LA VOIX DES EXPERTS #2
Sur chantier de fouilles - Dominique Bosquet à gauche (c) AWaP

LA VOIX DES EXPERTS #2

Rencontre avec Dominique Bosquet, archéologue (Direction de l’archéologie, Agence wallonne du Patrimoine)

Au cours d’une des premières missions confiées à Retrace - l’écriture d’un article sur la législation de la pratique de la pêche à l’aimant en Wallonie, nous avions eu le plaisir de nous adresser à l’archéologue Dominique Bosquet, employé à la Direction de l’Archéologie de l’Agence wallonne du Patrimoine. À l’occasion du deuxième numéro de notre newsletter (abonnez-vous ici !), nous avons choisi de le recontacter et de lui proposer de prendre la parole dans notre rubrique « La voix des experts ».

Pour l'entretien en janvier dernier, nous nous sommes donné rendez-vous à la Brasserie de la Confluence à Namur, un restaurant avec une vue panoramique sur la Sambre et la Meuse situé à l’emplacement même des fouilles du Grognon co-dirigées par notre interlocuteur quelques années plus tôt. Une belle entrée en matière !

Pendant 1h30, Dominique Bosquet nous a parlé de son métier d’archéologue à l’AWaP, depuis les méthodes d’enregistrement utilisées sur le terrain, papier millimétré ou drone, jusqu’à la plus belle découverte de sa carrière, des silex vieux de 90.000 ans, en passant par les contraintes budgétaires rencontrées dans le service public. Une discussion sincère éloignée des clichés hollywoodiens, que l’on a retranscrite pour vous ici.


Pouvez-vous nous parler du Grognon où nous nous situons actuellement ?

Nous sommes sur le confluent Sambre et Meuse. C’est un endroit habité depuis la fin de la Préhistoire : depuis la fin de la dernière glaciation vers 9.000 avant notre ère jusqu’à l’époque contemporaine. Les couches d’occupations humaines s’empilent et s’enchevêtrent sur des millénaires. C’est donc particulièrement complexe d’établir ici un plan par phase d’occupation et de s’assurer qu’il est calé chronologiquement de manière correcte. Au Grognon, ce sont vingt-six phases d’occupation qui ont été documentées !

Le rapport d’opération fait dix-huit volumes. Il présente le résultat des fouilles par période, dans des introductions de quelques pages, et permet de consulter aisément la documentation de terrain pour chacune de ces périodes.

Ainsi, un étudiant qui souhaiterait faire une étude sur un sujet précis, mettons l’habitat au 14e siècle, peut facilement identifier tous les éléments qui entrent dans son thème de recherche et les documents qu’il aura à consulter pour mener à bien son étude. L’étude approfondie du site reste d’ailleurs à faire.

Les fouilles menées au Grognon s’inscrivaient-elles dans le cadre d’une campagne d’archéologie de sauvetage [réalisées dans l’urgence en cas de découverte lors des travaux d’aménagement] ou d’archéologie préventive [réalisées en prévision de travaux d’aménagement] ?

C’était un subtil mix entre archéologie préventive et archéologie de sauvetage.

On y a travaillé en même temps que l’aménageur [entrepreneur en construction] : lorsque lui était à gauche, nous étions à droite et vice versa. Le problème a été de concilier les exigences de l’aménageur et celles liées aux investigations archéologiques : l’aménageur doit travailler sur des plateaux horizontaux tandis que les archéologues sont censés suivre les couches du site qui est ici marqué par une forte déclivité ! Nous avons donc été contraints d’aborder plusieurs périodes de manière concomitante. Par ailleurs, après avoir fouillé d’un côté, on devait remblayer pour permettre à l’aménageur de faire ses travaux, tout en déblayant là où on devait reprendre la fouille, etc. On a donc perdu beaucoup de temps et d’argent en simples terrassements mais, bon an mal an, on a eu dix-sept mois de fouilles en continu sur le site.

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Dominique Bosquet lors des fouilles du Grognon, sous la dalle aménagée pour le parking (c) AWaP

Une fois que la phase de fouilles principale a été terminée, nous avons été autorisés à suivre les terrassements de l’aménageur et à lui dire : « il y a quelque chose d’intéressant là, pouvez-vous nous laisser un jour ou deux pour faire quelques enregistrements ? » Lors de ce suivi, au moment où les gros terrassements étaient en cours pour vider le volume du parking, des niveaux préhistoriques ont été mis en évidence. Ils ont staté [interrompu] le chantier pendant trois mois et nous avons pu intervenir sur ce qui restait de ces niveaux préhistoriques. La fouille s’est faite sous les deux premières dalles du parking déjà construites. Nous étions une équipe de trente personnes dont vingt archéologues de formation et dix opérateurs de fouilles. On a commencé en mars 2017 et fini en août 2018, ce qui fait dix-sept mois d’intervention, sans compter la phase post-fouilles. Cela n’arrive pas souvent en Wallonie !

Ç’a été une expérience extraordinaire, l’expérience d’une carrière ! L’équipe a bien fonctionné. L’entente avec les aménageurs a été très bonne aussi. C’était extrêmement complexe d’accorder les exigences et besoins des différents intervenants, mais tout le monde a rapidement compris qu’il fallait que ça fonctionne pour chacun.

À un moment, nous avons même bénéficié d’un arrêt du chantier de construction parce qu’est apparu un sanctuaire romain que l’on ne soupçonnait pas. Selon le planning établi, nous avions dix jours pour le fouiller. Nous nous sommes alors adressés à la ville et nous leur avons dit que le délai était intenable. En dix jours, on avait à peine le temps de déblayer le sanctuaire. La Ville de Namur nous a suivis et a accepté un quasi arrêt du chantier de construction pendant quatre mois. Pourtant, la Ville est contrainte par les conditions imposées par les fonds FEDER [Fonds européen de développement régional] qui financent ce type de projet. Si vous voulez bénéficier de ces budgets, vous avez un planning de facturation auquel vous ne pouvez pas surseoir ; tout ce que vous facturez après les délais ne sera plus pris en compte et vous perdez donc une partie des fonds. Pour la Ville, il était hors de question de ne pas en bénéficier, d’où le stress sur le planning. Mais nous avons tout de même pu obtenir ce fort ralentissement à notre bénéfice et les choses se sont finalement terminées dans les temps.

Des panneaux didactiques sont présentés dans les allées du parking aménagé au Grognon. Il semble que vous ayez participé à leur écriture ?

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Panneaux didactiques à l'entrée du parking Confluence sur le site du Grognon

L’équipe archéologique a été associée à la valorisation des résultats sur le site : à l’intérieur du parking, sur l’esplanade et dans le NID [espace Namur Intelligent et Durable] où le public peut profiter d’une reconstitution en réalité virtuelle de trois moments clés de l’histoire du Grognon : le Néolithique, l’Antiquité et le Moyen-âge. Pour certaines scènes que l’on peut voir, ce sont des hypothèses de travail mais elles sont vraiment au plus près de la éalité scientifique.

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Détail d'un panneau didactique présenté au parking Confluence

Vous êtes donc à la fois dans la recherche, l’analyse et le traitement des données, et la médiation ?

Nous sommes payés avec les impôts de la communauté donc la moindre des choses est qu’elle ait un retour sur investissement ! D’autant plus que comme chacun le sait, la bonne vulgarisation s’appuie sur une recherche scientifique de qualité. Nous essayons donc de réaliser toute la chaîne opératoire : depuis les avis que l’on remet sur les permis d’urbanisme qui nous permettent de sélectionner les endroits où l’on va entreprendre des fouilles préventives jusqu’aux expositions grand public.

Comment votre temps est-il réparti entre vos différentes tâches (fouilles, travail post-fouilles, médiation, administration…) ?

Nous sommes une administration donc l’administration prend malheureusement… un certain temps. Personnellement, je ne fais quasiment plus de terrain mais pour mes collègues, je dirais que 20% du temps est consacré à l’administration tandis que le reste est partagé entre le terrain et les tâches post-fouilles.

J'ajouterais toutefois qu’étant donné qu'étant donné que nous ne sommes pas assez nombreux, on peut difficilement faire le switch entre le terrain et le post-fouille. L’idéal serait que pendant qu’une équipe se charge du post-fouille, l’autre soit sur le terrain. Actuellement, nous sommes sur le terrain tout le temps et le post-fouille prend un sacré coup dans l’aile. On arrive parfois jusqu’au rapport d’opération mais rarement à la publication finale. Si vous faites un an de terrain, il faut compter un an pour le travail post-fouille et plus encore si vous voulez aller jusqu'à la publication.

Actuellement, à la Coordination opérationnelle de l’AWaP qui est la direction pour laquelle je travaille, nous avons mis au point avec quelques collègues une priorisation des études pour publications. Nous venons de boucler la planification jusque fin 2024 pour tous les spécialistes et archéologues. Ils vont travailler sur un certain nombre de sites, mais cela va nécessiter que les archéologues en charge de ces études n’aillent plus sur le terrain.

En effet, le critère de succès principal est la disponibilité de l’archéologue car il est le chef d’orchestre de l’étude finale : c’est lui qui doit coordonner toutes les études qui sont menées par les spécialistes des sciences naturelles mais aussi tous les spécialistes que l’on a en interne comme les céramologues. Nous allons essayer de sortir des publications dans les deux à trois ans qui viennent.

Invitez-vous des étudiants à participer aux recherches ? Êtes-vous en contact avec les universités ?

On est en lien permanent avec les universités dans la mesure où l’AWaP finance des partenariats avec les universités francophones. S’il n’y a pas de collaboration formelle pour ce qui concerne le terrain, les professeurs d’université savent bien qu’ils peuvent nous solliciter.

Combien échangez-vous avec les archéologues des autres régions du pays ? Et avec ceux des pays limitrophes ?

On échange principalement à l’occasion de colloques, mais aussi au cours de journées archéologiques organisées à travers le pays et que l’on appelle « Groupes de Contact ». Il y en a un pour la Préhistoire, pour les âges des métaux, pour la période romaine, pour la période médiévale. C’est annuel. On y rencontre parfois des archéologues des pays limitrophes. Ce sont les interfaces les plus évidentes entre nous tous.

Chaque archéologue de l’AWaP, en fonction de ses spécialités et de ses intérêts, est autorisé à participer aux rencontres qui l’intéressent en Belgique ou à l’étranger.

À quel point les fouilles menées par l’AWaP ont contribué à l’écriture de l’histoire de nos régions ?

Chaque fouille contribue à une amélioration des connaissances même si c’est par des tout petits bouts.

Par exemple, nous n’avions pas idée de l’existence d’un sanctuaire à l’origine du Namur romain. Nous avons là apporté quelque chose de tout à fait neuf dans la vision que l’on avait de la ville.

Lorsque l’on a fouillé un campement de chasseurs néanderthaliens sur le site du TGV, il y a eu un réel apport. Forcément, on est sur des découvertes tellement exceptionnelles et tellement anciennes…

Même à Waterloo où il existe toute une série de mythes autour de la bataille. Il a par exemple été dit que les Français n’avaient jamais pu prendre la ferme d’Hougoumont qui est le cadenas de l’aile droite de Wellington. Alors, oui, ils ne l’ont jamais prise mais ils ont été en position de le faire à plusieurs reprises ! On a pu mettre en évidence qu’il y a probablement eu des combats entre Français et Anglais à l’intérieur de l’enceinte de la ferme alors que les Français étaient supposés n’y avoir pénétré qu’une seule fois pendant vingt minutes. Vingt Français seraient entrés par la porte Nord, auraient été massacrés tout de suite et après cela, plus rien. On a pourtant retrouvé des balles françaises qui avaient été tirées à l’intérieur du jardin ! Rien qu’en étudiant la répartition des balles de mousquet et en identifiant leur nationalité, on a pu mettre ce mythe en doute.

On parle aussi beaucoup des charniers aménagés après la bataille, mais jusqu’ici on n’en a encore retrouvé aucun. Une grosse question se pose là. Une hypothèse veut que ces charniers aient été vidés pour alimenter l’industrie sucrière : pour obtenir du sucre raffiné, il fallait faire passer la mélasse à travers ce que l’on appelle du « noir animal » qui était obtenu en carbonisant des os animaux. Il était interdit d’utiliser des ossement humains pour le faire, mais comme le prix de l’os a été multiplié par dix lorsque l’industrie sucrière a commencé à se développer en Wallonie, les gens peu scrupuleux ont pu se dire : « Tiens, là, on a un gisement d’ossements phénoménal ! » De fait, une sucrerie a fonctionné à moins d’un kilomètre du champ de bataille. Si cette hypothèse est exacte, il faut que l’on retrouve ces charniers vides. Or, pour l’instant, on ne les a toujours pas retrouvés.

Où est préservé le matériel découvert ? Où se situent les réserves de l’AWaP ?

Elles étaient avant à Saint-Servais mais elles ont été balayées par les inondations à deux reprises, ç’a été une catastrophe. Le Gouvernement wallon a consenti à un effort non négligeable : toute une équipe ouvre les caisses, nettoie le matériel et tente de récupérer ce qui peut l’être. Pour le matériel issu des fouilles, on a un taux de récupération qui est étonnamment haut. Pour la documentation par contre, on a connu une perte considérable. C’était très dur à vivre.

Depuis, tout a été transféré au Sart Hulet, sur une hauteur ! C’est ici dans la banlieue de Namur. Mais cet accueil au Sart Hulet est temporaire car il y a un projet d’aménagement du lieu. Mes collègues de la Direction scientifique et technique sont en train de plancher sur la question du nouveau centre de conservation et d’étude.

Quand et comment est née l’AWaP ?

Nous faisions partie de ce qui s’appelait la « Direction générale de l’aménagement du logement, du territoire, du patrimoine et de l’énergie ». Il y avait une section « Patrimoine » dans laquelle était intégrée la « Direction de l’archéologie » et qui gérait tout ce qui était archéologie préventive. Chaque province avait une sous-direction et donc une équipe d’archéologues.

À côté de cela, il y avait l’ « Institut du patrimoine wallon » qui était également financé sur fonds publics mais qui était une entité indépendante.

En 2019, il a été décidé de fusionner les deux pour former l’AWaP, l’Agence wallonne du Patrimoine, qui est un SACA, un service administratif à comptabilité autonome. Il y a toujours les cinq équipes provinciales qui comptent des archéologues, architectes, historiens d’art mais la structure a été modifiée et s’est agrandie puisqu’elle a intégré tous les membres de l’Institut du patrimoine wallon.

Combien de chantiers de fouilles sont ouverts actuellement en Wallonie ?

Entre cinq et dix, je dirais, à travers toute la Wallonie, sur des sites d’importance variable.

Existe-t-il une carte qui les répertorie ?

On a un inventaire des sites archéologiques et une carte qui les répertorie, disponible sur le site de WalOnMap. Sur la carte, il y a une couche archéologique qui vous permet de savoir si vous êtes en zone archéologique sensible.

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Namur dont le site du Grognon à la confluence de la Sambre et de la Meuse sur la carte archéologique disponible sur WalOnMap

L’AWaP mène-t-elle essentiellement des fouilles préventives ou des fouilles de sauvetage ?

L’essentiel des chantiers se fait de manière préventive.

On souhaiterait que les mentalités changent, que l’archéologie ne soit plus considérée comme un frein au développement économique. Entre le moment d’une demande de permis d’urbanisme et le moment où le chantier de construction commence, bien souvent une année s’écoule, voire plus. Si l’archéologie est intégrée dès le début du processus, cela ne pose jamais de réel problème en fait. Au moment où l’aménageur commence ses travaux, le terrain est libéré de toute contrainte liée au patrimoine archéologique !

Nous essayons donc d’être informés le plus en amont possible des projets mais il y a malheureusement encore trop de projets qui couvrent de grandes superficies et pour lesquels nous sommes prévenus trop tard. Nous intégrer dans le planning devient alors un casse-tête.

Vous passez donc à côté de chantiers potentiels ?

Ah ça, oui ! De manière encore trop fréquente. On essaie d’être au courant le plus en amont possible mais malheureusement, certains projets passent entre les mailles du filet.

Les communes ont une certaine autonomie en matière de traitement des permis d’urbanisme. Si certaines jouent le jeu de l’archéologie préventive, ce n’est pas le cas de toutes. Même au niveau des demandes de permis d’urbanisme qui nécessitent un avis du fonctionnaire délégué, un fonctionnaire de l’administration centrale, des choses passent parfois entre les mailles du filet.

De toute façon, il y a des choix à faire. On ne peut pas tout faire. On essaie d’au moins réaliser la phase de diagnostic, c’est-à-dire d’ouvrir des tranchées de sondage pour voir s’il y a quelque chose et pour en évaluer l’importance. Mais il y a des exemples de zonings de septante ou quatre-vingt hectares où nous n’avons pas pu intervenir.

Et chez nos voisins, en France par exemple, cela se passe-t-il différemment ?

En France, l’archéologie est ancrée dans les mentalités. L’INRAP [Institut national de recherches archéologiques préventives] est une machine de guerre !

D’un point de vue législatif, les choses sont envisagées différemment aussi. En France, tout ce qui est dans le sous-sol appartient à l’État. En Belgique, il faut négocier la propriété du matériel archéologique avec le propriétaire du terrain car ce qui est dans le sous-sol lui appartient. Chaque fouille est donc encadrée par un protocole d’accord au sein duquel il existe une clause consacrée à la dévolution du matériel archéologique. La plupart du temps, le propriétaire du terrain nous cède ses droits sur le matériel. Dans certains cas, quand le propriétaire est également gestionnaire d’un musée par exemple, il veut rester propriétaire des objets sortis du sol pour pouvoir les valoriser dans son institution, ce qui n’est pas nécessairement un problème, mais cela doit se faire de manière encadrée.

En France, il y a également le principe de l’aménageur-payeur alors qu’en Wallonie, l’archéologie préventive est financée à 100% par le service public. Ce qui est très bien aussi mais qui fait que les moyens restent assez limités, en particulier en ce qui concerne le personnel qui nous fait aujourd’hui fortement défaut.

À combien s’élève le budget de fonctionnement de l’archéologie préventive en Région wallonne ?

Le budget de fonctionnement de l’archéologie préventive est de 2,2 millions par an en Wallonie. Cela ne comprend pas les salaires du personnel.

Quel rôle jouent les nouvelles technologies, comme par exemple le drone, au sein de l’AWaP ?

On a un service de géomatique qui est extrêmement bien équipé et auquel on a recours régulièrement.

Pour les fouilles du Grognon, nous n’y serions pas arrivés sans cette équipe ! Si nous avions dû faire tout ce que l’on a fait avec les méthodes classiques sur papier millimétré, cela aurait été ingérable. On a utilisé le drone pour faire des relevés photogrammétriques : le télépilote faisait voler la machine et, moi, j’avais un écran de contrôle qui me permettait de déclencher l’appareil photo aux moments les plus opportuns, pour prendre les clichés nécessaires. On nettoyait donc impeccablement le site et en une demi-journée de relevés par drone, nous avions tout en trois dimensions. C’est un gain de temps considérable ! On a utilisé la photogrammétrie aérienne et terrestre.

Par contre, il faut bien réfléchir à la pérennité de l’information. La fiabilité des fichiers informatiques n’est pas assurée, en particulier à très long terme. Si la fouille n’est enregistrée que sur des formats électroniques, il y a un danger. On a donc choisi de faire des tirages en lasers couleurs de ces relevés et ensuite de les annoter sur le terrain, de manière classique. Le papier assure la pérennité.

Des chercheurs doivent en effet pouvoir retravailler la documentation, y compris des dizaines d’années après la fouille, et pouvoir dire que certaines de nos interprétations sont à revoir. Ces personnes auront alors besoin de consulter l’information originale. L’archivage de la documentation et du matériel archéologiques fait partie de nos missions. Il ne faut jamais oublier qu’une fouille détruit un site de manière irrémédiable et définitive.

Quelle est la relation entre l’AWaP et les détectoristes [utilisateurs de détecteurs à métaux] ?

Je coordonne justement l’équipe d’archéologues qui gère le suivi de la nouvelle législation, effective depuis juin 2019. Dans le monde des archéologues, il y a ceux qui y sont opposés et d’autres, nettement moins nombreux, qui y sont favorables. J’en suis un ardent défenseur.

On vient d’une situation où le détectorisme était interdit mais cette interdiction était totalement inapplicable. La police et les archéologues ont d’autres priorités. On ne peut pas placer un archéologue derrière chaque buisson de Wallonie pour vérifier si un quelqu’un arrive avec son détecteur. Donc, sauf exception, vous pouviez détecter n’importe où, n’importe comment sans qu’il ne vous arrive jamais rien. Et nous, nous n’avions aucun retour sur toutes ces prospections illégales. Nous avons donc eu l’idée d’inverser le raisonnement à 180°.

Au fond, dans les détectoristes, il y a tous les profils : cela va du bandit qui fait du pillage de site en connaissance de cause et qui revend tout sur le marché jusqu’au sympathique grand-père qui est passionné par l’histoire de son village et qui ne comprend pas en quoi il contribue à la destruction du patrimoine ; et entre les deux, il y a tous les profils imaginables.

Notre idée a été de proposer aux détectoristes de collaborer avec nous. Depuis juin 2019, moyennant l’obtention d’un permis, vous êtes autorisé à faire du détectorisme en Wallonie, sauf sur les sites mentionnés à la carte archéologique et sur les sites classés. C’est une autorisation annuelle qui coûte 40€ et qui vous oblige à déclarer toutes vos activités et découvertes. Les formulaires de déclaration sont disponibles sur « Mon Espace », le portail qui vous permet d’effectuer toute une série de démarches administratives en ligne.

Maintenant, les détectoristes peuvent encoder leurs déclarations entièrement sur internet et nous, nous alimentons une base de données cartographique sur la base des informations fournies. On est à 680 détectoristes autorisés depuis 2019, et à 5.600 objets encodés dans le système d’information géographique.

Au bout du compte, certes, on a des pillages qui continuent, on a probablement même des pilleurs qui ont obtenu leur carte parce qu’on n’a toujours pas les moyens de vérifier – il faut bien se dire que cette législation se base uniquement sur la confiance ! - mais on a des résultats très intéressants qui sortent et qui sont publiés annuellement dans la revue Vie archéologique éditée par la Fédération des Archéologues de Wallonie et Bruxelles. La Fédération est l’organe qui associe archéologues amateurs et professionnels. Vie archéologique offre donc le cadre rêvé pour publier les découvertes des détectoristes. Chaque année, nous sélectionnons les objets les plus intéressants et parmi ceux-ci, douze sont choisis par la Fédération pour publication.

Les détectoristes qui collaborent avec nous doivent en effet avoir un retour. Encoder les données géographiques sur la plateforme, télécharger les photos etc. représente un certain travail. Via cette publication, on met leur contribution en valeur tout en en faisant profiter le plus grand nombre. Les découvreurs co-signent les notices des objets avec les spécialistes qui les identifient et les datent.

À terme, on voudrait mettre en ligne une base de données qui répertorie les découvertes des détectoristes et qui soit accessible à tous. On éviterait toutefois de localiser précisément les objets pour ne pas faciliter les pillages. On resterait par exemple au niveau de la commune pour ce qui est de l’information de localisation.

Notre système est exigeant mais je pense que c’est nécessaire. En Flandre, ils ont un permis à vie et aucune obligation de rapport d’activités. Résultat ? Ils ont 5.000 détectoristes agréés dont seuls 200 déclarent leurs découvertes. Ils s’en mordent les doigts. C’est difficile, il faut trouver la formule qui permette d’en retirer le plus de bénéfices possibles sans décourager les bonnes volontés.

Tout cela est très positif au final mais cela prendra du temps pour que les mentalités évoluent, tant au niveau des professionnels que des amateurs. Il y a un travail de sensibilisation. On doit descendre de notre tour d’ivoire et rencontrer les détectoristes. Beaucoup d’entre eux ont une connaissance de leur région qui est vraiment appréciable !

Quel changement pourriez-vous souhaiter voir s’opérer au sein de l’AWaP ?

Ce sont des recrutements que je pourrais espérer. Il y a un épuisement patent des équipes qui se marque de manière concrète avec des maladies de longue durée et des burn-out en série. Nous manquons de personnel, comme dans tous les services publics. Mais nous sommes les premiers à dire qu’à partir du moment où il manque du personnel dans les services de soins de santé ou de la justice, l’archéologie n’est pas prioritaire.

Un plan d’action a été mis sur pied pour qu’on fonctionne au mieux avec les effectifs actuels. Mais même ce faisant, on tourne un peu autour du pot : il faudrait recruter. Je pense que la hiérarchie le sait bien mais encore une fois, c’est un problème qui dépasse largement l’AWaP.

Quelle a été la plus belle découverte de votre carrière ?

C’est totalement non spectaculaire ! Ce sont 450 outils de silex trouvés sur les fouilles du TGV. Ils remontent au dernier réchauffement avant la dernière glaciation, à environ 90.000 ans avant notre ère. C’est une découverte tout à fait exceptionnelle. Et elle l’est toujours vingt ans plus tard. Il n’y a quasiment pas de site comparable fouillé en Wallonie depuis lors.

La découverte de ce site a été voulue, ce qui est super ! On avait à notre disposition les profils en long réalisés pour identifier les couches géologiques qui devaient former l’assise du TGV. Ces sondages à grande profondeur nous ont permis de repérer les grandes unités géologiques.

Étant donné qu’il faut des méthodes spécifiques pour les atteindre, il y a un gros déficit de découvertes de sites anciens, et pas uniquement en Wallonie. En effet, même si ce n’est pas toujours le cas, ils sont souvent à grande profondeur. En étudiant ces profils en long, nous avons déterminé une série d’endroits où les chances de trouver ces sites étaient plus grandes. On a fait nos diagnostics à 10% et lorsque l’on arrivait sur ces secteurs-là, on faisait un sondage en profondeur pour atteindre des horizons repères qui sont datés et voir à quelle profondeur ils se situaient. On a par exemple un horizon repère qui est daté vers 19.000 avant notre ère. Si celui-là est proche de la surface, a fortiori, les choses plus anciennes peuvent être plus proches. Sur la troisième zone, nous étions sur le niveau géologique recherché. Cela ne signifiait pas que l’on avait de l’archéologie associée. Mais après la deuxième tranchée, nous avions déjà des lames en silex qui sortaient ! Dans une carrière d’archéologue, ce sont des moments où on a le cœur qui bat à deux cents à l’heure !

Le matériel n’est pas exposé, il est toujours dans les réserves pour étude. Nous avons publié plusieurs articles mais pas encore l’étude finale alors que les fouilles ont eu lieu en 1996. On en revient à ce problème : on est tout le temps amené à faire d’autres choses, on ne trouve pas le temps de s’arrêter pour terminer une étude. Il me reste six ans avant ma retraite, je veux terminer cette publication, faute de quoi je n’aurai pas le sentiment du devoir accompli !

Selon vous, quelles qualités faut-il avoir pour s’épanouir dans le métier d’archéologue ?

Il faut s’intéresser à l’être humain. Finalement, l’archéologie, c’est de la sociologie des temps passés. Il faut garder cela en ligne de mire.

Dès qu’il y a une problématique, vous devez pouvoir vous détacher des périodes. J’étais préhistorien au début mais aujourd’hui, je mène des fouilles sur le champ de bataille de Waterloo. L’archéologie permet d’objectiver l’histoire puisqu’elle repose sur des faits matériels et donc par nature indubitables, même si l’interprétation peut varier évidemment. Si vous êtes intéressé par des problématiques liées au fonctionnement des sociétés humaines, vous êtes capable de vous intéresser à la Préhistoire ou à l'époque romaine, peu importe.

Il faut aussi des qualités d’observation et de l’imagination. Vous avez sous les yeux des faits matériels que vous enregistrez. À partir de là, vous devez inventer des scénarios pour expliquer les traces auxquelles vous êtes confronté. Il faut évidemment une base de connaissance pour échafauder des théories qui tiennent la route.

Il faut aussi de l’humilité et essayer de ne pas mettre trop d’ego dans les théories que l’on a élaborées. Il faut garder l’esprit ouvert et être capable de remettre les choses en question, y compris, voire surtout, ce que l’on a formulé soi-même.

Il faut donc accumuler la documentation de manière à permettre la remise en question de votre travail par d’autres. Il faut que dans vingt, trente ou cinquante ans les gens puissent dire : « Bosquet et Van Mechelen ont raconté n’importe quoi lors des fouilles au Grognon » !

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Equipe de fouille du Grognon (Dominique Bosquet debout au milieu, Raphaël Van Mechelen accroupi à l'avant) (c) AWaP

À côté de cela, il faut des qualités humaines pour diriger une équipe, c’est très important. Au sein d’une équipe, tous les niveaux d’étude coexistent. Il n’est pas nécessaire de déléguer toutes les tâches subalternes aux personnes qui n’ont pas le niveau universitaire. Il faut surtout que vous soyez capable d’effectuer vous-même toutes les tâches. Quand vous devez expliquer à un opérateur comment recouper un trou de poteau à la bêche, il faut que vous puissiez le faire vous-même de manière parfaite. Non seulement, vous pourrez l’expliquer mais l’opérateur se sentira également respecté.

En général, quand ça tourne au vinaigre sur une opération archéologique, ce n’est pas dû aux compétences des gens. Même si vous avez un archéologue moins expérimenté, vous pouvez rapidement faire en sorte qu’il soit à niveau. C’est plutôt au niveau des rapports humains que ça ripe. Je n’ai été réellement confronté à ça qu’avec le Grognon car je dirigeais une équipe importante, mais en gros, ça a très bien roulé !

Avant de nous quitter, pouvez-vous nous dire comment vous en êtes arrivé au métier d’archéologue ?

J’ai eu une scolarité compliquée et obtenu mon diplôme de rhétos aux forceps ! Je pensais que l’université n’était pas pour moi. J’ai commencé un apprentissage en facture d’orgue car j’aimais la musique et le travail du bois. J’ai voulu concilier les deux. Au cours de la quatrième et dernière année de mon apprentissage, j’ai fait un voyage en Turquie avec des amis. Ç’a été une révélation ! J’ai toujours aimé l’archéologie, ceci dit. Mon père m’emmenait souvent au musée des Sciences naturelles et à Tervuren.

En Turquie, nous sommes tombés sur des Japonais qui commençaient la fouille d’un tell en Anatolie. Lorsque j’ai vu ça, j’ai réalisé que c’était ce que je voulais faire et j’ai accepté l’idée qu’il faudrait passer par l’université. Après mes quatre ans passés en atelier, je suppose que j’avais acquis la maturité nécessaire pour affronter ce type d’études. Finalement, cela n’a pas été un problème. J’ai étudié à l’ULB et je me suis spécialisé en Préhistoire.

À l’ULB, lorsque Pierre de Maret, professeur en anthropologie, m’a demandé ce que je souhaitais faire, je lui ai répondu : « Je veux faire des fouilles ». À l’époque, à l’ULB, les stages de fouilles commençaient tard, ce n’était que durant les deux dernières années. Pierre m’a donc mis en contact avec Daniel Cahen qui dirigeait la section Anthropologie et Préhistoire de l’Institut royal des sciences naturelles et fouillait des sites du Néolithique ancien en Hesbaye liégeoise. Pour la suite, tous mes étés étaient consacrés à des stages de fouilles sur des sites de Daniel Cahen. Comme nous nous sommes bien entendus et qu’il était visiblement satisfait de mes services, il m’a proposé mon sujet de mémoire de licence : une reconstitution en 3D des enceintes du Néolithique ancien de Hesbaye, une façon pour moi d’allier le travail du bois, que Daniel pratiquait également comme hobby, et l’archéologie préhistorique.

Je n’ai pas tout de suite eu le temps de terminer mon mémoire puisque l’armée belge s’est rappelée à mon bon souvenir. En effet, après quatre ans de menuiserie-ébénisterie et les études d’archéologie, j’avais atteint la limite de sept ans après la rhéto pour faire le service militaire. J’ai donc opté pour un service civil que j’ai pu faire au musée des Sciences naturelles. À cette époque, c’était vingt mois, durant lesquels j’ai pu terminer mon mémoire de licence et faire des animations en Préhistoire avec Nicolas Cauwe, actuel conservateur de la section Océanie des Musées royaux d’Art et d’Histoire. Nous faisions notamment des démonstrations de taille du silex et nous expliquions le quotidien des populations préhistoriques de manière pratique aux élèves de tous âges des écoles francophones.

Une fois mon mémoire remis et mon service civil achevé aux Sciences naturelles, les Musées royaux d’Art et d’Histoire m’ont proposé une mission de fouilles archéologiques en Sibérie.

À mon retour de mission, en 1993, les fouilles pour le TGV ont commencé. L’équipe était financée par la Région wallonne et les recherches archéologiques ayant trait à la préhistoire étaient menées par l’Institut des Sciences naturelles. J’ai été l’archéologue désigné pour cela et ai travaillé pendant seize ans à l’Institut, au niveau fédéral donc, sur fonds du Service Public de Wallonie.

En 2009, le SPW a effectué une grosse opération de recrutement et, ma candidature ayant été retenue, j’ai été engagé directement à la Région Wallonne. J’ai alors été affecté à la province de Brabant pour mener à bien des opérations d’archéologie préventive, puis, en 2016, quand les fouilles du Grognon ont commencé à se profiler, ils cherchaient quelqu’un à la Direction de l’archéologie pour diriger l’équipe et le chantier et m’ont proposé de m’en charger. J’ai accepté à la condition de pouvoir collaborer avec Raphaël Vanmechelen, l’archéologue qui avait dirigé la première campagne de fouilles.

De 1995 à 2000, il y avait eu une grosse campagne de fouilles préventives car il y avait un projet d’aménagement qui n’a finalement jamais abouti. Raphaël, connaissant le site comme sa poche, était incontournable. En plus, il est spécialisé dans des périodes dans lesquelles je ne le suis pas et qui sont les plus représentées au Grognon. On a donc co-dirigé ce chantier du Grognon et ça a été une expérience inoubliable, c’était vraiment génial !

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Pour aller plus loin avec Dominique Bosquet, vous pouvez encore visionner ces deux vidéos :

  • Les fouilles du Grognon :

  • La diversité du métier d'archéologue :

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