Le lien de l’objection de conscience
Le lien de l’objection de conscience
Nous avons tous en nous une tendance à la réaction et une tendance au progrès. Le dictionnaire nous rappelle que le réactionnaire est celui « qui s’oppose au changement ou qui cherche à restaurer le passé ». Ainsi s’affrontent depuis la nuit des temps des pensées rétrogrades promues par des chevaliers de l’immobilisme et des pensées progressistes acceptant que la vie ne soit que renouvellement, que révolution, qu’évolution permanente.
Depuis que l’homme pense, il y a toujours eu des migrants de la pensée, des dissidents, des objecteurs de conscience qui refusaient de se raccrocher aux fausses valeurs des « réactionnaires », de ceux qui prêchaient une certaine forme de fanatisme et qui radicalisaient leur esprit d’exclusion en se raccrochant à la nostalgie d’un prétendu passé de cocagne, à des totalitarismes mythiques et forcément barbares.
Très vite ces apôtres du prince des ténèbres qui font la chasse aux migrants de la pensée deviennent des chevaliers de l’apocalypse et de la mort. Ils finissent toujours par agrandir les prisons, par construire des centres de rétention et des goulags, par composer un jour ou l’autre des escadrons, des cohortes, des nuées, des milices, des colonnes infernales. Ils prétendent « oser dire à voix haute ce que « tout le monde » pense à voix basse ». Ils finissent inévitablement par exterminer l’autre, d’une manière ou d’une autre.
Le dictionnaire nous rappelle que les dissidents sont ceux qui abandonnent ou condamnent les positions du plus grand nombre ou de la communauté qui les entoure, qui cessent d'adhérer à l'idéologie dominante, même lorsqu’elle est celle du système politique et social en place, lorsque ce dernier a été imposé par la dictature d’un petit nombre ou par une épidémie de populisme aboutissant souvent à une forme de terreur. Rappelons ici que les grands dictateurs de l’histoire ont toujours su manipuler les peuples qu’ils opprimaient.
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Il convient de rappeler ici le souvenir de ceux qui ont figuré parmi les grands dissidents de l’histoire, les grands migrants de la pensée, ceux qui ont osé résister à l’inacceptable, sans arriver toujours par la suite à ne pas basculer dans un système, et qui n’ont pas toujours, après avoir reconquis leur liberté d’agir et de penser, su s’abstenir de vouloir rogner celle des autres : les premiers chrétiens, les premiers protestants, les dissidents soviétiques. Les pouvoirs auxquels ils résistaient les ont toujours considérés comme des rebelles, comme des déviationnistes, comme de hérétiques.
Il nous faut aujourd’hui des objecteurs de conscience, des résistants, des dissidents, des migrants de la pensée, dans les pays impérialistes, dans les empires totalitaires qui n’en finissent pas d’agoniser en broyant leurs populations, la Chine, la Russie, les pays postcolonisés, mais il ne faudrait pas pour autant que ces esprits libres se radicalisent à leur tour, qu’ils deviennent la caricature de ce qu’ils critiquent, qu’ils se déguisent en insoumis ou en réhabilitateurs de valeurs.
Au moment où en Iran, les talibans brûlent les instruments de musique, parce qu’ils ont compris à quel point les musiciens sont souvent des migrants de la pensée qui abolissent le frontières géographiques et linguistiques, il convient de rappeler la pensée d’Antoine de Saint-Exupéry dans sa lettre à un otage écrite au moment où il rédigeait le Petit Prince en 1943 : « Une tyrannie totalitaire pourrait nous satisfaire, elle aussi, dans nos besoins matériels. Mais nous ne sommes pas un bétail à l'engrais. »
Jean-Pierre Guéno