La voiture, la ville et les périphéries : les équations à résoudre pour les candidats aux municipales
Les élections municipales approchent. Et avec elles, leur lot de promesses. En matière de mobilité, des propositions diverses et variées ont déjà été annoncées : suppression du périphérique parisien, gratuité des transports en commun à Nice, création d'une nouvelle autoroute à 3 milliards à quelques km de Lyon... C'est la grande foire aux idées, sans crainte de paraître un brin démagogue. L'avantage avec la mobilité, c'est que la complexité de ce "système" amène les candidats à des simplifications extrêmes, dommageables pour la cohérence globale de leurs propositions, et au delà pour les politiques publiques de demain. Car ces politiques ont un énorme défi à résoudre : 70% des français vont travailler chaque jour en voiture, et il est de plus en plus difficile de se loger dans les Métropoles.
Voici 2 équations à résoudre pour les candidats aux élections municipales (et intercommunales) de 2020.
1. Développer les alternatives à la voiture dans les périphéries... tout en évitant de favoriser la péri-urbanisation et l'émiettement urbain.
78% des habitants de l’aire urbaine de Lyon n’habitent… pas à Lyon ! Le péri-urbain est un fait, une résultante des choix d’aménagements réalisés depuis les années 1950 que nous devons assumer. Offrir des alternatives à la voiture pour ces millions d'habitants est indispensable. Pour autant, le développement de transports efficaces en périphérie est à l'origine même du phénomène de péri-urbanisation contre lequel de nombreuses politiques cherchent à lutter... Alors, que faire ?
D'abord, tenter de prendre du recul sur les propositions des candidats : les projets de nouvelles autoroutes doivent être remis en question, non pas par opposition dogmatique, mais parce qu'ils vont contribuer à poursuivre le phénomène d'émiettement urbain rendu possible par la vitesse. C'est autant de retard pris dans la nécessaire transition écologique. Ensuite, il est nécessaire de conjuguer ensemble politiques de transports et d'urbanisme, et ce à grande échelle : les politiques d'urbanisme doivent dépasser les frontières administratives pour s'adresser à l'échelle du bassin de vie. Ces politiques d'urbanisme doivent changer de paradigme, et aller vers le "zéro artificialisation", comme le propose un rapport de France stratégie. L'urbanisme circulaire, dont parle souvent Sylvain Grisot, peut nous y aider. En parallèle, maitriser les prix de l'immobilier dans le centre, notamment à destination des plus pauvres (par exemple via la création d'un office foncier solidaire) est essentiel pour éviter "l'exode urbain". Enfin, il faut envisager la ville autrement à long terme, et concevoir la "ville lente" : ce n'est pas en soit les infrastructures qui ont permis la péri-urbanisation, mais la vitesse qu'elles offrent (jusqu'à 130km/h en voiture, et 180km/h en TER). Comme cela a été montré à de multiples reprises, notamment par Yves Crozet (conjecture de Zahavi), nous ne choisissons pas notre localisation résidentielle en fonction du nombre de kilomètres, mais en fonction du temps de parcours : c'est le "budget-temps-transports". Cela explique pourquoi le temps moyen consacré aux déplacements domicile - travail n'a pas évolué (il est de 37 minutes en 2018, soit identique au début des années 1980 !). Réduisons progressivement la vitesse, partout où cela possible. Et nous réduirons les kilomètres parcourus (spoiler : ça prendra du temps).
2. Contraindre la voiture individuelle... sans en réserver l'usage aux plus riches.
La réduction de la place de la voiture dans l'espace urbain semble être un sujet central dans la campagne, autant à Paris que dans les autres grandes agglomérations (au hasard, citons... Lyon). Si les défenseurs de la voiture en ville se font de plus en plus rares (en dehors de quelques extrêmes, comme Marcel Campion à Paris), il n'en reste pas moins que la diminution de la place accordée à la voiture n'est pas chose facile. Comme le rappelle Mathieu Chassignet, il s'agit avant tout de volontarisme politique.
Et sur ce sujet, pas de miracle. Il y a ceux qui croient encore que l'on va résoudre le problème de la mobilité (et supprimer les bouchons) par davantage de capacité routière (les idées exposées dans cet article par l'association "40 millions d'automobilistes" seraient amusantes si elles n'étaient pas régulièrement reprises par la presse !). Et ceux qui ont compris qu'il fallait réduire le trafic automobile, et que cela ne se fera pas sans contraintes. Mais quelles contraintes ? Le péage urbain est devenu un sujet brûlant depuis la crise des gilets jaunes (la loi d'orientation des mobilités devait permettre aux villes son expérimentation... mais cet article a été sagement retiré en pleine crise). On lui reproche, légitimement, son injustice, car il n'a d'impact réel que sur les catégories les plus modestes. De fait, rares sont les candidats aux municipales qui le mettent en avant dans leur programme (même si certains, comme Gérard Collomb à Lyon, ou Vincent Feltesse à Bordeaux, l'évoquent). Son équivalent, pensé du point de vue de l'environnement, la ZFE (zone à faible émission), semble davantage populaire auprès des candidats (c'est même "l'explosion" selon la Gazette des communes). On voit le poids des mots : "péage" c'est non, mais "zone à faibles émissions", c'est oui. Pourtant, c'est socialement tout aussi injuste (les véhicules les plus polluants sont détenus... par les plus pauvres). Sans mesure d'accompagnement très fortes, ces deux mesures ont peu de chances d'être collectivement acceptées (sauf, pour la ZFE, avec un niveau d'interdiction très limité, par exemple à partir de crit'air 4 ; mais dans ce cas l'efficacité est presque nulle). De façon plus indirecte, la maitrise du stationnement est une version soft du péage urbain, plus juste (l'espace urbain est rare, le stationnement gratuit est donc une hérésie). Réduire massivement le nombre de places disponibles dans le centre de nos agglomérations et augmenter leur prix constitue probablement l'une des pistes les plus efficaces. Par ailleurs, réserver une partie des parkings aux covoitureurs est une bonne manière d'atténuer les effets sociaux d'une telle mesure.
Deux problèmes, une seule solution.
Deux équations à résoudre, mais une seule et même solution : réduire la place de la voiture, non pas par idéologie, mais par nécessité (impact sur la péri-urbanisation, sur l'environnement, sur la qualité de vie en ville...). Cela a commencé dans le coeur des agglomérations, et doit être poursuivi : dans le centre de Lyon, entre 2001 et 2015, la part modale de la voiture a fortement diminué, entraînant une baisse du trafic de 22% (mesurée sur 38 points de comptages par la Métropole de Lyon). Si certaines artères ont été requalifiées (en partie grâce à l'aménagement du tramway et de bus en site propre), il reste plusieurs axes qui comportent 2, 3 voire 4 voies (avec parfois du stationnement des deux côtés). Et que se passe t-il lorsque le trafic diminue et mais que les capacités de la voirie demeurent inchangées ? Et bien, c'est fluide... et ça rend la voiture à nouveau compétitive !
Il serait un peu cynique de vouloir résoudre tous les problèmes liés à la voiture en utilisant la seule congestion, même si c'est implicitement ce que font toutes les grandes agglomérations (l'économiste Yves Crozet reconnait d'ailleurs dans cet article que "la régulation par la congestion est une solution"). Quel candidat serait assez fou pour promettre plus de congestion ? Annoncer la baisse de la vitesse est plus judicieux, via le passage des artères principales et des périphériques à 50km/h et de l'ensemble des zones urbaines à 30km/h. C'est bien la "ville lente", donc parle dans cet article Xavier Desjardins.
L'espace public est rare, partageons-le.
Partager la voirie au profit des modes les plus efficients est également de plus en plus évident : l'espace public est rare, alors tâchons de mieux l'utiliser. Il est indéniable que nous ne pouvons pas tous nous déplacer en voiture : la capacité de la voirie est trop limitée pour cela. Si certains continuent à pouvoir se déplacer seuls en voiture dans les centres urbains, c'est d'ailleurs bien grâce à ceux qui ont fait d'autres choix modaux. Les transports en commun et le vélo servent donc indirectement les intérêts de... l'automobiliste (idée soutenue par Albert Jacquard dans les années 1990, qui en concluait alors que la gratuité des transports pourrait d'une certaine façon se concevoir comme un dédommagement de l'automobiliste vers l'usager des transports...). La gratuité est d'ailleurs un sujet hautement électoraliste et particulièrement nocif : nos villes ont plus que jamais besoin d'investissements lourds, et la participation de l'usager des transports (même si elle se limite aujourd'hui à 30% du coût en moyenne en France) est essentielle.
Un vélo occupe 28 fois moins d'espace qu'une voiture : l'efficacité d'un réseau dédié au vélo n'est plus à démontrer. Réserver une partie de la voirie aux covoitureurs permet également de doubler voire de tripler le nombre de personnes transportées sans investissements lourds (parkings, voies réservées sur autoroute). Enfin, il reste indispensable d'investir dans des alternatives efficaces pour les périphéries (bus express, RER, réseau vélo) tout en maitrisant l'urbanisation pour éviter les que ces alternatives ne déplacent le problème. Recréer des activités locales en périphérie (emplois, loisirs, commerces) plutôt que de gigantesques centres commerciaux est aussi une partie de la solution, car cela permet de raccourcir les trajets : l'abandon récent d'EuropaCity va dans le bon sens.
On le voit, les problématiques autour de la place de la voiture dans les villes sont complexes. Les simplifications auxquelles les candidats se livrent tour à tour ne servent pas la cause de la transition écologique, en mettant face à de vrais problèmes (pollution, émiettement urbain, accès à l'emploi, etc.) de fausses solutions (gratuité, nouvelles autoroutes, etc.). Vulgariser la complexité du "système de mobilité", s'inspirer du foisonnement de travaux de recherche sur le sujet, décloisonner les analyses au profit d'une vision globale : voici quelques uns des enjeux clés pour envisager collectivement les aires urbaines de demain.
Chargée de mission chez UTP - Union des Transports Publics et ferroviaires
5 ansSuper article merci Olivier !
Administratrice Générale
5 ansBravo et merci pour l’éclairage. Des aides existent pour le rachat de véhicules moins polluants neufs ou d’occasion, mises en place par le gouvernement et par les collectivités. Les services d’auto partage aussi peuvent être des pistes de solution. Après il y a aussi le besoin de vivre dans une ville apaisée où la priorité est rendue aux piétons et au désencombrement des trottoirs. #indicedeflanerie
Responsable de pôle / Programmation urbaine et architecturale / Enseignant
5 ansTrès clair. Toutefois je vous vois taper fort sur la gratuité des transports en commun. J’aimerais vraiment comprendre pourquoi? La question économique me semble fallacieuse car si 30% de recettes viennent des tickets, combien coûte l’entretien des horodateurs, le salaire des contrôleurs, l’effet « consommateur » et donc client qu’amène le « j’ai payé mon ticket » et les dégradations inhérentes . L’expérience de Dunkerque montre une baisse significative des dégradations et incivilités depuis la gratuité des transports. Ce sont également des dépenses en moins. Donc j’aimerais savoir pourquoi cela vous semble une aussi mauvaise solution. Merci d’avance de votre réponse.
Conseiller séjour chez Rouen Normandie Tourisme & Congrès
5 ansExcellent article!