Le carnaval d’Haïti : «Brother’s Posse» et Don Kato dans une symbiose culturelle et sociale parfaite!
Le carnaval d’Haïti : «Brother’s Posse» et Don Kato dans une symbiose culturelle et sociale parfaite!Par Joël Léon
Mondialisation.ca, 08 février 2018
« Depi w pa vòlè, ou pap pran kòd!».(Don Kato)
En Haïti, le carnaval est comme une religion universelle. C’est le seul moment de la vie nationale où les pauvres côtoient les riches, les noirs et mulâtres sont vus ensemble. Illettrés et intellectuels se métamorphosent en un vaste bastion de plaisir. Cependant, c’est le moment aussi où des problèmes non-superficiels sont abordés. Cette année est tout à fait spéciale parce qu’elle reflète les grondements sociaux que confronte le pays, en particulier le phénomène de la corruption.
D’après certains historiens, le carnaval a été introduit en Haïti à partir du XVIe siècle par les colons européens, en particulier les Espagnols. Depuis lors, cette tradition est devenue un phénomène social auquel aucun gouvernement ne peut s’échapper. Même quand on s’en abuse parfois pour distraire les masses à l’effet d’enterrer leurs revendications fondamentales, l’histoire rapporte qu’en pleine contestation populaire de 1946, des milliers de gens défilèrent devant le palais national lançant des slogans hostiles au pouvoir du président Elie Lescot, ce dernier au palais, jouait au piano pour accompagner les manifestants dans la rue.
L’année 2018 est tout à fait spéciale. C’est une année de tous les risques, car il y a matière susceptible pour chambarder irréversiblement le système rétrograde.
Antonio Cheramy, dit Don Kato, comme on s’y attendait, a présenté un merengue carnavalesque dans lequel il a plongé son doigt dans la plaie. Les gars de « Brother’s Posse» ont réalisé une symbiose exceptionnelle du point de vue rythmique, historique et social. Le titre tombe à pic: « Danse Petro».
Le « Petro», une danse rituelle retrouvée dans la religion Vaudou, est utilisée annuellement pour remercier les divinités. Contrairement aux autres rythmes et danses africaines issues de la nation Congo, « nation Petro est elle-même inconnue en Afrique et par conséquent est née sur le sol haïtien dans le cadre des luttes de la guerre de l’indépendance .» Donc, l’utilisation du terme «Petro» correspond à l’imaginaire de la pitoyable guerre donnant naissance à la fondation de l’état d’Haïti. Dans ce cas précis aujourd’hui, « Petro» est synonyme de « PetroCaribe» ; c’est pourquoi dans le lyrique de « Danse Petro», Don Kato fait référence incessamment à la corde pour ligoter les voleurs des 4 milliards de dollars découlant de ce programme initié par le feu président vénézuélien Hugo Chavez.(1)
Don Kato et ses ouailles sont bel et bien conscients du mariage culturel et social de « Danse Petro» pour honorer non seulement le folklore haïtien, mais aussi charrier les revendications de la société à un niveau plus élevé que le parlement haïtien. Le groupe « Brother’s Posse» savait pertinemment que l’implication du message véhiculé via la chanson allait faire un hit musical en plus d’intimider les dilapidateurs des 4 milliards de dollars du fonds PetroCaribe qui, paradoxalement, sont toujours aux affaires en Haïti.
Le Don avait raison. Le parlement haïtien, dans sa pire tradition de croupion, a transféré le rapport de la commission sénatoriale à la «Cour Supérieur des Comptes.» Fait troublant: deux des membres de la dite cour sont cités dans le rapport comme complices et associés des voleurs. Donc, le rêve de voir juger les pilleurs du fonds PetroCaribe n’est pas pour demain, sauf si le peuple décide autrement, c’est à dire de passer à l’action avec cordes en mains pour suppléer à la démission institutionnelle.
Le pouvoir, via le comité du carnaval, voulait bannir « Brother’s Posse» de la participation aux 3 jours gras parce que ce groupe musical est indexé par l’exécutif. À ce propos, j’avais contacté un ex-associé qui, entre-temps, a changé de camp_ mais avec qui j’entretiens encore des relations professionnelles et amicales_ pour comprendre l’obsession du pouvoir d’empêcher la présence de Don Kato au carnaval. Rappelons qu’il a été écarté pendant les 5 dernières années de l’administration de Joseph Martelly. Comme grand idéologue/dialecticien, il voulait me faire croire que c’était pour la sécurité du carnaval, parce qu’il faudrait «éliminer les 2 extrêmes.» Il entendait parler de l’ancien président Joseph Martelly et de l’actuel sénateur Don Kato. J’avais riposté avec véhémence. Martelly a une longue tradition de répéter des bêtises grossières dans le carnaval, cela je le comprends, pourvu qu’on n’ait pas violé ses droits, mais fourrer Kato là-dedans est inacceptable. A ce moment-là, il s’était fait perdre dans des justifications, les unes plus ridicules que les autres au point d’en avoir marre et tirer la révérence.
Heureusement, aux dernières nouvelles, « Brother’s Posse» défilera aux 3 jours gras comme tous les autres groupes musicaux. Cependant, ce n’était pas une partie facile, car l’un des leaders du groupe « Rêve», Tipay _ qui vient de rejoindre l’équipe au pouvoir_, avait dégainé son arme pour effrayer ceux qui étaient favorables à l’intégration de Kato. Le maire de Port-au-Prince, Youry Chevry, et alliés n’entendaient pas boycotter l’artiste-sénateur_ ce qui explique que les masses auront à danser et à exprimer leur ras-le-bol face aux manœuvres déloyales du pouvoir d’enterrer le rapport PetroCaribe pour de bon.
L’appel fort du carnaval de « Brother’s Posse» est de s’approprier de cordes pour ligoter les voleurs du fonds PetroCaribe. Ce slogan fait beaucoup peur aux membres de l’exécutif qui, hantés par le spectre de voir le peuple les déboulonner de leur position, envisagent toutes sortes de mesures dissuasives et défensives, voir gâcher le carnaval, si c’est possible.
Entre temps, « Danse Petro» fait son chemin. On l’entonne partout à travers les rues et reçoit une large diffusion au niveau des stations de radio. Les cordes se vendent comme de petits pains. Le peuple est en éveil et attend. Mais « Depi w pa vòlè, ou pap pran kòd!».
Joël Léon
Source de la photo : Gazette Haïti
(1) A ce propos, j’ai eu un échange téléphonique avec le sénateur lui-même en vue d’écrire cet article, ce pour mieux cerner sa motivation et confirmer aussi mes pré-sentiments.