Le coach apprend autant que son client
Texte écrit par André de Chateauvieux en octobre 2003.
Avec chaque client, j'apprends toujours autant.
C'est cette surprise qui m'habite et m'anime après chaque séance. Et je voudrais partager ici deux expériences apprenantes de ces derniers mois :
Quand le coach parle avec son cœur, ou comment j'ai développé avec Véronique cette attitude "concave" du coach qui sait juste recevoir, ressentir et travailler à partir de son émotion, sans intention stratégique. Et découvrir que "ne rien faire" peut être aussi apprenant pour le client.
L'art de cultiver les métaphores, non pas celles préparées par le coach, mais ces images créatives qui surgissent de l'univers intérieur du client et qui, ici pour Charlotte au cœur de l'adolescence, sont devenues des ressources vives propices à des changements profonds.
De nouvelles postures que je consomme sans modération, car jamais définitivement acquises ; des approches nouvelles que je m'efforce de ne pas figer en certitudes pour que chaque coaching s'ouvre sur de nouveaux apprentissages mutuels.
1ère expérience : ''Soyez moins affective et plus professionnelle''
J'interviens dans un réseau de vente en profonde réorganisation : un niveau hiérarchique disparaît, les régions sont redécoupées…
Daniel, Directeur du réseau, propose aux managers à potentiel un coaching pour passer ce cap sensible.
Véronique est parmi mes clientes. Le coaching démarre par une réunion tripartite où Daniel affiche l'objectif : "identifier des pistes avec votre coach pour rebondir dans la nouvelle organisation et être plus professionnelle et moins affective, dans votre management."
J'essaie de faire expliciter cet objectif flou, mais nous tournons en rond autour de toujours plus de "soyez moins affective ! " ; puis Daniel s'éclipse pour nous laisser démarrer la séance.
L'émotion du deuil
Véronique me dit qu'elle ne comprend pas la demande de Daniel puis plonge dans son histoire personnelle : un an plus tôt, elle a perdu son mari brutalement après plus de 20 ans d'une vie à deux toujours passionnée ; elle vit aujourd'hui avec ses enfants dans une maison qui porte les souvenirs de cette vie ensemble.
J'écoute son histoire qui me touche profondément et je plonge aussi : je n'ai pas encore vécu la perte d'un être proche, j'éprouve beaucoup de compassion. Et en même temps, je me dis que Véronique a peut-être besoin d'être accompagnée dans un travail de deuil, pour lequel je n'ai ni le mandat, ni les compétences.
Alors j'essaie de nous recentrer sur des situations professionnelles, mais sans succès.
Le coach parle avec son coeur
Dans un conflit intérieur, entre mon besoin de revenir dans le cadre professionnel et en même temps l'écoute profonde qui semble aider Véronique, j'exprime mon feed back :
- "Véronique, je suis profondément touché par votre histoire et je vous remercie de partager votre souffrance. J'ai, comme vous, 2 enfants et je partage depuis 20 ans ma vie avec un être que je n'imagine jamais perdre. Si cela m'arrivait, je ne crois pas pouvoir surmonter cette épreuve, seul. Je vous trouve courageuse, surtout dans le contexte de refonte du réseau et plein d'incertitudes."
Un long silence chargé d'émotion s'installe.
Puis Véronique s'exprime :
- "j'ai aussi des amis hors du cadre professionnel avec qui je parle beaucoup, qui m'aident à avancer, faire le deuil."
Alors je poursuis :
- "Depuis le début de notre séance, j'observe que je suis envahi par l'émotion et qu'en même temps nous n'arrivons pas à travailler sur un objectif professionnel. C'est peut-être l'émotion qui m'empêche d'être professionnel ? Daniel voulait peut-être nous indiquer cette piste : comment mettre de côté une telle émotion dans la relation professionnelle ?"
Quand l'émotion devient professionnelle
La relation semble alors changer :
- "Je suis une professionnelle et je ne veux pas me changer ! Votre écoute et votre empathie sont aussi des qualités qui m'aident !"
- "Je crois que vous êtes la seule femme à ce poste à responsabilités. Une manière de démontrer votre professionnalisme. Et vous ajoutez à ce coté professionnel, ce que certains appellent l'intelligence émotionnelle. C'est une compétence que les managers cherchent à développer. Ne changez rien."
A nouveau un long silence, puis je conclus la séance par une rescription :
- "Je vous propose d'observer, dans les prochaines semaines, les situations où votre émotion vous est utile, professionnellement ; et comment vous réussissez à combiner le professionnel et l'affectif."
Manager au féminin
Trois semaines plus tard, Véronique démarre la séance sans préambule :
- "J'ai trouvé comment mon côté féminin m'aide à être professionnelle. Par exemple, Nadia, une jeune apprentie très timide, à qui j'essaie de redonner confiance en soi."
- "Qu'est ce qui vous anime alors ?"
- "C'est, je crois, l'envie d'aider l'autre à se réaliser professionnellement, bien sûr, mais sans mettre de côté son identité. Je pense que Daniel n'accepte pas sa partie affective, féminine et qu'il voudrait l'effacer chez moi !"
Puis spontanément, Véronique me demande de travailler sur un retour d'évaluation de la DRH : elle choisit une piste qu'elle souhaite développer : "accepter mes détracteurs et être capable de les confronter".
L'émotion a disparu et, en fin de séance Véronique me confie :
- "J'imagine un jour pouvoir reconstruire quelque chose avec quelqu'un".
Nous décidons d'arrêter le coaching à ces 2 séances et de préparer la restitution des résultats à Daniel, restitution que Véronique veut effectuer seule.
Quelques semaines plus tard, Daniel me confie:
- "le coaching avec Véronique nous a fait avancer tous les deux, l'un vers l'autre..."
Trois mois plus tard, j'ai revu Véronique : elle venait d'obtenir la responsabilité de l'équipe la plus importante du réseau.
Avec le recul, cette expérience m'a appris à laisser de côté mes techniques, pour être là, simplement et dans l'instant ; recevoir l'émotion, me mettre en résonance avec cette émotion et l'exprimer. Et, en offrant cette qualité de relation, même si elle dépasse un moment le cadre professionnel, découvrir que le client peut utiliser cette relation pour avancer.
2ème expérience : La Rouge et la Bleue
C'est une situation très personnelle puisqu'elle implique Charlotte, ma fille, au coeur de l'adolescence. Pour respecter la confidentialité, j'ai tenté de changer les noms, le contexte, mais en vain. Alors Charlotte m'a proposé de publier cette expérience inédite de "Papa-coach".
Charlotte, 14 ans, est à mi-parcours de sa 3ème. Ses professeurs de français et d'anglais, qui jugent ses résultats insuffisants, me convoquent.
Charlotte redoute un entretien de blâme :
- "Si j'y vais, ils vont se déchaîner sur moi !"
Alors je décide de mener ces entretiens seul et en ouverture : focaliser sur son mode d'apprentissage plutôt que sur les résultats du moment.
Chaque professeur formule le même constat :
- "Charlotte est plutôt douée sur le fond, mais il lui est difficile de prendre la parole face à ses camarades ; sa timidité l'handicape."
Par déformation professionnelle (!), et surtout pour dépasser une difficulté dont Charlotte est consciente, je propose de travailler sur la relation Charlotte – professeurs - parents :
- "Oui, Charlotte cherche à changer et en même temps le regard des autres est important pour elle ; que pourrions-nous faire ensemble pour l'aider ?"
Chaque professeur propose alors plusieurs solutions :
- "prendre le temps de l'encourager, la mettre sur la scène, la valoriser" et de passer à l'acte dès la semaine suivante...
Au retour, je propose à Charlotte de lui donner le point de vue bienveillant de ses profs et, si elle le souhaite, de travailler pendant une heure en mode coaching :
- "D'accord, je veux bien essayer, car j'ai de plus en plus de mal à l'oral, avec ces deux profs, mais juste une séance, demain soir."
Poser le cadre et forcer le trait
La difficulté de Charlotte me touche car je perçois un enjeu de confiance en soi, et j'ai envie de l'aider, peut-être au-delà de ce qu'elle pourrait changer.
Alors, pour quitter le plus possible mon rôle de père, j'adopte tous mes rituels de coach, en forçant même un peu le trait pour Charlotte : choisir un lieu neutre, démarrer à l'heure, m'occuper de mon confort et de celui de ma "cliente", prendre le temps de poser tous les éléments du cadre...
Puis, je garde cette distance professionnelle en lisant le feed-back de ses profs, sans aucun commentaire personnel.
Charlotte décortique alors sa difficulté :
- "oui, quand je dois monter sur l'estrade ou prendre la parole, mon coeur bat plus fort, je rougis, ma voix tremble, cela me bloque, j'oublie ce que j'ai appris."
- "C'est le trac ; c'est un phénomène naturel et je crois qu'il est habituel chez les actrices professionnelles."
- "Il est permanent chez moi !"
- "Et te souviens-tu des situations où tu te sens plus à l'aise face aux autres ?"
- "Oui bien sûr : quand je suis avec mes amis, dans la cour de récré. Là, je suis populaire et naturelle."
- "Alors c'est comme s'il y avait une Charlotte naturelle et, dans certaines situations, une Charlotte qui rougit ?"
- "Oui, il y a vraiment deux Charlotte"
- "Et si tu avais une image ou peut-être un nom pour chacune ?"
- "C'est plutôt une couleur : il y a Charlotte rouge et Charlotte bleue."
Laisser le client déformer le protocole !
Me revient alors la technique du"dialogue intérieur" mais j'en donne juste le principe pour laisser Charlotte déformer la démarche et donner vie à sa métaphore :
- "Je te propose un jeu : choisir une autre place dans la pièce, te mettre un moment dans la peau de Charlotte bleue et parler à la rouge de ce que tu veux et ce que tu ressens... Et puis l'inverse, si tu veux. Tu peux aussi commencer dans l'autre sens et garder les paroles pour toi."
Charlotte fait l'expérience en passant de l'une à l'autre avec beaucoup d'humour.
Quand elle arrête le jeu, je lui donne mon feed back :
- "Lorsque tu passes de la rouge à la bleue, je ressens beaucoup de plaisir et de facilité ; je me demande s'il y a aussi une 3ème Charlotte qui sait changer de couleur ? Ou peut-être comme dans un arc en ciel, il y a peut-être autant de Charlotte que de couleurs ?"
Après un silence, Charlotte conclut brusquement :
- "Voilà, on a fini."
- "Et comment te sens-tu ?"
- "Bien, j'ai envie d'être toujours la Charlotte bleue."
- "Et tu sais comment faire ?"
- "Oui, c'est simplement moi, Charlotte."
Dans les semaines qui ont suivi, Charlotte s'est transformée : meilleures notes à l'oral,"look Avril Lavigne"(une jeune star du rock), sorties avec amies... et aussi amis !
Je lui ai demandé récemment
- "qu'est-ce qui a changé ?":
- "Je suis d'abord devenue Charlotte bleue, complètement. Et aujourd'hui, la rouge et la bleue se sont mélangées : ça fait du violet".
Lorsque j'ai décidé de quitter le métier de conseil pour devenir coach, après quelques mois d'expérience, Charlotte m'a aidé à construire mon identité professionnelle et mon positionnement :
- "Un coach, comme toi, c'est quelqu'un qui aide les personnes à découvrir leurs qualités, qui sont quelquefois cachées, pour réussir ce qu'elles désirent".
Et aujourd'hui, avec cette expérience de coaching d'une jeune adolescente, c'est comme si j'aidais Charlotte à se construire, à révéler son identité. Comme un apprentissage mutuel.
Charlotte m'a appris aussi à innover et jouer : transformer "l'entretien de parent d'élève" en réunion créative ! Passer de la difficulté et de l'étiquette "Charlotte est timide" à une relation centrée sur les solutions où chaque professeur joue un rôle actif ; et aussi laisser le client inventer sa méthode.
André de Chateauvieux