Le lien des larmes

Pleurer est un acte réflexe qui révèle toute les nuances de la palette de nos états d’âme et nos états de nerfs : on peut pleurer de joie ou de tristesse, de rire ou de rage, de douleur ou de désespoir, de peur ou d’alégresse. Perte de contrôle, relâchement, lâcher prise, fatigue, épuisement, spleen, stress, déficit hormonal ? Nos larmes peuvent être communicatives et irrépressibles comme nos bâillements, et nous arrivons plus ou moins bien à les retenir, à les maîtriser, à les refouler, à les juguler, lorsqu’il n’est pas déjà trop tard et que nous ne pouvons plus tenter que de les dissimuler et essuyant avec nos doigts ce ruisselet salé qui emprunte la « vallée des larmes », ce sillon situé entre nos joues et la partie supérieur de notre nez. Pleurer nous lessive par une production d’hormones qui vont du cortisol à l’adrénaline, par une accélération de notre rythme cardiaque, par une dilatation de nos vaisseaux sanguins, par une production d’énergie à partir de glucose et d’acide gras. Et nos reniflements et nos grimaces nous rappellent les sanglots de nos chagrins de petite enfance, parfois très éphémères, parfois non justifiés, mais tellement intenses.  

Quand les larmes nous submergent, elle nous relient tant sur le plan émotionnel que sur le plan chimique. Il existe une alchimie des larmes qui déclenche une confrérie ou une sororité de l’instant, une communauté, une complicité éphémère avec des proches ou de parfaits inconnus. Le rapprochement du fou rire ou du désespoir, des sentiments extrêmes. On dit que certains parmi nous n’auraient pas d’affect, qu’ils seraient incapables d’insérer dans la perle d’une larme  cette sensation, cette émotion, ce sentiment, cette humeur, cette pulsion liquide qui nous vient quand la vie nous mouche, nous mortifie ou nous console, pour le meilleur ou pour le pire. Il faut garder foi en l’homme et penser que tous ces cœurs endurcis cachent alors en fait une blessure non cicatrisée, et qu’alors, les larmes des autres auraient pour eux les vertus de la prière des méditatifs pour ceux qui ne trouvent pas la lumière.

Jean-Pierre Guéno