Le courage de la révolte
par M Evraud (article paru dans la revue RNouvelle de mars 2019)
L'automne 2018 a vu fleurir les gilets jaunes dans 22 pays européens dont en France et en Belgique avec les manifestations hebdomadaires dans de nombreuses villes et ronds-points, des manifestations aux couleurs de l'environnement durant l'hiver avec le mouvement des jeunes pour le climat et à celles des mouvements sociaux avec diverses actions, marches et grèves.
Ces protestations, que leurs genèses respectives soient similaires ou distinctes, ont toutes une vertu en commun, le courage. Le courage de dire, le courage d'agir, le courage de descendre dans la rue, le courage d'interpeller.
Du courage ...
Dans la Grèce antique, le citoyen participait aux décisions de l'Etat selon le fonctionnement de la démocratie directe. Chacun pouvait intervenir dans les débats de la Cité et contribuait à l'élaboration des lois.
La démocratie athénienne reposait sur trois concepts indissociables, l'isonomia, l'isegoria et la parrêsia.
L'isonomia accordait l'égalité citoyenne et politique à chaque citoyen en y incluant le partage du pouvoir. L'isegoria octroyait à chaque citoyen le droit à la parole, à la libre expression au sein de l'assemblée des citoyens, c'est l'origine de la liberté d'expression. La parrêsia autorisait le « dire-vrai » et s'apparentait pour Athènes à une vertu : le courage.
La gestion et le fonctionnement de la Cité était l'affaire de tous. Avec l'instauration de la démocratie représentative, le pouvoir est transféré aux élus qui gèrent l'Etat, élaborent les lois - pour tous - et la liberté d'expression reste une base de la Constitution.
Peu importent les qualités ou les défauts, les avantages ou les désavantages de la démocratie représentative, la décision et la parole sont déplacées dans l'hémicycle où seuls siègent les élus auxquels le peuple a conféré un blanc-seing.
Des trois préceptes constitutifs de la démocratie athénienne, de l'isonomia le citoyen conserve l'égalité de tous face au pouvoir mais ne participe plus à l'élaboration des lois et à la gestion de l'Etat; de l'isegoria il découle la liberté d'expression qui reste un droit fondamental; mais de la parrêsia que reste-t'il ?
La parrêsia ou le courage vertueux
Si les Grecs élevaient le courage au rang de vertu nécessaire et indispensable à la santé de la démocratie, nos sociétés délaissent cette force morale, ne mettant en exergue que les actes héroïques ou téméraires. Le courage ou parrêsia était à Athènes nécessaire à la bonne santé de la démocratie ; tout en se distinguant de la liberté d'expression, il permettait et encourageait le « dire-vrai », la parole libre, raisonnée et critique.
L'admiration du courage et son exhortation vont se graver en filigrane dans nos livres d'histoire. De Cicéron dans son Traité des Devoirs ou Platon dans sa République à Martin Luther King en passant par Hamlet de Shakespere qui en regrette le manque ou Jean Jaurès qui l'exhorte dans son Discours à la jeunesse en 1903, le courage s'affiche comme un moteur de la société, un acteur de changement.
Sans ternir la force et la qualité des actes héroïques, force est de reconnaître que le courage est une vertu essentielle et ordinaire de notre vie, nous le pratiquons dans de nombreux moments qu'ils soient privés ou publics, bien souvent sans nous en rendre compte. Face aux événements de la vie, les difficultés, les conflits, la maladie ... nous faisons preuve de courage, nous ne baissons pas les bras et cela même si nous avons peur.
Car la peur est l'élément moteur et constitutif du courage, elle le précède toujours pour être ensuite dépassée, surmontée. C'est d'ailleurs en ceci que le courage se distingue de la témérité ou de l'héroïsme. Le courage, nous le savons, peut prendre différentes formes. Au quotidien et dans la sphère privée, dans des événements qui pourront souvent être perçus comme banals mais auront nécessité ce sursaut de volonté particulière, le courage. Faire face à une rupture, une décision médicale, un choix de changement, un licenciement, un nouvel emploi ...
Dans l'espace public, le courage c'est le JE qui refuse l'anonymisation de la société et le caractère interchangeable de l'individu. Et quand l'acte courageux est dépassé, le courageux s'en retrouve grandi dans son estime de soi car le courage alimente l'humain en confiance, évite ce que la philosophe Cynthia Fleury appelle « l'érosion de soi » et renforce son « irremplaçabilité ».
Alors, parce que le courageux est raisonné et se veut visible, il sera jeune dans la rue pour le climat, jaune au rond-point ou délégué syndical dans son entreprise.
Courage individuel – courage politique
Aujourd'hui, dans nos démocraties tramées de capitalisme, l'individu est trop souvent considéré comme un électeur - consommateur jetable et remplaçable.
Les crises successives, les restrictions et destructions sociales qui en ont découlé, la précarité croissante, le drame inhumain des réfugiés, l'inquiétude face à l'avenir, au climat et à l'environnement, les inégalités de plus en plus flagrantes entre les riches et les pauvres, l'inertie et l'aveuglement des gouvernants, les faveurs accordées aux plus riches... sont des causes du repli sur soi, de l'isolement, de l'accentuation des comportements individualistes et d'un égoïsme qui se généralise au détriment des solidarités.
Mais le marasme politique et les avanies économiques font également émerger des prises de conscience, des expressions et comportements courageux.
Que ce soient les hébergeurs de migrants, les blocages hebdomadaires des gilets jaunes ou les manifestations de jeunes pour le climat, que ce soient les grèves qui bloquent le pays pour dénoncer les conditions de vie précarisées, les conditions de travail indignes ou les inégalités, ce sont autant d'expressions vertueuses du courage, autant de moyens de dénoncer, de procédés de « dire-vrai ».
Alors de semaine en semaine, « courageusement », les gilets jaunes, les jeunes battent le pavé de nos villes, faisant naître un engouement pour l'action engagée en même temps que l'espoir d'un changement. Les courageux ne pouvant se joindre à la foule des villes endosseront tous les signes de reconnaissance et manifesteront au rond-point près de chez eux, devant leur supermarché, devant leur mairie ...
Le résultat, aussi important que serait la soumission des gouvernants ainsi interpellés, C'est le sentiment d'être ensemble, de faire quelque chose ensemble et d'avoir ce pouvoir d'inspirer le respect mais aussi de provoquer un mouvement, d'ébranler le système et de l'obliger à bouger. Et d'avoir eu le courage de « dire non ! ».
Au politique ensuite de se saisir de la dynamique spontanée, d'écouter et d'entendre et d'agir en réponse à ces manifestations, de les considérer comme un cadeau salvateur plutôt que comme une agression.
Courage politique dévoyé
Le vocabulaire politique exploite et dévoie la notion de courage, utilise son caractère vertueux tout en y adjoignant l'élément de responsabilité afin de mettre en place des mesures douloureuses pour la population.
Ce sont de faux appels au courage de la population – soyez courageux ça va faire mal ! - et en aucun cas du courage politique.
« Le courage de dire les choses », « le courage de mettre en place des mesures nécessaires qui seront douloureuses », « le courage de se confronter au peuple... »
Conclusion
Sans courage, sans la somme des courages, la démocratie est en danger. L'humanité, la solidarité, le partage, la diversité ... autant de principes qui dépendent du courage d'individus qui de tous temps se sont battus, parfois au péril de leur vie, pour le maintien d'une société démocratique.
Instaurer des espaces parrèsiatisques où la parole est libre, des espaces d'échanges et de partages, où l'on « parle vrai », où les idées se confrontent. Refonder la démocratie en reconstruisant ses fondations, sans laisser personne au bord du chemin.
Secrétaire administrative
5 ansJ aime beaucoup votre article. Aurons nous assez de courage ?