Le bureau de l'avocat par Vincent Ricouleau, auteur du Guide des Risques Psychosociaux des Avocats
Très hétérogènes, les avocats le sont assurément, formation, spécialité, mode et lieu d'exercice, éthique, créativité. Très hétérogènes, leurs bureaux le sont aussi. Il y en a, des choses à dire, concernant les bureaux, en lien avec les risques psychosociaux, thème fourre tout, mais pas tant que cela, quand on prend conscience des enjeux pour la santé. Alors, les maîtres vont-ils perdre leurs mètres carrés ? Attention quand même à ne pas rendre la Covid-19, bouc-émissaire d'une tendance ancestrale à rationaliser et à calculer. L'espace est à repenser, mais pas à n'importe quel prix.
Il était une fois un métier qui n'en finissait pas de muer. Ce n'est certes pas le seul.
Souvent, l'avocat compte davantage les pas entre son cabinet et le tribunal que les heures passées à poireauter en son sein. La légendaire salle des pas perdus. La fatalité, ce qui est perdu est perdu. Le conditionnement aussi, consentir à subir la désorganisation chronique d'un tribunal.
L'avocat mollusque !
Mot d'ordre quand même, essayer de ne pas perdre de temps à défaut d'en gagner. Alors l'avocat mollusque perdure. Il s'accroche au tribunal. Etre le plus près possible et s'y rendre à pied. Coller le palais, devenu hub. Réflexe de tant de praticiens.
Maintenant, on vous dit que le client est dans le cloud. Une fois "augmenté", vous communiquerez peut-être avec lui par télépathie. On vous abreuve d'intelligence artificielle à profusion. On vous parle de vos transitions professionnelles, voire de votre transit mais, finalement, très peu de votre bureau. Les quelques idées qui suivent n'épuisent pas le sujet. Mon Guide des Risques Psychosociaux des Avocats, non plus. Et tant mieux.
L'adresse ne fait pas l'avocat !
Il y a un phénomène intéressant qui ne date pas de la Covid-19. L'adresse semble plus importante que le cabinet au point qu'on dissocie les deux. Paris oblige, trop cher de faire comme en province, où l'ancrage est la règle, le cabotage, l'exception. On vous domicilie à des adresses prestigieuses, moyennant un loyer qui vous donne l'accès un temps déterminé (autre synonyme de l'adjectif "court"), à un beau bureau au sein d'une "remarquable convivialité".
En fait, tout est paradoxal. On utilise une adresse prestigieuse pour que le client imagine un avocat aisé, aisé parce qu'il a réussi, certainement parce qu'il est compétent. On vous dit que le bureau n'est plus important mais il reste le symbole de la réussite. Le client est-il dupe de ces signes extérieurs de réussite, pas forcément, il se doute de la boîte aux lettres, surtout si vous le recevez ailleurs.
Pour bien des avocats notamment de la capitale, le cabinet officiel est depuis bien longtemps, tout, sauf le lieu où ils travaillent.
A l'ère covidienne, on vous suggère officiellement de ne pas être à votre bureau, voire de ne plus être, en tout cas, d'être un être différent.
Sauf que c'est plus complexe, la relation de l'avocat, solo, associé de petit cabinet, dans une firme internationale, en exercice groupé, hébergé, etc, junior ou senior, avec son desk.
La visite.
Dans le registre du "c'était beaucoup mieux avant", époque où chaque phrase ne commençait pas par "du coup", la visite aux membres du conseil de l'Ordre, lors de l'inscription au barreau. La seule façon de découvrir le bureau des élus du barreau !
Par exemple, dans les années 1995. Visite dite de courtoisie chez un ex-bâtonnier pénaliste. Grognon et irrascible mais bonne pâte. Engoncé dans son fauteuil de pacha. Le cabinet, terrier enfumé de renard, est en bordel. Mais on se retrouve parfaitement dans son propre bordel. Le radiocassette sur la moquette rapée. Il ne se lève pas pour me serrer la main. Finalement, c'est mieux. Quand on annonce qu'on est un "jeune avocat rural", on a l'impression de jouer dans "le Nom de la Rose" face au moine agélaste. "Que faites-vous dans cette profession ? Vous êtes déraisonnable d'avoir choisir ce métier. Et si cela ne marche pas, que ferez-vous ? Si l'avocat était une pièce de moteur, laquelle serait-il" ? me demande-t-il, avec un air malin. La réponse est vite répondue, selon l'expression consacrée, aucune, "puisqu'il est le moteur", me dit-il. J'ai envie de lui dire qu'il représente davantage les plaquettes de frein.
Ses lampes hallogènes me chauffent le crâne, pourtant bien chevelu à cette époque. J'enjambe les piles frétillantes de Gazette du Palais, et m'extrait, en saluant la secrétaire, portant un collier cervical et quasi paralysée par les tendinites.
Bref, j'ai compris que le bureau d'un avocat pouvait être une grotte éclairée à la lampe de poche.
Revenons, s'il vous plaît, à plus d'objectivité et reposons le problème dans des termes plus neutres.
Polyvalences et transversalités sont nécessaires pour réussir dans le métier d'avocat. Les débats s’enflamment d’ailleurs facilement sur ce thème. Pour bien travailler et préserver sa santé, on oublie trop souvent la nécessité de disposer d'un lieu adapté. Le tout est de s'entendre sur les critères d'un lieu adapté. Un constat : très peu d’articles sur la consistance du bureau de l’avocat, pourtant vecteur essentiel du bien-être physique et mental.
La Covid-19, imposant de travailler à distance, dans son domicile ou dans un autre lieu, la réflexion sur le bureau de l'avocat s'amplifie "durablement".
Et là, les audaces ne manquent pas ! C'est plutôt une accélération de la mise en oeuvre de ce qui se faisait à petite échelle. Comme le flexible desk, le bureau non attitré au sein de grands cabinets, à réserver, avec un casier privé, l'open space ou le coworking public, privé, en plus des cabinets partagés. Sans omettre la clean desk policy adaptée à chaque lieu.
Le QG !
Mais lutter contre le Covid-19 et s'y adapter n'éludent pas les enjeux de l'existence d'un vrai bureau digne de ce nom. Souvent, dans la pratique de la plupart des praticiens, le bureau est quasiment un deuxième domicile, un territoire intime, avec des objets privés, personnels. Un sanctuaire. Un quartier général. Un refuge. Une cabane dans l'arbre ? Un objet transitionnel ? En fait, tout cela à la fois.
La taille, qui détermine souvent le style, est bien variable. Il existe quelques grandes tendances. Il y a le bureau cockpit, le bureau placard, le bureau aquarium, le bureau bibliothèque, le bureau nu, le bureau cheminée, le bureau chambre, le bureau musée, le bureau salon, le bureau présidentiel, le bureau greffe, le bureau d’orthophoniste avec les dessins d’enfants au mur.
Les bureaux sont très hétérogènes aussi par leur éclairage. La luminosité naturelle est un facteur décisif sur la préservation de la santé. Les rideaux sont notamment un accessoire important. Les sols sont divers, tapis, moquettes, carrelage, avec un degré d'usure ou d'entretien varié.
L’ergonomie des postes de travail, la position des ordinateurs, le matériel, semblent en France relever du plus pur pragmatisme. La prévention des troubles musculo-squelettiques est ainsi rendue très aléatoire. Les protocoles de distanciation au sein des cabinets n'arrangent rien.
Plusieurs fauteuils, de dimension différente, devraient s'imposer pour accueillir et mettre à l’aise les clients d’âge et de stature différents. Mais la standardisation est beaucoup plus la règle. Faute de prise de conscience.
Bien sûr, la salle d’attente doit être conviviale, d’autant plus si le professionnel a l’habitude d’être en retard. Certains laissent des magazines (très) anciens à disposition des clients, d’autres mettent des livres d’art, achètent chaque semaine des revues sortant un peu de l'ordinaire. Le client n'est pas seulement dans le cloud, rappelons-le.
Un bureau facile à nettoyer et surtout à aérer par temps de pandémie, dans une rue calme, dans un immeuble bien géré, est plus attractif. Travailler dans des locaux, propres et silencieux, est toujours plus agréable.
En pleine crise de la Covid-19, nombre de grands cabinets comme Slater and Gordon à Londres, demandent aux avocats de travailler à domicile, invoquant la sécurité sanitaire. Le travail à distance des avocats a toujours été répandu, un certain nomadisme étant de mise.
Alors qu’en est-il du cabinet virtuel avec un avocat papillon, virevoltant, nomade ?
Les SBF !
Alors, là, c'est le royaume des "tif". Être Sans Bureau Fixe, notez l'acronyme à la mode pour être branché, "SBF", c'est être plus productif, disruptif, compétitif, collaboratif, inclusif, créatif, et surtout moins prohibitif, peut-être animiste, alchimiste, tellement on promet d'augmenter l'avocat. Si si...
Le collaborateur "plus collaboratif" ne doit rien coûter, mais il ne doit pas couler non plus. On ne peut lui mettre ni une balise ni une balle quand il n'est pas motivé. Alors, c'est peut-être cela le réel progrès, la confiance inhérente au nomadisme.
Dans le sillage de ce concept de nomade, le méhariste. Il sait gérer l'effort, l'eau, la nourriture, se repérer pour ne pas se perdre. Il est invisible mais présent. Il maitrise l'espace-temps. Insconsciemment, c'est le retour à la nature brute, peut-être même brutale.
Le décollage !
Certains prônent aussi des cabinets hébergés par les ordres des avocats. En fait, ces modalités d'installation correspondent à certaines phases. Pépinières et coworking permettent ainsi un décollage pour certains débutants. Mais le décollage doit être si possible programmé. Une pépinière n'est pas une pouponnière.
Le cabinet personnel est un quartier général, une base, permettant de trouver la tranquillité et de préserver une indépendance fonctionnelle, inhérente à la plénitude du métier d’avocat. Toutefois, avoir un cabinet, louer un bureau, bien adapté, bien équipé, bien éclairé, n’empêchent aucunement de diversifier les lieux de travail, de réflexion, d’échanges professionnels. Rien n’empêche de rejoindre des confrères dans des espaces collectifs, variés, ponctuellement ou fréquemment.
Disposer de locaux permet d’accueillir des stagiaires, de sous-louer un bureau, d’organiser des rendez-vous avec d’autres professionnels, de se former, de former les autres.
C’est indiscutablement une preuve de réussite professionnelle aux yeux de la clientèle.
Changer trop souvent d’adresse est un problème pour le client. Il faut une certaine stabilité. Se faire héberger, sous-louer, ont des impacts.
Evidemment, répétons-le, nulle comparaison entre Paris et les petites ou grandes villes de province n’est possible. En province, l’avocat peut disposer de locaux spacieux et d’un parking à la disposition des clients. Probablement est-il plus facile aussi de disposer de locaux, avec cuisine et une salle de bains, permettant la pratique du sport à certains moments de la journée. Certains avocats, en province, disposent même d'une maison transformée en cabinet.
Kill bill ?
La Covid-19 suscite un très net retour en grâce des cost-killers, concernant les charges fixes gigantesques, représentées par les bureaux des grands cabinets d'avocats. Néanmoins, le cabinet d'avocat ne saurait se gadgétiser ou dépendre exclusivement d'une politique de diminution de coût. Délocaliser le travail et l'installer à son domicile répondent à certains critères afin d'éviter les abus. Il va falloir être très vigilant sur cette question. Car il y a fort à parier que flexibilité, délocalisation et télétravail sont les modes d'organisation du futur.
Pénitence !
Par ailleurs, découpler la problématique de l'aménagement d'un cabinet d'avocat et du tribunal, celui-ci n'étant aucunement pensé, est une énorme bêtise. Sur le registre de l'inauguration du tribunal de Nantes, quelqu'un avait écrit : "quelle est la différence entre un architecte et un assassin ? Un architecte ne revient jamais sur le lieu de son crime" ! Les tribunaux mal conçus, aux salles mal éclairées, aux airs de stalle avec des couloirs de contention, doivent être reconstruits. Leurs usagers souffrent le martyr. La pénitence a des limites.
La robe noire et le Grand Bleu...
La délocalisation liée à la sous-traitance n'est pas une chimère. Des avocats québécois au Costa Rica, des avocats français à l'ile Maurice ou à Nha Trang, au Vietnam face à la mer, cela existe. Plus de murs. Plus de cloisons. Cela ne signifie pas une absence de cloisonnement dans une pensée managériale essoufflée dans les grandes firmes aux airs de "bureau des légendes". Mais une autre vie. Pour le moment, discrétion car inavouable. Figurez-vous que le notariat se délocalise aussi.
Façonnable et fashionable !
Le bureau n'est qu'un outil, malléable et façonnable à souhait. L'adage populaire "un petit chez soi est préférable à un grand chez les autres" est plus que jamais vrai. Le reste, c'est vous et uniquement vous. Reste à savoir si vous êtes un artisan ou un industriel. Voire l'un et l'autre avec une âme créative.
A petit feu !
Ce qui tue à petit feu, et pour de vrai, c'est la routine. Alors écoutez cette magnifique chanson de temps en temps, elle vous rappelle ce que vous redoutez.
"Michèle, c'est bien loin tout ça
Les rues, les cafés joyeux
Même les trains de banlieue
Se moquent de toi, se moquent de moi".
Le méhariste à la Théodore Monod, c'est peut-être l'avocat de demain. En tout cas, dans l'esprit. Tant mieux.
L'espace, c'est l'indépendance et surtout l'horizon.
A suivre !
Bibliographie sélective :
Marzloff Bruno - Sans bureau fixe, transitions du travail, transitions des mobilités
Le coworking : une solution pour l'avocat du futur, de Stanislas Van Wassenhove, avec la collaboration d'Olivier Haenevour et d'Adrien Van Den Branden chez Anthemis
Village de la Justice – les avantages et possibilités du coworking pour l’avocat – 4 aout 2020
Albert Christophe - Village de la justice - les tendances de l'immobilier des avocats à Paris (avant et après le confinement) - 30 juillet 2020 -
Working from home : a wellness action plan. WAPHow to support your mental health when working from homeHertfordshire junior lawyers division aout 2020
International Labour Organization – Ergonomic check points : practical and easy-to-implement solutions for improving safety, health and working conditions – 1 juillet 2010
Colliers International - les cabinets d'avocats - 2020 - Etude sectorielle - 24 pages
Hertfordshire junior lawyers division - working from home - a wellness action plan WAP - How to support your mental health when working frorm home - août 2020
Guide sur la conciliation travail-vie personnelle - 26 questions pour évaluer vos connaissances sur les programmes et outils de conciliation travail-vie personnelle questions - Barreau du Québec