Le climat littéraire se refroidit!

Le climat littéraire se refroidit!

^Jusqu’en 1900, l’homme moyennement cultivé exerçait un semblant de judicature sur la littérature. Soit qu’il penchât vers la rive droite, soit vers la rive gauche, pour lui lecteur, la critique était un devoir salutaire qui satisfaisait son intelligence. Se préservant des excès de joie que procure l’admiration, laquelle masque presque toujours un repli jaloux sur son propre univers intellectuel, honnête homme, il compensait l’écart entre les deux attitudes. S’il lui arrivait de prendre parti et de suivre les clercs dans leurs enthousiasmes et leurs diatribes, Il se partageait entre le vaudeville des gaîtés parisiennes et les pompeux battements d’ailes de l’Aiglon. Parfois déçu par les ratages du symbolisme, du naturalisme et du réalisme, il affectionnait Hugo, Anatole France ou Paul Bourget et ne voyait pas dans le décadentisme fin de siècle le seul remède au positivisme sorbonnique. 

Mais voici qu’à l’aube du nouveau siècle, se manifestait une génération d’écrivains qui méprisant les duels, les cafés, les potins et la corruption des romans populaires, décida de prendre en main le destin de la littérature et des choix de cet impur lecteur. Le projet de la Nouvelle revue française allait prendre forme avec la volonté de promouvoir un nouveau classicisme en respectant la singularité des auteurs et accueillant dans ses sommaires les meilleures plumes de son temps. La NRF née en 1908, aura régenté les lettres françaises pendant l’entre-deux guerres. Sous la direction de Jacques Rivière et la présence remuante d’André Gide, une littérature sans jovialité s’est libérée des contraintes politiques et sociales mais encore plus de la nature et de l’action. La finalité étant l’expression de la quintessence de la langue. Cette primauté de l’art pour l’art et le désintéressement affiché seront économiquement rentables et feront les beaux jours de la maison Gallimard. La NRF sur le piédestal des lettres verra avec mépris s’immiscer dans le paysage littéraire les surréalistes ces trublions qui osaient affirmer que ni l’art ni la littérature n’existent, que les mots sont magiques, qu’ils se suffisent à eux même. Elle regardera les grands mouvements qui agitent le monde sur ses hauteurs en jouant de la lyre devant l’incendie du monde avant de sombrer dans la collaboration et revenir en vieille dame « tondue à la libération » selon l’expression de François Mauriac. Paulhan reprenant le flambeau après Drieu La Rochelle, le collaborateur, a compris que l’heure était aux écrivains de l’action et de l’engagement, aux phrases moins longues, à l’expression plus simple avec en prime le souci de la condition humaine. Mais la vieille dame avait perdu de son influence, de nouvelles revues se partageaient désormais, la primauté sur les lettres. Le climat changeait. L’hermétisme du surréalisme avait lui aussi vécu mais si l’on revenait à la simplicité du récit, de nouvelles expériences se préparaient plus illisibles.

Cela démontre que le lecteur est toujours en retard d’une révolution littéraire et la littérature toujours en avance ou à la traîne sur les préoccupations de celui-ci ! La sève d’un peuple c’est sa langue et la langue est vivante. Lorsque l’écart entre la littérature et la société se creuse, la rupture entraine la désaffection. La démocratisation de l’enseignement secondaire avait conduit à une convergence entre des œuvres complexes et un large public mais cet engouement a progressivement tiédi. Rares sont les écrivains qui sont entrés dans la mémoire collective depuis les années 1970. L’écrivain ayant perdu sa fonction symbolique et sociale, la publicité ayant favorisé la littérature de kiosque, ce dernier est devenu un petit maître travaillant pour un lecteur désuet. Sans reprendre le parti pris d’un Richard Millet dans L’enfer du Roman, sans parler de déclin de la littérature française, il faut convenir que son aura s’est émoussée et ce ne sont pas les prix Nobel attribués à Simon et à Le Clézio qui auront infléchi le constat. Dans un pays qui se targue d’être un modèle c’est Guillaume Musso qui parvient en tête des ventes de romans alors que le prix Goncourt 2018 n’est que onzième et le Renaudot vingt unième. La jeunesse regarde ailleurs et les nouvelles élites sont plus préoccupées de rentabilité et d’efficacité dans le cadre d’un discours globalisé, celui de la communication. Pour preuve on a pu devenir ministre de la culture dans ce pays sans jamais avoir lu un écrivain incontournable, il suffit pour y parvenir de savoir distribuer des décorations et d’honorer ceux dont on aura découvert l’existence dans les médias au moment de leur décès. Le déclin s’il existe n’est pas uniquement imputable à la théorie critique des années 1980 qui a vidé le roman de son essence, celle-ci n’a jamais empêché la plupart des auteurs de produire sans se soucier des concepts et des exégèses savantes. C’est autant la désaffection des élites que la difficulté qu’éprouvent les auteurs contemporains à échapper au solipsisme, à susciter un univers littéraire original autant qu’à occuper l’espace politique et intellectuel. Les rares émissions littéraires ne serviraient-elles qu’à promouvoir un produit ? Pour vendre, il faut que la vie privée d’un auteur, ses anecdotes ou ses provocations priment sur son œuvre. Les ondes culturelles qui avaient le tort de privilégier davantage la glose universitaire plus qu’elles n’incitaient à la lecture ont elle aussi suivi le mouvement. La logique médiatique et économique prévaut ; elle invite l’écrivain à devenir un écrivant, toujours apte à partager les angoisses de ses lecteurs qu’à les transcender, en conséquence les romans creusent sans cesse les mêmes sillons et de bons auteurs s’embourbent dans une vacuité qui fait capituler leur intelligence dans un mélange d’autocélébration, de lieux communs et d’interrogations métaphysiques. 

La rentrée bien que plus fraîche sera littéraire n’en doutons point, à nous de prendre la bonne couverture ! Car si le concept littérature n’est plus ce qu’il a été, il y a toujours de bons auteurs. Gardons-nous de céder à la paresse, c’est au lecteur de faire l’effort de les trouver en flânant dans les librairies. Ils ne sont pas difficiles à reconnaître, ils ont en commun d’avoir lu des livres, de savoir utiliser les ressorts du langage sans académisme ni vulgarité, et surtout sans s’ignorer soi-même, ils ont saisi que dans l’écriture, l’étonnement procède de l’Autre. 

Yanis Taieb

Auteur/Interprète, Musique actuelle, spectacle vivant, Poète, Romancier, le Poète 4.0, SACEM et EX JD MACON

5 ans

Ce phénomène est vrai pour l'ensemble des arts qui ont introduit le marketing dans leur processus de sélection, de décision. Je rappelle: le marketing consiste entre autres, à développer et commercialiser des produits en fonction d'une analyse des besoins d'un segment de marché de consommateurs. Autrement dit, en faisant appel au marketing, pour définir le type d'oeuvres d'arts à sélectionner pour la diffusion ou à créer, on ne laisse pas la place à la capacité d'innovation, de création de l'artiste qui, par définition, échappe aux "besoins formulés" par les consommateurs. Par conséquent, on ne peut que se retrouver qu'avec un art formaté qui, n'apportant rien de nouveau dans la société, à beaucoup moins d'intérêt, également, pour le public. 

c'est certain !!!

Bernard Dugué

Ecrivain-Chercheur transversal -Bordeaux

5 ans

Il y a les écrivains et les écrivants Il y a les savants et les sachants Les savants voient ce que les autres ignorent, les sachants savent ce qu'écrivent les autres et de ce fait, en sont tributaires et les copient A la fin des années 60, les groupes psyché se copiaient puis Pink Floyd est arrivé pour jouer ce que personne n'avait entendu jusqu'alors

Frédéric DOUIN

Librairie Douin : livres-anciens.fr et Editions Douin : editions-douin.com. Des livres atypiques, curieux et surprenants. A trouvé son associé lors de l'émission Qui veut être mon associé (5 janvier 2022) #QVEMA saison 2

5 ans

il y a bien longtemps que la majorite des libraires n'ont en rayons que ce que les distributeurs leurs imposent.

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