Le bavardage en classe
"Jusqu'à ce matin compris, un enseignant, dans sa classe ou son amphi, délivrait un savoir qui, en partie, gisait déjà dans les livres. Il oralisait de l'écrit, une page-source. [...] Sa chaire faisait entendre ce porte-voix. Pour cette émission orale, il demandait le silence. Il ne l'obtient plus. Formée dès l'enfance, aux classes élémentaires et préparatoires, la vague de ce que l'on nomme le bavardage, levée en tsunami dans le secondaire, vient d'atteindre le supérieur où les amphis, débordés par lui, se remplissent, pour la première fois de l'histoire, d'un brouhaha permanent qui rend pénible toute écoute ou rend inaudible la vieille voix du livre. [...] Pourquoi ? Parce que, ce savoir annoncé, tout le monde l'a déjà. En entier. A disposition. Sous la main. Accessible par Web, Wikipedia, portable, par n'importe quel portail. Expliqué, documenté, illustré, sans plus d'erreurs que dans les meilleures encyclopédies. Nul n'a plus besoin des porte-voix d'antan, sauf si l'un, original et rare, invente."
Michel Serres, Petite Poucette, éditions Le Pommier, 2012, p. 35-36