L'agriculture, martyre des contradictions modernes.

L'agriculture, martyre des contradictions modernes.

Alors ça y est.

Après des mois de remous à bas bruit, les agriculteurs ont finalement décidé d'enclencher un rapport de force envers une situation qu'ils disent intenable.

Les belligérants sont connus, les camps qui n'ont pas tardé à se former aussi, mais sommes-nous sûrs d'être dans un affrontement classique du bon sens paysan face à l'absurdité aveugle des technocrates citadins ?

Oui, mais pas seulement.

Si l'on veut commencer à comprendre l'agriculture, il y a urgence à ralentir. Parce que le temps d'un champ ou d'une pâture n'est pas celui d'un quarter de résultat financier. Il faut 5 à 10 ans pour commencer à voir une évolution notable dans la vie d'un sol, permettant aux personnes qui l'exploitent d'envisager l'utilisation de moins de produits synthétiques. Il faut la même période pour commencer à rentabiliser telle ou telle machine achetée pour répondre aux exigences de rendement posées par des acheteurs tout puissants.

Ou le sont-ils, tout puissants, ces acheteurs ?

Ne sont-ils pas sous la pression constante de la valorisation de leur enseigne, mesurée plusieurs fois par an en parts de marché ? Ne sont-ils pas sous la pression du mantra le plus répété à longueur de sondage et de temps d'antenne ? Je veux bien entendu parler du "pouvoir d'achat".

Signe des temps, dans une interview d'un député avant la séance des questions au gouvernement le 23 Janvier, la première et seule réponse aux demandes de marges pour les agriculteurs, c'est ce même pouvoir d'achat qui est immédiatement invoqué. Des milliers de personnes bloquent des axes routiers, un décès est déjà à déplorer parmi les manifestants mais non. Le pouvoir d'achat reste la première et seule réponse.

Venant d'un membre du camp gouvernemental qui se préoccupe plus que les oppositions d'ordre public ça peut se justifier, mais c'est court... Désespérément court.

Paysan/ne en 2024, ça veut dire quoi ?

Et tout ça en raison de quoi ? Du changement climatique. En influence directe ou indirecte sur les épisodes météo extrêmes. Si les détails de chaque épisode vous intéresse, fouillez dans les archives Twitter ou LinkedIn de Serge Zaka qui les documente parfaitement.

Ajoutez à ça un endettement moyen qui arrive à 41,88% en 2018 selon le RICA en raison de pressions à la compétitivité et au rendement... C'est intenable.

Être paysan/ne en France en 2024 est intenable. Pour autant, ça ne veut pas dire que leurs revendications soient justes ou simplement réalistes, ce serait trop simple.

Entre le marteau de l'environnement et l'enclume du pouvoir d'achat

Une partie des revendications(*) exprimées jusqu'à présent ont désigné un des grands ennemis de ce mouvement : le Green Deal européen qui impose des normes à la création de haies, interdit de subventionner le carburant non routier... bref, essaie de faire un bout du chemin en matière d'environnement.

(*) à la rédaction de ce billet, la liste exhaustive des revendications n'est pas connue, je corrigerais s'il le faut

Si l'on résume : la profession qui jusqu'à présent a le plus pâti du changement climatique est en révolte contre des mesures visant à amoindrir celui-ci ? Ils ne doivent pas vraiment avoir réfléchi au sujet...

...doit-on se dire dans les salons citadins qui ont déjà publié des avis grandiloquents sur la nécessité de conjuguer combat agricole et combat écologiste...

Ou alors, on pourrait se poser la question de savoir comment on en arrive à une profession qui fait le choix de saborder son avenir de moyen terme au profit de sa survie de court terme ?

Parce qu'ils n'ont pas le choix. Parce qu'on ne leur a pas laissé le choix.

Parce que coincés entre les injonctions de rendement qui demandent toujours plus et l'épuisement d'un environnement qui peut fournir de moins en moins à valeur monétaire égale, le système entier est insoutenable.

A côté du changement climatique, les deux autres sujets d'égale importance sont la disparition de la biodiversité et la raréfaction des ressources. L'agriculture est dans la position peu enviable d'être en prise directe avec les trois.

Rien d'étonnant à ce qu'ils soient les premiers à craquer.

Mais d'autres suivront si l'on ne repense pas de fond en comble notre rapport à la création de richesses.


Céline Monthéard

Sensibilisation & Direction de Projets de Transformation vers l'Eco-Soutenabilité | Co-créatrice @ La Fresque Agri'Alim 🌾 – Instructrice @ La Fresque du Climat 🌍

11 mois

Et donc La Fresque Agri'Alim pour prendre le temps de poser tout ça, et surtout de retisser des liens 😉

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