Le faux lien de la sous-traitance

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Un livre intitulé Les infiltrés vient de paraître qui dénonce à juste titre le recours abusif à des consultants et la sous-traitance parfois systématique au sein des instances publiques. Trop de cadres dirigeants payent d’autres cerveaux pour penser à leur place, finissant par ne plus s’acquitter du job qui justifie pourtant leur fonction et leurs titres ronflants. La plupart de ces consultants sont des cabinet internationaux de conseil en stratégie dont le siège social est situé à New York, à Boston ou à Londres, tels que McKinsey & Company, Boston Consulting Group (BCG), Bain & Company, Deloitte Consulting LLP ou Oliver Wyman, quand il ne s’agit pas d’agences de publicité tells qu’Havas ou EuroRSCG rachetée par Havas.

Ces consultants sont gagnants sur tous les tableaux : ils font la stratégie de l’Etat, des ministères, et des grands groupes d’entreprises. Ils mettent en œuvre leur transformation ; ils maitrisent leurs données les plus stratégiques et les « confient » à des « clouds » américains. Ils exercent sur leurs commanditaires un formidable pouvoir de lobbying. 

Mais le livre signé par Matthieu Aron et Caroline Michel-Aguirre, grands reporters à « l’Obs », a été mal titré. La notion d’infiltrés va donner du grain à moudre aux complotistes de tout genre et ne pointe pas du doigt les véritables responsables du scandale : il aurait dû être titré « Les paresseux » ou encore « Les dégonflés »tant il est vrai que ce sont la paresse, le manque de courage et d’assurance et le manque d’éthique qui poussent certains hauts fonctionnaires, certains dirigeants des ministères et des grosses entreprises à sous-traiter le travail qui justifie pourtant leurs salaires.

La paresse nous gouverne surtout lorsque nos efforts qui devraient être consacrés aux missions qui justifient notre statut sont tournés vers nous-mêmes et vers la seule valorisation de nos réseaux d’influence, de notre image et de notre carrière. Il s’agit alors d’une paresse par substitution : nous ne travaillons plus pour les autres mais uniquement pour nous-mêmes.

C’est souvent notre manque d’assurance qui explique certains recours abusifs aux consultants qui permettent de légitimer de l’extérieur des évolutions qui ne passent pas à l’intérieur de nos organisations. Enfin, un manque d’éthique dans la mesure où nous dénaturons la finalité de notre job. Il s’agit en quelque sorte d’un détournement, d’un abus de bien professionnel.

Les missions clef de l’Etat finissent ainsi par être assumées par des mercenaires sans affect, sans aucune expérience du service public et de l’intérêt général. Beaucoup sont des sous-marins des GAFA ou des exécutants serviles de quelques oligarques triomphants. L’Etat et les grandes entreprises payent alors pour se dissoudre. Ils externalisent la matière grise du secteur des services après avoir externalisé la main d’œuvre industrielle. Nous fabriquons chinois et nous pensons anglo-saxon. Dans les deux cas nous nous faisons piller. Nous sommes donc sous l’emprise des consultants auxquels il nous arrive de sous-traiter également à prix d’or des tâches relativement élémentaires. En matière de communication interne ou externe, nombre de simples notes d’information sont aujourd’hui sous-traitée à des agences qui n’ont aucun état d’âme pour discréditer la communication en l’égarant dans les méandres de la propagande et des « éléments de langage » .

En sous-traitant, en « mercenarisant », en merchandisant le service public, on lui fait perdre son âme. La notion de désintéressement, le sens de l’intérêt général lorsqu’ils font défaut tant aux fonctionnaires qu’aux élus, discréditent les uns et les autres et expliquent sans l’excuser le taux d’abstention record de citoyens découragés, tout comme le déficit d’image des leaders politiques.

La suppression de l’ENA a été une mesure anachronique. L’ENA de 21ème siècle, ce sont les cabinets de consultants qui servent d’école d’application et de réservoir au recrutement des surdiplômés. Dans nombre de grandes entreprises, dans nombre d’administrations ils sont devenus le vivier des cadres supérieurs et des cadres dirigeants. Ils font en quelque sorte partie des « grands corps » du privé.

A force de ne plus faire et de « faire faire » chacun de nous prend le risque du glissement progressif vers l’incompétence.

Jean-Pierre Guéno

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