Le crowdfunding a déjà perdu son âme
Le crowdfunding évolue à contre-courant de la tendance à la désintermédiation. On observe que ce canal novateur d’accès aux capitaux à risque se détourne progressivement de sa finalité solidaire et on déplore que sa rémunération d’intermédiaire serve plus à enrichir les actionnaires des plateformes et les prestataires spécialisés (conseils et services divers comme les agences de communication, les institutions de micro finance, sociétés spécialisées dans le recouvrement (dans le cas du crowdlending), etc.) qu’à financer les coûts d’exploitation.
Parmi les symptômes de l’institutionnalisation rampante du financement participatif, qui le dévie de son principe originel de solidarité, relevons les liens de plus en plus prégnants entre les plateformes et des acteurs structurels majeurs du financement d’entreprises.
Par exemple, plusieurs sites imposent à leurs membres de miser aux côtés d’investisseurs chevronnés. C’est le cas chez 1001Pact (equity based crowdfunding) où les crowdfunders parient au côté de professionnels de l’investissement social et/ou environnemental. C’est présenté comme un gage de sérieux devant permettre d’atténuer le risque inhérent à de tels placements. Selon ces plateformes cette proximité avec les habitués du secteur permet à la plateforme en question de faire le tri dans les dossiers. Ils sont sélectionnés sur leur impact potentiel, bien sûr, mais aussi sur leurs perspectives de développement.
Prêt d’union, un site proposant aux internautes de prêter à d’autres particuliers pour financer l’achat de biens de consommation (Les particuliers empruntent en moyenne 9 000 euros pour financer l’achat d’une voiture, réaliser des travaux, etc.), a surfé sur ce concept du crédit à la consommation avec succès depuis 2011. Le site a accordé 130 millions d’euros de prêts en 2015 (80 millions en 2014, 40 millions en 2013). Ces chiffres en font l’un des poids lourds du jeune secteur de la finance participative en France, puisqu’il représente 44% de la collecte réalisée en 2015 par la myriade d’acteurs.
Pourtant, cette entreprise, qui vient de changer de nom pour se baptiser Younited Credit, n’est ni conseiller en investissement participatif ni intermédiaire en financement participatif. Les deux statuts propres aux plates-formes de crowdfunding françaises. Et pour cause : si le monopole bancaire français est de plus en plus écorné, le prêt aux particuliers en fait encore partie. Pour opérer, Younited Credit a dû montrer patte blanche. Il lui a fallu deux ans avant d’obtenir son agrément auprès de l’Autorité de contrôle prudentiel et de résolution (ACPR) et ainsi devenir un « établissement de crédit » agréé. Son capital est détenu par ses fondateurs, ayant tous pignon sur rue : le Crédit Mutuel Arkea, Weber Investissements, AG2R La Mondiale et Kima Ventures (le fonds d’investissement créé par Xavier Niel).
Le site ne propose d’ailleurs pas aux investisseurs de sélectionner les particuliers à qui prêter, contrairement aux acteurs du crowdfunding qui permettent justement d’orienter votre argent vers des projets bien définis. L’offre d’investissement est ici « packagée » et réservée à des investisseurs dits « qualifiés », c’est-à-dire ayant de bonnes connaissances financières. Sur les 3 000 investisseurs du site, 90% sont des particuliers, mais plus de 60% des montants investis sont le fait d’institutionnels ou de personnes morales.
La plateforme offre une gamme de cinq fonds communs de titrisation : cela signifie en fait que les créances détenues (en l’occurrence des crédits à la consommation accordés à des particuliers) ont été agrégées et cédées au fonds, qui va toucher les remboursements, puis payer les investisseurs. En mutualisant les prêts, la plateforme réduit les risques puisque votre investissement est réparti entre 1 000 à 5 000 particuliers emprunteurs. A ceux-ci, la plateforme propose un prêt personnel amortissable allant de 3 000 à 25 000 euros avec un taux compris entre 5,99% (sur 3 ans) et 7,40% (sur 5 ans). Tandis qu’elle propose aux prêteurs de rémunérer leur épargne à un taux allant de 5% sur 3 ans à 6,50% sur 5 ans.
Créés en 2013 et en 2014, les fonds communs de titrisation affichent des taux de rendement théoriques compris entre 3,1% et 6%, en fonction du niveau de risque, qui dépend de la durée des crédits et de la solvabilité financière des emprunteurs. En réalité, leurs performances sont inférieures, la société ayant été contrainte d’accorder aux emprunteurs des taux plus faibles qu’attendu : de 2,4% à 4,6% par an.
Mais attention, le concept de prêts de particuliers à particuliers n’est pas non plus la panacée. Songeons à la chute emblématique de Lending Club (USA), qui a été le pionnier d’un secteur qui s’est développé très rapidement aux Etats-Unis et dans le reste du monde. On la présente comme un accident relativement limité. Des prêts de seulement 22 millions de dollars (sur un ensemble de 3 milliards dollars) : peanuts ! Mais ces prêts ont été vendus à un seul investisseur contrairement aux instructions de celui-ci. Le cours en Bourse de cette plateforme s’est effondré de près de 70% en 18 mois et on se pose de plus en plus fréquemment des questions sur son business modèle.
En fait, on s’est vite aperçu que le business du peer to peer lending (appelé aussi prêts de pair à pair : des investisseurs prêtent directement à des consommateurs, particuliers, étudiants (pour financer leurs études), ou à des petites entreprises) ne fonctionnait pas réellement.
Il y a certes pléthore d’emprunteurs particuliers, mais très peu de particuliers qui prêtent de l’argent. Et donc, très rapidement, la plateforme a dû se tourner vers des prêteurs professionnels, des banques, des fonds spéculatifs, attirés par des rendements élevés. Très loin de l’esprit de la finance participative. Des banques et des fonds spéculatifs qui se sont peu à peu retirés… Le taux de défaut des prêts de Lending Club a augmenté. Et les prêteurs institutionnels ont diminué leur implication provoquant un déséquilibre entre une demande forte de prêts et un assèchement de l’offre de plus en plus prononcé.
Cet accident industriel chez Lending Club est classique d’un secteur innovant en forte croissance. Il ne remet pas en cause la révolution des fintechs mais il permet de se rendre compte que ce secteur reste malgré tout très dépendant des banques auxquelles il est supposé s’attaquer.
D’un autre côté, les banques participent à la spéculation. Elles rachètent des startups du financement participatif ou s’associent avec elles pour rester à la page. La plate-forme d’investissement dans les PME SmartAngels, qui a levé 3,5 millions d’euros en juin 2016, est ainsi partenaire de BNP Paribas, du Crédit Mutuel Arkéa et de l’assureur Allianz. La banque belge KBC a même créé sa propre plateforme : Bolero Crowdfunding. MMI s’appuie sur BNPParibas et Keytrade ainsi qu’avec Partena Professional. Crowd’In est soutenue par la Région wallonne, tandis que Look & Fin est soutenue par la Région Bruxelles Capitale à hauteur de 30 000 euros par an. FriendsClear, s’appuie sur le Crédit agricole…
Spear s’est adossée au Crédit municipal de Paris (CMP Banque), qui se porte garant et assume les éventuelles pertes. Le particulier investisseur achète des parts de la coopérative. Une fois le montant atteint, la plateforme coopérative verse l’argent à la banque qui effectue le prêt à l’entreprise. C’est donc la banque qui porte le risque. Pour l’entreprise, c’est aussi intéressant car plus le financement participatif est important, plus le taux du crédit bancaire diminue. (C’est bien la preuve que les deux finances sont complémentaires).
Chez Babyloan, si un emprunteur ne rembourse pas, c’est l’institution de micro finance partenaire qui se porte garante. Mais dans cette formule, le prêt n’est pas rémunéré et ne vous rapportera donc rien.
Le secteur des assurances s’engouffre lui aussi dans l’univers du financement participatif. C’est le cas du groupe AXA qui a investi 350.000 euros dans Particeep, entreprise éditrice de plateformes de crowdfunding en marque blanche. Ce partenariat avec Axa s’inscrit dans l’envie de réduire les risques sur ces sites. Cela passe par exemple par une assurance crédit pour les investisseurs, qui garantit contre les défauts de paiement sur les plateformes de prêt participatif.
Ces rapprochements expriment le fait que la finance participative est en train de perdre son ADN, à l’heure où crowdfunding a déjà une fâcheuse tendance à rimer avec marketing (et financement professionnel). Aujourd’hui, les grands argentiers se jettent sur le secteur du prêt et importent leur méthode. Certains vont jusqu’à créer des fonds de titrisation tout en se revendiquant de la finance participative. C’est agaçant ! A la base, le crowdfunding est censé être une autre façon de concevoir le financement de l’économie, mais il ne semble plus être qu’un nouveau segment de la finance.
Quand les acteurs de la finance classique s’intéressent à cette évolution essentielle qu’est le crowdfunding, leur motivation du profit (qui porte leur activité) écarte celle qui anime les pionniers du financement participatif. Eux qui parlaient plutôt caritatif, engouement pour un produit ou appartenance à une communauté. Ainsi, des logiques qui ont pourtant dessiné, un temps, un nouveau chemin du capitalisme à l’heure d’Internet maintenant s’estompent peu à peu pour rentrer dans le rang.
L’institutionnalisation du crowdfunding, notamment par les surintendants du système de financement traditionnel, est donc une tendance en croissance. Une étude récente (février 2016) du Cambridge Centre for Alternative Finance & NESTA, a montré qu’en 2015, 45% des plateformes du Royaume-Uni se sont ouvertes à des acteurs institutionnels, comparé à 28% en 2014 et seulement 11% en 2013.
L’étude souligne également que l’implication des institutionnels est particulièrement imposante dans le crowdlending (consumer loans crowdfunding), tandis que dans l’equity based crowdfunding un nombre croissant de venture capitalists et de business angels co-investissent avec la foule des micro-investisseurs.
La catégorie des investisseurs institutionnels est assez large et inclut : des banques, des fonds communs de placement, des hedge funds, des fonds de pension, des sociétés de gestion de patrimoine, des family offices, mais aussi des pouvoirs publics et des banques publiques de développement, des compagnies d’assurances.
Pour en savoir davantage sur qui gagne et qui perd dans le business du crowdfunding consultez le guide pratique : "Crowdfunding : la face obscure du rêve" paru en 2017.
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6 ansLa loi autorise le grand public à investir sur les plateformes de crowdlending mais interdit le grand public d'investir dans les fonds de crowdlending. On ne peut donc être surpris de voir les investisseurs professionnels omniprésents.
Consultant
6 ansMerci pour ce post fort intéressant. Mais n'annonçons pas tout de suite la mort certaine d'un enfant qui commence juste à grandir et à braver les désuétudes de ce monde, il apprendra ...
Conseil en immobilier
6 ansMerci pour cet éclairage pertinent
African Futurist / Astronaut Pirate
6 ansJe mise sur le système peer to peer africain qui est la tontine africaine. Ce système existe depuis des millénaires. J y ajoute juste la blockchain pour mon projet de startup.