Levées de capitaux: les startups doivent prendre en compte la règle de « minimum 15X »
Le capital risque est une discipline particulièrement exigeante en matière de création de valeur financière. Lorsque les capitaux-risqueurs institutionnels (business angels chevronnés, fonds et sociétés de capital-risque) investissent, ils ambitionnent de multiplier plusieurs fois leur mise au moment de récupérer leurs fonds, que ce soit par trade sales (revente à un groupe industriel ou financier), Management Buy Out, ou par une IPO (Initial Public Offering : introduction en Bourse).
Les apporteurs de capitaux évaluent donc la performance projetée d’un investissement en mesurant combien de fois ils peuvent multiplier leur mise sur une période de temps donnée. Par exemple, l’investisseur aguerri se dit : « si j’immobilise mes fonds dans cette jeune pousse pour cinq années, je dois multiplier ma mise de départ par six », ce qui implique un R.O.I (rendement annuel de l’investissement) de 43 %. Cela a une incidence certaine sur le management de la start-up.
Généralement, les business angels espèrent pouvoir se retirer endéans les 7 ans, même si la quête de la liquidité est un enjeu en soi et que les délais effectifs de sortie sont supérieurs à 7 ans pour la moitié des entreprises financées par les fonds de venture capital. La durée moyenne de conservation d’une participation par les business angels tourne autour de 5 ans, avec habituellement une fourchette de 3 à 7 ans. Il faut donc programmer un « exit », de préférence juteux, en moins de 7 ans.
Un investisseur peut espérer multiplier par 21 sa mise initiale immobilisée pendant 6 ans dans une entreprise en phase d’amorçage, pour laquelle, par exemple, une IPO est prévue dans 6 ans. Il peut aussi espérer multiplier par 10,5 son investissement dans une entreprise en phase de démarrage dont l’IPO est prévue dans 5 ans. La phase de démarrage étant statistiquement moins risquée que la phase d’amorçage, l’investisseur peut accepter un return global moindre (durée d’immobilisation des fonds moins longue) (1).
S’agit-il d’un symptôme de cupidité ? Pas du tout ! N’oublions pas que la plupart des investisseurs de la première heure dans des sociétés à forte croissance estiment qu’ils subiront probablement une dilution parfois très substantielle (de 3x à 5x leur mise initiale) entre leur entrée et leur exit, ce qui réduit drastiquement le R.O.I. effectif au moment de la sortie. En outre, au plus on investit en amont, c.à.d. dans les phases les plus précoces d’existence de la start-up (amorçage, démarrage) au plus c’est risqué.
Quelques calculs simples permettent de comprendre le défi que représentent ces investissements en matière d’objectif de valeur globale de cession des startups financées. Si vous levez 1 M€ en échange de 25 % du capital de votre jeune pousse, vous la valorisez 4 M€ « post-money » puisque vos investisseurs souscrivent des actions nouvelles représentant un quart de l’entreprise. Dans les faits, vous avez valorisé votre startup 3 M€ «pré-money » (avant l’investissement) et vous conservez vos actions, qui constituent 75 % du capital de l’entreprise après cette opération.
Si vos investisseurs ont pour objectif de quintupler leur mise en l’espace de 5 ans et qu’aucune nouvelle augmentation de capital n’a lieu entre temps, votre entreprise devra être cotée ou cédée pour un montant égal ou supérieur à 5x4 = 20 M€, soit 20 fois le montant investi par eux.
Un quintuplement de la mise des investisseurs en l’espace de 5 ans représente un rendement annuel de 38 % ce qui n’est pas excessif en regard du risque de « tout perdre », du fait du taux d’échec particulièrement élevé parmi les entreprises émergentes.
Un raisonnement analogue permet de comprendre la pertinence de ce « minimum 15X » en matière de valeur à terme des fonds propres : si vous levez 1 M€ en échange de 35 % du capital de votre startup, vous la valorisez désormais 1M€ / 35 % = 2,86 M€ « post-money ».
Si vos investisseurs sont plus exigeants que dans le premier exemple, tant en matière de pourcentage que de rendement financier et que leur objectif minimum est de sextupler leur mise en l’espace de 5 ans sans qu’aucune nouvelle augmentation de capital n’intervienne, votre entreprise devra être cotée ou cédée pour un montant égal ou supérieur à 6x2,86 = 17,16 M€, soit 17 fois le montant investi par eux.
Les valeurs médianes d’exit confirment ce postulat de minimum15X qui a le mérite de permettre d’estimer rapidement l’objectif de valorisation d’une start-up au moment de sa cession en fonction des capitaux investis depuis sa création.
Recommandé par LinkedIn
Ces ordres de grandeur en matière de pourcentage négocié par les investisseurs sont conformes à la réalité des premiers tours de financements des startups. Le cabinet Valoro (en collaboration avec quelques banques d’affaires belges, française et suisse) indique en effet que le pourcentage médian pris par les investisseurs en « seed / start-up» (amorçage / démarrage) est de 30 % en contrepartie d’un investissement médian de 1,35 M€ et que le pourcentage médian en « série A » (tour de financement suivant) est de 27 % en contrepartie d’un apport médian de 3,2 M€ (données 2022-2023).
Cette étude indique aussi qu’au moment de leur cession, la valeur médiane des entreprises financées par des fonds de capital risque est de 58 M€ pour un financement médian de 3,5 M€. Ceci corrobore le multiple de 15 à appliquer aux financements en capital-risque pour estimer la valeur-cible d’une startup au moment de sa cession. Ces 3,5M€ engendrent en effet une valeur de revente proche de 60 M€.
Les valeurs médianes constituent d’intéressants indicateurs de tendance centrale car elles ne sont pas sensibles aux valeurs extrêmes qui impactent les valeurs moyennes, rendues ainsi moins pertinentes.
Si vous êtes entrepreneur(e), ces ordres de grandeur permettent d’appréhender la valeur à créer si vous faites appel à des investisseurs. Vous pouvez, dans ce cas, voir si vous pouvez faire mieux en termes de valeur de revente : plus rapidement et avec moins (ou davantage) de capital que les montants médians évoqués.
Sachant que l’investisseur espère multiplier plusieurs fois sa mise de départ, il s’ingénie à dénicher et à ne choisir que les équipes exceptionnelles : celles lui proposant la meilleure corrélation possible entre R.O.I. et durée (temps d’investissement estimé jusqu’à leur sortie du capital avec profit). Plus longue sera la durée, plus élevé sera le rendement exigé. Ce surcroît de rendement exigé est justifié aux yeux de l’investisseur par le surplus de risque et par l’immobilisation accrue de son outil de travail : ses capitaux investis dans la start-up ne peuvent pas servir à engendrer des profits dans d’autres projets entrepreneuriaux.
Lorsqu’une startup annonce triomphalement une levée de fonds de 10 M€ en série A, vous pouvez en déduire que ses investisseurs anticipent une revente égale ou supérieure à 150 M€… ce qui n’est pourtant le cas que pour 8,3% des startups financées par les professionnels du capital-risque, soit une startup à succès sur 12. (2) Vous pouvez être certains que la pression sur le management sera à la mesure des enjeux.
Carl-Alexandre Robyn
Ingénieur-conseil en valorisation d’entreprises émergentes, Cabinet d’expertise VALORO (Bruxelles)
(1)Source : Etude d’ International Capital Resources (2018) : « Correlating Rate of Return with Time to Liquidity ».
(2)Source : Tech Coast Angels (2017). Ewing Marion Kauffman Foundation « The Entrepreneur’s Trusted Guide to High Growth ».