L'ancien, le contemporain.
Dans un article agréable à lire, Tristan Claret-Trentelivres, se livre dans le figaro à un exercice de style périlleux : une critique esthétique de l’époque. « L’ancien est esthétiquement bien supérieur au contemporain » : voilà une assertion bien définitive, qui doit conforter son cœur de cible du lectorat du Figaro, confortablement installé dans ses charentaises, mais qui appelle néanmoins quelques remarques.
D’abord notons que pour un château d’Ancy-le-Franc construit en 1540, chef d’œuvre absolu de la renaissance Française, il est très difficile de savoir combien de châteaux de l’époque, minables, mal bâtis, horriblement construits ont été démolis, remaniés à d’autres époques, ou déconstruits. Affirmer que ce château représente la production architecturale du 16éme siècle Français serait complétement faux. A l’époque de la construction des bâtiments haussmanniens célébrés dans l’article de Claret-Trentelivres, la « Zone » était un bidonville géant qui entourait Paris sur 30km de profondeur, sur la zone non-aedificandi de l’enceinte de Thiers. Est-ce que ces constructions de bric et de broc, trouverait la même grâce auprès de l’auteur de l’article que les bâtiments haussmanniens bourgeois du centre de Paris ? Est-ce que, pour pouvoir clamer en société « moi, j’habite dans un bâtiment 19éme siècle», ça vaudrait vraiment le coup de faire sauter son PEL pour avoir un petit cabanon en bois et tôle d’une pièce, non isolé, sans adduction d’eau et sans égouts ? Ce qu’il nous reste du passé c’est ce qui a résisté au temps, le monumental, l’exceptionnel, ou au contraire l’immuable, le type à révolution lente des constructions vernaculaires, souvent à vocation agricole. Peut-on se fier à ces restes pour définir les qualités esthétiques d’une époque ? Rien n’est moins sûr.
D’autre part la piste de l’« indifférence fonctionnaliste » moderne et contemporaine, au cœur de l’accusation me semble une fausse piste. Ce fonctionnalisme qui préside à bon nombre de nos constructions et en réalité strictement la même que celle qui conduisait le paysan lotois à construire sa ferme en pierre. Le vernaculaire contemporain des bureaux de la gendarmerie de Mont-de-Marsan, en plafond 30x30, au sol intégrant plinthe en PVC lustré, éclairé au néon, est probablement aussi fonctionnaliste qu’une magnanerie gardoise en pierre de vers et charpente massive en châtaigner des Cévennes du 19éme siècle.
En revanche il semblerait que ce soit moins beau, et c'est un point que l'on peut accorder à l'auteur de l'article. Ce qui a vraiment changé au cours du XXéme siècle, ce sont les conditions de production de l’espace bâti : aujourd’hui extraire une pierre dans la carrière au fond de son jardin, est beaucoup plus compliqué, plus long et plus cher, que d’aller chez BricoTruc chercher un parpaing et de la pierre de parement chinoise. Si votre voisin a un tropisme le poussant vers la pierre de parement chilienne ou finnoise, ça sera toujours moins compliqué que d’aller au fond du jardin débiter une pierre de carrière locale. Dans notre système d’économie mondialisé il n'y a plus de lien entre le territoire et l’espace bâti.
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Cette rationalisation des filières, cette industrialisation des procédés des constructions commencé 19éme siècle et complétement achevé avec le processus de normalisation (Norme, Eurocode..) standardise les mises en œuvre, les assemblages, les jonctions entre éléments architectoniques. Plus de décors, de savoir-faire locaux, les artisans toujours moins nombreux abandonnent progressivement le savoir-faire transmis par la tradition au profit des tutos youtube universel, et deviennent des « poseurs » de produits, au risque de ne pas pouvoir assurer leur ouvrage. Ce que l’on ne voit plus dans les bâtiments, c’est la main de l’homme, son travail, sauf quand il y a un défaut. C'est probablement une des premières pistes de l’absence de beauté manifeste du vernaculaire contemporain. Pour le monumental, le grandiose, les architectes en charges des bâtiments contemporain ne sont ni plus mauvais ni meilleurs que leurs prédécesseur. Le problème pourrait résider dans cette phrase : « nous sommes collectivement plus riche qu’en 1900 ». Nous avons, au moment de construire, trop de choix, trop d'option. L'intelligence des hommes se perd dans cette gymnastique épuisante de la réinvention permanente des procédés constructifs, au risque de perdre une qualité : la simplicité évidente de la mise en œuvre, qui reste un des manière les plus simple de conduire à la beauté.
Si vous passez sur l’autoroute à Montpellier, et que vous voyez apparaitre le nouveau quartier de Port Marianne, vous avez la même sensation que quand vous traversez la ZAC Massena à Paris, la ZAC Confluence à Lyon, ou encore Cardiff Bay au Pays de Galle. Vous faites l’expérience inédite de la déterritorialisation. Vous êtes plongé dans le « nulle part », dans le standard absolu, le marasme moderne et libéral d’une architecture de catalogue. En fait vous êtes projeté mentalement Portes de Versailles, au salon BATIMAT, dans la vaste salle des exposants des catalogues de matériaux. Ce qui est paradoxal, et qu’oublie de mentionner l’auteur de l’article, c’est que cette architecture de catalogue à bel et bien commencé avec l’haussmannien qui était déjà une proto-industrialisations des décors (balustre, corniches..), des manières de faire, appliqués indifféremment à Paris, Niort ou Toulouse.
Mais contrairement à ce qu'affirme notre auteur, cela ne veut pas dire que cette beauté n’existe plus aujourd’hui : elle s’est simplement déplacée. Malheureusement elle n'est plus beaucoup dans les villes, qui sont produites comme des objets de consommation courante. L’auteur de l’article mentionne les bouches de métro Art Nouveau de Paris. Il est normal que Paris, quasi-centre du monde intellectuel en 1900, fasse des bouches de métro des petits monuments à la mesure de la nouveauté que représente ce nouveau mode de transport. Aujourd’hui, le métro c’est banal. En revanche le terminal 1 de Charles de Gaulle, construit par Paul Andreu en 1967, est un chef d’œuvre d’architecture absolu, un monument contemporain, de béton d’acier et de verre, qui n’est ni froid ni insipide, qui est une remarquable combinaison entre la commodité d’usage, la solidité de l’édifice, et la beauté de la mise en œuvre.
Alors quand, en bon énarque, Claret-Trentelivres nous explique qu’il faudrait établir des règles d’urbanisme « d’exigences esthétiques », au-delà du fait que c’est heureusement impossible, je ne peux lui souhaiter que bon courage pour en définir les critères ! Qui est légitime à pouvoir définir ce qui est beau ? En revanche l’État devrait avoir un rôle d’exemplarité, et cela ne peut passer que par la pédagogie, par la formation des élus. Avoir des architectes, des paysagistes à tous les niveaux administratifs, et dans tous les territoires, doté d’une formation solide, permettrait d’éviter bien des écueils contemporains.
gérant associé G.I.E EPUR'Archi et AIS
2 ansEn prenant comme critère de beauté l'intelligence de la main, plutôt que la puissance conceptuelle, la fermette serait plus belle que Chambord... voila pour l'opposition vernacaire/ monumental... mais le platonisme est passé par là et l'abstraction , le rêve géométrique d'un non lieu, d'un a-lieu transparent et immatériel, d'un avant goût des éthers, règne dans les écoles d'architecture, et cette quête anti-matière , ce dédain du matérialisme conduit à loger le pauvre homme dans des cubes normés et uniformes. En matière lourde et grisaille pourtant. Blanchie dans la lumiere en 2e plan de négation... Paradoxe propre à l'architecture moderne d'enfermer la vie dans le cube béton isolé étanché blanchi ou cube vitreux, au nom de l'égalité sous contrôle...
Architecte du patrimoine ACCA
2 ansJe ne suis pas certain qu'attaquer d'un ton péremptoire les bourgeois qui préfèrent Bordeaux à Bussy-Saint-Georges soit audible, comme est audible l'assertion comme quoi le terminal n°1 de Charles de Gaule est un "Chef d’œuvre ABSOLU", alors que seule une nano partie d'homo sapiens immunodépressifs peuvent s'extasier devant une architecture brutaliste. La notion d'esthétisme est subjective dans les ENSA . Pourtant d'expérience hors des réunions de chantier on rencontre plus souvent les membres de notre confrérie habitant, travaillant dans des centres anciens et des faubourgs que vivant dans une zone d’aménagement concerté et faisant des emplettes dans un village de marques. Sûrement une attirance inconsciente pour les charmes de l'ancien. Quant à votre conclusion, je dirais juste que les « exigences esthétiques » peuvent comme c'est le cas actuellement passer par la réglementation et les architectes des bâtiments de France, Garde-fous qui sont justement la cible de la loi ELAN. Loi ultra libérale qui semble être la vraie trame et sujet de l'article du Figaro. Mais pour le comprendre, il aurait peut-être fallu lire l'ensemble de l'article au lieu de se contenter des 10% gratuit. Dans AJAP le P c'est pour prétentieux ou pingre ?