Le lien de la crèche et de la croix
Du temps des langes au temps du suaire, le Christ n’était pas seul ni lors de sa naissance ni lors de sa mort. Lors de sa mise au monde comme dans son berceau, l’enfant Jésus était entouré par l’âne et par le bœuf. qui étaient les hôtes de l’étable où accoucha Marie. Le premier avait porté sa mère enceinte, lors de son voyage de Nazareth à Bethléem et continuerait à porter la mère et son enfant lors de leur fuite en Egypte. L’un et l’autre le réchauffaient de leur souffle. Entre Bethléem et Jérusalem, il y a l’espace d’une vie. Sur la croix, lors de son martyr comme à l’instant de sa mort, le Christ était entouré par les deux « larrons » qui avaient subi comme lui le chemin de croix, et qui n’étaient pas comme on le croit des criminels mais des agitateurs sociaux, des juifs en révolte contre Rome. A Jérusalem, les trois crucifiés du Golgotha étaient des prisonniers politiques. Le « larron » crucifié à sa gauche l’insulta, en lui reprochant de ne pas le sauver, l’autre crucifié à sa droite le confessa après l’avoir disculpé. Ils étaient à l’image de la dualité des comportements humains partagés entre la défiance et la confiance. Le Christ mourut le premier, toujours cloué sur la croix, échappant à la lente agonie de ses deux compagnons dont on brisa les jambes après les avoir "décrucifiés".
Aujourd’hui, il en est qui naissent et meurent dans la solitude. Les premiers nés sous X, la lettre en forme de croix, ceux que personne n’entoure ou n’attend, et que personne ne bercera. Les seconds, tels les SDF, avalés, crucifiés par la rue qui les dévorait de leur vivant et qui mourront eux aussi sous la lettre X, qui sert de signature aux anonymes et aux illettrés.
La lettre X sert aussi à cocher les cases du morpion qui devient le jeu favori de ceux qui stigmatisent les exilés en cochant systématiquement les trois cases en i de ses dangers présumés : Islam, Insécurité, Identité Nationale. Ils sont loin de l’avènement de ce monde meilleur souhaité par Boris Cyrulnik, neuropsychiatre et psychanalyste, et par Xavier Emmanuelli, médecin et fondateur du SAMU social de la ville de Paris. Un monde reposant davantage sur les valeurs de respect, de solidarité et d’ouverture à l’Autre. Un monde renouant avec l’altérité.
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Aujourd’hui les personnes très âgées en voie de dépendance ne sont rien d’autres que des exilées de la vie, des migrants de l’âge. Elles sont condamnées aux EHPAD, à ces Guantanamo du grand âge où la solitude est reine. Comparables aux migrants sauvés de la noyade par des organisations humanitaires mais condamnés aux centres de rétention. Ces purgatoires sur terre sont les vestibules de l’enfer. Nous devons expier sur terre dans la solitude avant de disparaître.
Ce n’est pas Dieu qui abandonne son fils : ce sont les hommes et les femmes qui abandonnent leurs parents. C’est la nouvelle malédiction des « temps modernes ». La solitude nous sépare bien avant que la mort ne nous réunisse. La solitude, cette lourde croix que le Christ avait du mal à porter en gravissant le Golgotha, affaibli qu’il était par les épines de sa couronne, par les flagellations, par les crachats et par les injures de la foule.
Jean-Pierre Guéno