Le "feedback", pas toujours cadeau
J'entends des managers (et des coachs) sauter sur leur chaise en criant : Feedback ! Feedback ! Feedback !
On me dira que le feedback est la clé de voûte de l'acte managérial. Un moment privilégié de la relation de travail, qu’il vient nourrir et approfondir, créant les conditions de l’amélioration permanente des comportements et pratiques professionnelles.
Sans doute. Mais est-ce si simple ?
Faire un feedback à quelqu'un, c'est lui "faire un retour", sur son travail, son comportement, son rôle dans l’équipe, sa manière d’être avec un client, etc. C’est, en somme, lui apporter une information (qu’il n’a pas forcément demandé) sur la manière dont je le perçois, et parfois quelque suggestion d’amélioration (on parle parfois de feed forward : ce que j’aurais aussi apprécié que tu fasses, et que tu pourrais faire à l’avenir, si ça a du sens pour toi).
Voilà pour le monde idéal.
Cependant, à bien y réfléchir, il y a nombre de personnes dont le feedback nous importe peu — ou pas du tout. Que l'on a nulle envie, ni besoin, d'entendre ! C’est un sentiment partagé par beaucoup de monde, dans beaucoup d'organisations.
“Qu’est-ce qui lui prend à celui-là, de me donner son avis ? Il pourrait tout aussi bien se le garder.”
Lorsqu'on parle de feedback, y compris dans des formations au management, au leadership, à la communication interpersonnelle, il arrive que ce soit d'une manière un peu caricaturale, ou mécanique. Je l’ai vu parfois réduire à une sorte de manipulation grossière. Avez-vous entendu parler du feedback “sandwich” ? Ça consiste à enrober le jambon du reproche entre deux tranches de compliment. On commence par une remarque sympa, on glisse discret le truc qui cloche, puis on emballe le tout avec un “c’était bien quand même”.
Hmmm.
Lorsqu’on parle de feedback, on oublie souvent la base, le socle relationnel. Il faut que la personne à qui on fait un feedback soit a minima disposée à le recevoir ou, encore mieux, désireuse de l’entendre. C’est le point sur lequel insiste le philosophe et sociologue Hartmut Rosa, dans son dernier ouvrage, dont j'ai dit un mot dans un précédent post :
“Le feedback n’a d’efficacité que dans un espace de résonance, d’ouverture réciproque. (…)
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Le mouvement est à double sens. Il doit donc s’agir d’un événement qui exprime une réciprocité. (…) Et pour que cela fonctionne, il faut d’abord montrer ou faire sentir que l’on s’intéresse l’un à l’autre. Cette affirmation de base doit être établie, sinon celui qui reçoit les réactions des autres n’est pas en situation de s’ouvrir et d’accueillir le feedback de manière constructive.”
Pour résumer : il faut bien un minimum d'intérêt, voire de curiosité, pour que j’accueille le feedback de quelqu'un — en particulier si son retour ne correspond pas à l’image que je me fais de moi-même, ou griffe mon égo. Car il se pourrait que je n'ai pas de raison de croire en sa sincérité ou même en sa bienveillance. Il se pourrait que j'estime que nous n'avons pas eu suffisamment d'interactions pour que cette personne puisse me faire une remarque qui ait de la valeur.
Ce sont des exemples. Mais vous voyez l'idée : pour "renvoyer" quelque chose à quelqu'un, qui soit authentique, qui aille au-delà de la pure banalité ou du coup de pommade, il faut au préalable qu’existe un minimum de confiance.
Donc, déjà, une certaine ouverture dans la relation.
On est en général d’autant plus intéressé à entendre le feedback d’une personne, lorsqu’on pense qu’elle a :
Tout cela n’empêche pas que son avis ne soit que son avis. Il m’appartient de le prendre en compte, ou non.
Comme le dit Rosa, avec ses mots, pour qu’un feedback soit utile et enrichisse la relation entre les protagonistes, il faut donc qu'un axe de résonance ait été ouvert préalablement (y compris si la personne qui me fait un feedback est mon manager, et qu’en somme en me faisant un retour, il fait son boulot, il est dans son rôle). Le risque, sinon, c’est que ma remarque tombe comme un cheveu sur la soupe, ou pire, alimente une forme d'incompréhension.
C'est donc par l'établissement d'une relation d’attention mutuelle, sans flagornerie, ni brutalité, que l’on crée un terrain favorable. Le feedback pourra alors être pris pour ce qu’il doit être, une marque de reconnaissance, l'apport d'un regard extérieur, une graine qui aide à progresser, et à agir avec professionnalisme. Pour qu’elle germe et donne de beaux fruits, il faut que le sol ait été arrosé, bref, que les conditions de la confiance soient réunies.
Alors, seulement, feedback sera... a gift !
Bonne journée.
Coach certifiée RNCP & Gallup | Expérimentée débriefing CliftonStrengths | Bilan de compétences CPF | Formation, facilitation et APP | Coaching de couple #StrengthsFinder #Talents #Points forts
1 ansNathalie Gilly ça me rappelle un échange WhatsApp 😉
Business Angel, Venture Capitalist , and Executive Coach
1 ansJe crois toujours à ce que mon coach m’a enseigné il y a presque vingt ans dans une posture de coaching, qui inclue évidemment un climat d’écoute réciproque et de légitimité du coach Le Cadeau de la Vérité - c’est comme ça qu’il nommait le feedback neutre du Coach Et FBI pour la conséquence sur le coaché: « Frustration is better than Illusion »
Développement commercial
1 ans- L'enfer, Les autres - La confiance n'est-elle pas un certain niveau de probabilité subjective ? Où se situe l'objectivité dans la confiance ? Affirmer que la confiance est la condition nécessaire pour que le feedback devienne un gift ne renvoie-t-il pas ce retour au-delà de la raison ? On pourrait même s'interroger au "sujet" de la réalité de la transparence. Quand sommes-nous dans l'apparition de nous-même et quand sommes-nous dans la dissimulation ? D'ailleurs votre article me remémore un post récent traitant de la transparence. Le climat de confiance nécessaire au feedback "don" n'est-il pas le sujet principal de la pièce de Jean-Paul Sartre : Huis clos ? En réalité, qu'on le veuille ou non, nos actes et décisions sont toujours entre les mains des autres, quelle que soit la qualité de la relation que nous entretenons avec ces autres. Sommes-nous devenus si fragiles qu'on nous ménage ?, comme disait l'autre
Executive Coach | Outplacement. Associée et co-fondatrice du cabinet Via Lecta. J’aide les dirigeants et leurs équipes à réinventer leur trajectoire professionnelle
1 ansMerci Marc pour cet analyse pertinente et nuancée du Feedback qui nous rappelle que le contexte et les conditions dans lesquelles nous utilisons un outil comptent autant que l'outil lui-même. Le feedback n'est opérant que dans un cadre (qui sécurise) et avec une relation de confiance.
Accompagnement de la transformation, intelligence collective
1 ansÔ combien d’accord ! Quand j’ai débuté ma carrière de coach (a long time ago) je me souviens avoir été trés mal à l’aise vis à vis de cette culture du feedback systematique, sensé être un cadeau. Sous-entendu : que tu ne peux pas refuser sinon tu passes pour un ingrat, un idiot ou un incompetent. Certains en profitaient allègrement pour laisser parler leur partie sadique, avec un joli enrobage mielleux. Il m’a fallu de la maturité (et du travail sur moi) pour démeler tout cela. Ce que je sais aujourd’hui, c’est que rien, même les soi-disant bonnes pratiques, n’est tout noir ou tout blanc. Vive la nuance !