Le délit de diffamation publique caractérisé à tort

A suivre les Hauts magistrats, le propos litigieux ne comporte pas en lui-même l'allégation ou l'imputation d'un fait suffisamment précis pour faire l'objet d'une preuve et d'un débat contradictoire.

Les prévenus ont rédigé, diffusé et affiché un tract « signé bureau UFAP local » sur le panneau à usage syndical situé dans les locaux administratifs du [...], les 5 et 6 avril 2016, visant Mme B. S. adjointe au chef de bâtiment du centre de détention.

Ayant déposé plainte, une information a été ouverte pour diffamation et injure publiques envers un particulier, à raison des propos « souvenons-nous du Concordia s'échouant sur les côtes italiennes et ce commandant fuyant ses responsabilités. Il en va de même pour le Centre de Détention de VLG et de son adjointe qui ne cesse de colmater les brèches occasionnées par l'incompétence de cette personne", "il devient urgent d'expliquer à cette pseudo responsable, qu'être chef (aussi petit soit-il) c'est assumer ses responsabilités et savoir prendre des décisions en faisant abstraction de ses sentiments personnels" et "compte tenu de sa phobie administrative et soucieux de sa santé, il serait temps de réfléchir à un poste qui soit à son niveau de compétence ».

Pour établir le caractère public tant de la diffamation que de l'injure, l'arrêt d’appel a retenu que le tract a été affiché sur un panneau à proximité de la salle d'appel, que des exemplaires ont aussi été mis à la disposition de tous dans cette même salle, placés dans les vestiaires, déposés dans le hall d'accueil et au mess, posés sur des tables dans les locaux administratifs. Il a ajouté que cette diffusion très large a rendu le tract accessible non seulement aux personnels du centre de détention, mais également aux éducateurs travaillant en milieu ouvert, aux personnels administratifs, aux détenus et personnes effectuant l'entretien des locaux, ainsi qu'à des personnes de passage pouvant fréquenter ponctuellement le hall d'accueil et le mess.

Pour la Cour de cassation, « en l'état de ces motifs, ressortant de son appréciation souveraine des circonstances dans lesquelles le tract a été diffusé, et qui établissent que ladite diffusion n'a nullement été limitée aux surveillants pénitentiaires et à leur hiérarchie, seul groupement susceptible d'être lié par une communauté d'intérêts, et a notamment été étendue aux personnes détenues, en sorte que les propos incriminés doivent être regardés comme ayant été tenus publiquement, la cour d'appel a justifié sa décision ».

L’arrêt d’appel est cependant censuré au visa de l'article 29, alinéa 1, de la loi du 29 juillet 1881.

Pour caractériser le délit de diffamation publique à l'encontre des prévenus, les juges d’appel ont retenu que le tract litigieux, pour présenter l'adjointe du chef du centre de détention comme radicalement incompétente, emploie des propos suffisamment précis et qui caractérisent l'atteinte à la considération.

Or, pour les Hauts magistrats, en se prononçant ainsi,  « alors que le propos litigieux ne comportait pas en lui-même l'allégation ou l'imputation d'un fait suffisamment précis pour faire l'objet d'une preuve et d'un débat contradictoire, et que les juges ne relevaient pas de circonstances extrinsèques à l'écrit incriminé de nature à lui donner son véritable sens, et à et à caractériser l'infraction poursuivie, la cour d'appel a méconnu le texte susvisé » (Cass. crim. 13 nov. 2019, n°18-84.864).

De fait, pour constituer une diffamation, l'allégation ou l'imputation qui porte atteinte à l'honneur ou à la considération de la victime doit se présenter sous la forme d'une articulation précise de faits de nature à être, sans difficulté, l'objet d'une preuve et d'un débat contradictoire. Les illustrations jurisprudentielles sont nombreuses (voir par ex. Cass. crim. 9 avr. 2019, RLDI/159, n°5392, nos obs.).

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