux défis de la pauvreté et de l’urgence climatique. Au regard de cette nouvelle promesse, l’on est parfois tenté de qualifier ce rendez-vous de recyclage de vieilles promesses non tenues.
Ne pas avoir à choisir entre la planète et la lutte contre la pauvreté
L'approche occidentale qui consiste à renvoyer dos à dos les problématiques de l'éradication de la pauvreté sous toutes ses formes et l'urgence climatique peut être qualifiées d'opportuniste. Depuis des décennies, les outils multilatéraux de lutte contre la pauvreté, se sont montré inefficace car inadapté aux besoins de l'Afrique tels que la construction d'infrastructure, le développement d'une industrie forte, capable de transformer au plan local les ressources naturelles afin de tirer parti de la chaîne de valeur. Au contraire, le pacte financier en vigueur a engendré plus d'endettement, concrètement les pays du Sud remboursent en moyenne 5x plus de dette au lieu d'investir pour lutter contre la pauvreté et le changement climatique. Dans ces conditions, l'espace budgétaire se rétrécit et l'étau se resserre sur ces derniers.
En fait, repenser le pacte financier international renvoie inéluctablement à traiter le sujet de la dette par des instruments de lutte contre le surendettement, créer de meilleurs accès au financement par une réallocation des Droits de Tirage Spéciaux vers les pays qui ont le plus besoin et une participation plus grande du secteur privé pour mobiliser beaucoup plus de ressources.
Libérer de l’espace budgétaire par l’augmentation de la capacité de mobilisation de ressources
Pour atteindre le double objectif de durabilité et de réduction de la pauvreté et, d’une manière générale, pour fournir des biens publics mondiaux, l’ordre de grandeur des financements doit être important pour les pays les moins avancés. Il convient alors de (i) dérisquer les investissements dans les pays du Sud via les banques multilatérales de développement avec la mobilisation du secteur privé ; (ii) mobiliser de nouvelles ressources en taxant les secteurs qui ont grandement profité de la mondialisation que sont les transactions financières (taxe Tobin), sur le transport aérien et maritime. En somme, ces pistes d’actions ne peuvent prospérer uniquement que dans un cadre global avec un engagement ferme des pays avancées et des grands émergents dans le but de sortir des promesses creuses et dithyrambiques pour tendre vers des mesures décisives contre la pauvreté et le climat.
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La nécessité réforme de la gouvernance des institutions financières internationales
Le Fonds Monétaire International (FMI) et la Banque mondiale (BM) ont été créés, il y a plus de trois-quarts de siècle. Le premier pour assurer la stabilité des grandes monnaies, la seconde pour la reconstruction de l’après-guerre. Dès l’origine, leur mandat se trouve limité par les USA qui n’avaient pas accepté les propositions de Keynes visant à instaurer un système monétaire mondial.
Dans ce contexte, les outils financiers sont aux mains de leurs actionnaires donc en pratique des pays Européens et des États-Unis qui se partagent par ailleurs les directions générales, le FMI est dirigé par un Européen et la Banque Mondiale par un Américain.
Depuis, près de 80 ans les institutions de Breton Wood ont traversé toute l’histoire économique et politique. Le contexte dans lequel elles opèrent et leur rôle effectif ont radicalement évolué sans que leur mandat et leur mode de fonctionnement évolue en conséquence. De ce fait, elles sont devenues des outils d’action des pays riches sur les pays en développement. Cette situation appelle plus que des modifications à la marge ; elle nécessite une profonde réforme de structure autour de deux axes : (1) une nouvelle architecture du système financier et fiscal international ; (2) de nouveaux fondements et de nouvelles règles de fonctionnement, conduisant à une approche plus ouverte, plus transparente et plus pragmatique et, surtout, réunissant les conditions d’une gouvernance légitime.
À Paris, les États-Unis et l’Europe sur la pression du Sud tentent de conserver le statuquo surtout à l’ère de concurrence géostratégique et politique majeur avec la Chine, pas question de donner plus de pouvoir que ça à la Chine ou même à l’Inde.
Dans ces conditions, le sommet a accouché d'une série de petits pas. La Banque mondiale a par exemple fait part de son intention d'intégrer à ses accords avec les pays les plus vulnérables une nouvelle clause de suspension du paiement de la dette en cas de catastrophe naturelle. Cette mesure, portée par Mia Mottley, Première ministre de la Barbade, doit permettre aux pays frappés par des phénomènes météorologiques extrêmes de mettre en pause provisoirement le remboursement de la dette afin de parer à l'urgence.
De même, le président de la Banque mondiale, Ajay Banga, a exprimé son intention d'œuvrer à une transformation culturelle de l'institution. Concrètement, cela reviendrait à appréhender les projets financés avec une vision d'ensemble et des objectifs mesurables de lutte contre le réchauffement climatique et de développement pour les pays concernés.
À l’évidence d’autres orientations plus vigoureuses sont pourtant possibles et nécessaires, pour changer de paradigme en matière de financement des urgences climatiques et de la lutte contre la pauvreté. Dans ce cadre, la réforme de l’architecture financière mondiale, appelée des vœux des mouvements pour la justice Nord/Sud, constitue un acte majeur des dirigeants mondiaux de cette décennie.
Des annonces pour le Sénégal et la Zambie
Pour trouver des annonces concrètes issues de ces deux jours de discussions, il faut regarder vers le Sénégal. Celui-ci a noué un "partenariat pour une transition énergétique équitable" avec un groupe de pays du Nord (dont la France) et des banques multilatérales de développement, en vue d'atteindre son objectif de 40% d'énergies renouvelables à l'horizon 2030. Dans les détails, un groupement des partenaires internationaux s’engage à mobiliser 2,5 MM€ pour financer une transition énergétique juste au Sénégal sur une période initiale de 3 à 5 ans à partir de 2023.
Enfin, alors que plusieurs pays font face à l'aggravation de leur endettement face aux multiples crises, les pays créanciers de la Zambie (notamment la Chine) ont accepté de restructurer 6,3 milliards de dollars de dette (soit environ 5,8 milliards d'euros).
À l’inverse de cette annonce, ce sont des annulations massives de dettes qui sont nécessaires ainsi que des financements directs pour permettre aux pays du Sud de faire face au changement climatique (adaptation mais aussi réparations).
Des mesures pour lutter contre l’évasion fiscale doivent être mises en œuvre pour permettre à ces pays de dégager des marges de manœuvre budgétaire, en empêchant les fuites de capitaux. Cela pourrait passer par un échange automatique d’information, sans exemption, réciproque et multilatéral, un registre mondial des sociétés-écrans, un cadastre financier mondial...
La refonte des traités de libre-échange et des traités d’investissement permettrait de mettre un coup d’arrêt au pillage des ressources naturelles des pays les moins avancés.
Enfin, il est nécessaire d’en finir avec les effets d’annonce sur les taxes internationales. Une taxe sur les transactions financières ou une taxe carbone ambitieuses pourront abonder les fonds à destination des pays les plus vulnérables au changement climatique (comme le fond de pertes et dommages).
En conclusion, l’on peut affirmer que ce sommet n'a pas abouti à tous les éléments de transformation du système espéré. Et nous ne pouvons pas non plus estimer qu’il s’agissait d’un sommet du Greenwashing et de l’imposture climatique, car une prise de conscience générale a émergé et a été portée par les pays du Sud. En réalité, ce rendez-vous a fortement tenté de réconcilier le Nord et le Sud sur fond de concurrence avec la Chine qui est d’ailleurs, l’investisseur bilatéral le plus engagé avec une dette d’environ 400 MM$ envers l’Afrique. Qu’à cela ne tienne, personne n’est dupe sur les pratiques de la Chine et ses instruments de domination. Toutefois, ce sommet devrait permettre de continuer à passer le relais et à maintenir la pression pendant les prochains mois sur le Nord. Par ailleurs, si le système financier n'a pas été revu de fond en comble, la place accordée aux pays en développement dans ces discussions constituerait-elle déjà une forme de révolution ?
source: nouveaupactefinancier.org