Le débat sur la séparation des activités de détail et des activités de marche (continuation)

Les critiques adressées au projet Barnier:

Si l'activité de tenue de marché devait être cantonnée dans une filiale, celle-ci devrait disposer de fonds propres spécifiques ainsi que d'une gouvernance et de personnel propres, ce qui potentiellement renchérirait le coût de cette activité pour les entreprises clientes des banques européennes qui seraient soumises à la réglementation "Barnier".

Par ailleurs, les établissements filiales de grandes banques qui seraient spécialisés dans les opérations de négociation ne pourraient se refinancer sur les marchés qu'à des conditions de taux moins avantageuses que celles obtenues par leur maison-mère qui, elle, bénéficie d'une garantie "implicite" de l'Etat (laquelle est liée au fait que les marchés considèrent que l'Etat français viendrait au secours d'une grande banque en cas de risque de faillite). Il en résulterait un renchérissement des opérations de négociation pour le compte de la clientèle et donc des conditions de financement des entreprises.

Ce faisant, le projet de réglementation européenne risque de se traduire par une réduction de la compétitivité et de la capacité bénéficiaire des grandes banques françaises et donc de leur capacité à lever des fonds sur les marchés financiers. In fine, les grandes banques françaises pourraient se voir ainsi pénalisées par rapport aux grandes banques d'affaires (ou d'investissement) anglaises -qui ne seraient pas soumises au règlement européen - et aux grandes banques américaines alors que la loi Volker, qui interdit les opérations de spéculation pour compte propre aux Etats-Unis, quoique votée en 2010, n'est toujours pas appliquée.

 

Aux Etats-Unis, la loi Volker, du nom de son promoteur ancien Gouverneur de la Federal Reserve Bank, interdit aux banques toutes les activités de marché pour compte propre ainsi que les prises de participation supérieures à 3 % dans les hedge funds   DéfinitionLes hedge funds, de l’anglais « hedge » qui signifie « couverture », qu’on traduit en français par fonds de gestion alternative, sont des fonds d’investissement dont il n’existe pas de définition légale mais qui sont généralement risqués, peu régulés et qui cherchent à offrir des performances élevées notamment en jouant sur l’effet de levier de l’endettement.
. Cependant, les banques peuvent maintenir leurs activités de tenue de marché et  de couverture. L’objectif de la règle est d’éviter que la banque spécule contre ses clients et de limiter au maximum l’utilisation des effets de levier (la banque utilisant l’argent de ses clients pour spéculer pour son compte propre). Cette disposition faisait partie de la loi Dodd-Franck de 2010 mais elle n'est toujours pas appliquée. S'il est prévu qu'elle entre en vigueur en juillet 2015, il ne peut être exclu que la profession bancaire, très opposée à ce texte, n'obtienne des concessions importantes d'ici là.

Au Royaume-Uni, la loi Vickers organise la séparation des activités de banque de détail des autres activités bancaires. Elle ne remet pas en cause la banque universelle, mais prévoit le cantonnement strict des opérations de banque de détail au sein d'une structure juridiquement séparée au sein d'un même groupe bancaire. De fait, la législation britannique n'interdit pas la spéculation pour compte propre mais vise simplement à la cantonner au sein d'une structure juridique séparée de la banque de détail d'un même groupe. L'entrée en vigueur de la  loi se fera progressivement à partir de 2015 pour une mise en œuvre effective en 2019. 

De fait, si les grandes banques françaises ne trouvent pas suffisamment de fonds propres sur les marchés financiers, elles seront contraintes de réduire leurs concours au financement de l'économie (en effet, la nouvelle réglementation dite de Bâle III impose le respect de normes strictes en matière d'adéquation du niveau de fonds propres durs en regard des risques. Si les banques ont plus de difficultés à lever ce type de fonds propres sur les marchés financiers, leur capacité de financement de l'économie s'en trouvera contrainte) et seront moins en mesure que leurs concurrentes anglo-saxonnes de réaliser des opérations de croissance externe génératrices de valeur pour de potentiels investisseurs.

Ces éléments expliquent que le Gouverneur de la Banque de France, ainsi que le gouvernement français, s'opposent au projet de la Commission européenne et estiment que la réglementation mise en place en juillet 2013 suffit à répondre à l'objectif recherché, sans générer des effets secondaires défavorables au financement de l'économie française.

En l'absence de réglementation véritablement uniforme -dans son principe et dans son application- dans toute l'Union européenne et aux Etats-Unis, il est à craindre que cette question de la séparation des activités de banque de détail et de banque d'investissement reste pendante.

Les critiques de certains économistes:

Un certain nombre d'économistes et d'organisations indépendantes (ATTAC, Finance Watch) soutiennent le projet de la Commission européenne de séparation des activités bancaires en deux entités juridiquement distinctes.

Leurs arguments reposent sur l'idée que l'activité de banque de détail, qui est vitale pour le bon fonctionnement de l'économie, ne peut être interrompue et que par conséquent les pouvoirs publics se doivent de venir en aide aux banques pratiquant cette activité en cas de besoin. Par contre, les autres activités bancaires, les activités de marché, bien qu'utiles à l'économie, ne sont pas menées de façon continue. Aussi, toute défaillance d'une banque intervenant dans ce domaine n'affecterait pas le système économique, d'autant que d'autres banques seraient susceptibles d'assurer le même service. La séparation des activités bancaires consiste donc, pour eux, à distinguer les activités qui doivent nécessairement être maintenues -et donc secourues- de celles qui peuvent être interrompues. En outre, ce sont les activités de marché et la spéculation qui sont à l'origine des défaillances bancaires et de la crise financière.

Par ailleurs, les banques les plus grosses sont aussi celles qui sont les plus engagées dans des activités de marché. La séparation des activités bancaires ne concernerait que ces banques, celles qui sont considérées comme "too big to fail". Ce faisant, en réduisant la taille de ces grandes banques, la gestion des crises par les autorités de résolution pourra se faire sans que cela ait des répercussions graves sur l'économie réelle. En outre, la séparation des activités bancaires permettrait de réduire le risque d'interconnexion et de contagion des activités de marché vers les activités de détail.

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