Le monde d’après dans l’assurance

Le monde vit actuellement une crise sanitaire sans précédent. La protection des vies humaines constitue la priorité pour les sociétés occidentales. Les états ont donc pris des décisions qui auront de forts impacts économiques et vraisemblablement sociaux. Le secteur de l’assurance est impacté, puisqu’il est fortement imbriqué à l’économie (financeur d’états et d’entreprises par l’allocation de ses fonds propres et des sommes confiées par les assurés, amortisseur des conséquences des sinistres via l’exercice de son métier).

Beaucoup évoquent des « mondes d’après » qui pourraient émerger en conséquence de la crise. J'envisage ici quelques pistes que pourraient suivre les assureurs pour contribuer à la construction de leur monde d’après.

1.     A court terme, le confinement peut avoir un effet double d’amélioration ponctuelle de la sinistralité et de dégradation du recouvrement des primes

1.1. Impacts sur la sinistralité

En assurance automobile (marché de 20 Mds €), réduction forte de la sinistralité pendant le confinement (moins de circulation donc d’accidents, les voleurs sont également confinés, …) à grosse maille, 10% de la charge annuelle, soit 1,7 Mds €).

Concernant la santé complémentaire (marché de 35 Mds €), réduction temporaire de la sinistralité pendant la confinement (moindre recours aux soins de ville comme à l’hôpital, même si on peut envisager un léger surcoût pour la prise en charge des frais de santé complémentaire des malades COVID, peu nombreux mais unitairement élevés en tout cas pour l’assurance maladie). Ces soins seront reportés avec le risque d’aggravation, qui inquiète les acteurs de la santé. Techniquement pour les assureurs, léger surcoût au global.

En prévoyance (marché de 20 Mds €), les malades COVID nécessiteront des indemnités journalières ; peut-être quelques cas graves présenteront des séquelles et des incapacités.

Sur les marchés des dommages aux biens des entreprises (8 Mds €), de l’assurance transports (1 Mds €) et construction (2 Mds €), très fortement ralentis pendant le confinement, on peut envisager une sinistralité très fortement réduite pendant le confinement, puis mais les assureurs devront faire un geste concernant les primes.

Enfin, concernant le marché de l’assurance vie, la baisse des marchés financiers, conjuguée avec la baisse de revenus d’au moins 10 millions de salariés du privé au chômage partiel, de nombre d’indépendants et de petits entrepreneurs peuvent entraîner des rachats. En contrepartie, ceux dont les revenus resteront stables ne pourront pas consommer autant qu’à leur habitude. Le taux d’épargne de cette frange de la population va donc croître et le support en euros est un moyen d’épargne sûr (on parle de près de 60 Mds mis de côté par les français pendant le confinement).

1.2. Impacts sur le recouvrement des primes

Du côté des primes, la diminution drastique de l’activité va avoir un impact sur la solvabilité d’entreprises fragiles, qui vont éprouver des difficultés se maintenir, préserver l’emploi et accessoirement pour honorer les primes sur cette période. Coface évoquait en avril 15% de défaillance d’entreprises de plus que lors d’une année « normale » (le Monde, 6/4/20), soit environ 10 000 défaillances de plus.

Des gestes des assureurs vont être nécessaires (par ex 200 M€ de cotisations santé / prévoyance collectives des membres de la convention Hôtels / Cafés / Restaurants).

1.3. Impact sur la solvabilité

Depuis mars, les marchés financiers ont baissé d’un peu plus de 20%. La faible exposition réglementaire des assureurs à ces actifs permet de limiter l’impact sur les solvabilités. Bien entendu si l’immobilier ou les dettes souveraines subissent un choc d’ampleur, la question de la solvabilité du secteur se posera.

2.     A plus long terme, il nous semble que les assureurs vont avoir à se positionner sur le sens qu’ils veulent donner au monde d’après

Les pertes d’exploitation et de revenus vont peut-être atteindre 100 Mds € en France. Face à ce choc économique, l’assurance seule ne peut. Il touche tout le monde (pas de mutualisation possible) et partout (pas de diversification possible). La protection économique est donc principalement portée par l’état. Cependant, ma conviction est que, en tant que financeur de l’économie, amortisseur des chocs et employeur de 200 000 salariés, le secteur de l’assurance a un rôle à jouer dans le « monde d’après ».

Sa raison d’être est de protéger et accompagner les individus et les entreprises face aux risques encourus. C’est la première chose qui est attendue par les clients et c’est sur quoi les assureurs vont en priorité être attendus.

2.1. Un monde d’après dans la continuité du monde d’avant

À la suite du choc subit, les assureurs peuvent rechercher un retour à la « normale ». Cela pourrait se matérialiser par la volonté de profiter du rebond et de l’affaiblissement des concurrents pour compenser l’érosion du portefeuille (défaillance d’entreprises clientes, résiliation suite à non paiement de primes, …) ou prendre des parts de marché. Il s’agira d’être agressif commercialement sur les marchés qui vont rebondir mécaniquement (assurance auto, terminaux mobiles, moyens de paiement, …) et de conserver une bonne image.

La construction d’offres entreprises garantissant une partie des pertes d’activité y compris en cas de pandémie devrait également répondre à un besoin.

Dans tous les cas, les projets prévus vont devoir être révisés pour se recentrer sur les investissements les plus rentables à court terme. Les projets d’efficacité opérationnelle et ceux permettant de mieux vendre seront vraisemblablement privilégiés. La crise ayant mis en évidence les faiblesses des plans de continuité d’activité (problèmes de réseau, de déploiement du matériel informatique, d’efficacité des échanges à distance, …), il y aura certainement des initiatives visant à rendre plus facile et efficace le télétravail dans la durée.

D’ailleurs, si le télétravail prend durablement de l’ampleur, les assureurs pourront être créatifs pour adapter leur offre (distinguer les accidents de la vie et ceux du télétravail, protéger les entreprises et leurs salariés quand ils sont chez eux, …).

2.2. Une action volontariste pour façonner un « monde d’après » différent

Mais les assureurs pourraient également utiliser le temps qui vient pour réinventer leur business model en contribuant à façonner un monde plus humain et plus durable.

Le contrat d’assurance est un bon moyen d’inciter les comportements vertueux des assurés, via par exemple une modulation des cotisations selon le comportement. Au niveau individuel, il s’agit pour l’assureur de sélectionner les bons risques. Mais on pourrait imaginer d’appliquer un engagement collectif entre l’assureur et les assurés, où l’ensemble d’une population assurée bénéficierait d’un bon comportement global. L’assureur dispose des moyens de détecter les éventuels « passagers clandestins » qui voudraient bénéficier sans contribuer.

De même, si on a beaucoup parlé de prévention jusqu’aujourd’hui, les sommes investies sont toujours restées modestes (voire dérisoires si on est critique). Or la crise actuelle révèle les conséquences du manque de préparation : gravité accrue de la maladie sur ceux qui ont déjà une santé précaire, système de santé en silos (ville / hôpital / médico-social / privé) qui ne collaborent pas toujours, lourdeurs administratives kafkaïennes. En santé, les assureurs ne sont que des acteurs complémentaires et ne peuvent pas réorganiser tout seuls. Mais ils peuvent être force de proposition et disposent de marges de manœuvre pour renforcer la prévention aux côtés de la sécurité sociale et des professionnels de santé, par exemple via des partenariats publics privés. Au-delà du COVID ou de la prochaine pandémie, c’est l’ensemble de la population et de l’économie qui gagneraient à prévenir plutôt que guérir.

Par ailleurs, dans son rôle de financeur de l’économie, le secteur de l’assurance pourrait focaliser ses investissements sur les entreprises vertueuses écologiquement ou socialement et dépasser le simple « green washing ».

En interne, la montée en puissance du télétravail pour l’ensemble des collaborateurs semble inéluctable. Mais elle ne se fera pas sans accroître le niveau d’autonomie. Cela implique une transformation organisationnelle qui décentralisera un grand nombre de décisions du quotidien. Et donc passe par un renforcement de la confiance entre managers et équipes.


Quoi qu’il en soit, si les assureurs ou certains d’entre eux ont la volonté de contribuer à façonner un monde un peu différent, ils ont le pouvoir de changer eux-mêmes et d’être prescripteurs vis-à-vis de leur éco-système. Mais cela nécessitera du courage, des efforts et des investissements dont on peut imaginer que le retour serait élevé mais pas à brève échéance.

En tout cas, le climat semble propice pour ceux qui veulent sincèrement évoluer !

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