Le nouveau paradigme du travail collaboratif en présentiel
Il y a un an et demi apparaissaient les premiers signes que le monde était sur le point de changer. L’amplification de ces signes annonciateurs est d’abord venue de l’autre bout du monde, puis à nos frontières avant que ne tombe la nouvelle par le biais de nos dirigeants alarmés : il nous fallait rester chez nous, ne plus se déplacer sauf en cas d’extrême nécessité. Pour ne pas stopper complètement l’activité économique, nous avons été enjoints à travailler à distance autant que possible. Même si les douze quinze derniers mois ont vu les règles sanitaires évoluer au gré des vagues de contamination, passant du strict confinement à l’assouplissement des autorisations de sortie, l’injonction à privilégier le travail en distanciel est restée.
Aujourd’hui, en ce début d'été, avec les campagnes de vaccination et la baisse des courbes de la pandémie, nous pouvons envisager de « retourner au bureau ». Bien sûr pas « comme avant » car le monde dans lequel nous vivons aujourd’hui a changé, chacun en est conscient, mais la perspective de croiser à nouveau physiquement des collègues sur le lieu de travail redevient envisageable. Seulement voilà : pour un grand nombre de collaborateurs, les journées de travail ont été – et sont encore – rythmées par une succession de réunions en visio. Cela a changé les habitudes de travail, sinon le rapport même au travail. La transformation de ce rapport, que l’on a d’abord attribué au changement générationnel avec l’arrivée des générations Y et Z, a pris une tout autre ampleur aujourd’hui. Le dirigeant d’une grande société de services avec qui je travaille me partageait il y a peu un sondage auprès de leurs collaborateurs indiquant que 20% d’entre eux souhaitaient conserver le mode de travail en full distanciel, et ne pas revenir dans les locaux. Seuls 5% souhaitent revenir à plein temps sur site. Les 75% restants se positionnant entre ces deux extrêmes. Avec la volonté de la direction laisser le choix à chacun de revenir ou non, la question qui devient centrale est la suivante : comment réinventer les moments présentiels pour qu’ils soient porteurs de sens et utiles pour tous ? Au-delà du fait qu’une personne sur cinq ne sera présente à aucun moment, comment permettre des temps où les interactions sont génératrices de valeur
En me basant sur mes expériences d’accompagnement des organisations pour intégrer le collaboratif au sein des pratiques, j’identifie trois axes pour répondre à ces questions :
· Repenser les temps collectifs pour qu’ils aient un maximum d’impact : avec le confinement, les usages collaboratifs ont aussi été amenés à évoluer. Dès les premières semaines, les facilitateurs ont réfléchi et proposé de nouvelles approches pour pouvoir mener des ateliers à distance, et permettre au travail collaboratif de continuer à exister au sein des organisations. Aujourd’hui le retour du présentiel impose de repenser à nouveau le positionnement du collaboratif. Il s’agit de qualifier précisément ce que ces ateliers doivent permettre, quelle finalité ils servent. Parce que ces temps passés ensemble dans une unité de lieu sont devenus rares, il est primordial de déterminer précisément à quel moment il est important de se réunir pour bénéficier des approches collaboratives, et d’identifier la valeur que ces temps forts devront apporter à l’organisation. Nous devons nous assurer que l’expérience offerte et les produits de sortie élaborés en session participent d’un besoin que l’on ne pourrait couvrir avec une démarche en distanciel. Il s’agit également concevoir avec soin le design de ces temps devenus plus rares.
· Recréer les espaces physiques comme des hubs de rencontre : Avec des collaborateurs beaucoup moins présents, et dans des temporalités différentes, il est nécessaire de repenser les espaces. En effet, les premiers collaborateurs à être revenus dans les bureaux ont vu des grands espaces déserts, où ils ne croisaient personne. Dès lors l’intérêt d’être présent sur place est plus difficilement perceptible : à quoi bon venir si je suis seul toute la journée dans mon bureau ? Il faut donc réinventer les espaces de travail pour maximiser les possibilités d’interagir avec ceux qui sont présents, et de tirer un maximum de bénéfices d’être sur place. Lorsque j’ai déployé des hubs collaboratifs au sein d’organisations, c’était une des composantes essentielles pour ces nouveaux lieux : ils devaient être ouverts et invitants, pour inciter les collaborateurs à venir découvrir cet espace nouveau, s’y sentir accueilli et bienvenu pour partager, obtenir des informations sur ce qui s’y passe et nourrir sa curiosité. Dans ces lieux nous avons mis un accent sur le management visuel afin de communiquer des informations dans un format inspirant. Ces lieux dédiés aux interactions entre personnes permettent aux collaborateurs de bénéficier d’expériences qu’ils n’auraient pas depuis chez eux.
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· Re-générer l’histoire commune : Le télé-travail étant durablement installé dans les pratiques, quel qu’en soit le degré, nous allons devoir nous habituer à interagir avec des personnes que nous ne côtoyons qu’à distance, et n’échanger que le temps d’une réunion en visio. Dès lors le tissu des histoires projets qui font l’histoire de l’organisation risque de s’appauvrir car elle sera beaucoup moins nourrie par des interactions. Dans mon métier de consultant avant le Covid, l’espace des machines à café a toujours été un lieu important pour échanger, et en apprendre beaucoup sur l’organisation, et « sentir » son pouls grâce à des échanges d’une autre nature que le déroulé de l’ordre du jour d’une réunion. Cela participe à la culture de l’organisation, qu’il est nécessaire d’entretenir. Avec la raréfaction voire la disparition de ces temps informels, il s’agit aujourd’hui de trouver d’autres moyens pour que les collaborateurs puissent partager ces petites histoires et tisser ensemble celle commune qui façonne leur organisation. Au-delà de réapprendre à travailler ensemble selon ces nouveaux modes, il faut entretenir notre histoire commune, et bâtir un narratif comme le disent Anne Badillo, Tim Donovan et Tobin Trevarthen dans leur ouvrage « Narrative Generation ».
Ce temps post-confinement ouvre des perspectives passionnantes pour se transformer, en plaçant les collaborateurs au centre et en cherchant à recréer des espaces d’interactions. Et vous, comment abordez-vous ce nouveau paradigme ?
Co-Fondatrice Talenteos
3 ansTout à fait d’accord avec toi Cédric, merci pour ton article. Je partage ton analyse fine et prospective . Notre rôle est d’accompagner nos clients dans l’exploration de solutions collaboratives nouvelles pour répondre au paradoxe émergent post Covid : allier la flexibilité du travail et développement des collectifs de travail. Échangeons nos expériences et initiatives entre pairs, jouons la collaboration.
Associée Ze Change Makers
3 ansMerci Cédric ! Charlotte FREMY Caroline TRUC
🌼 Facilitatrice de projets à forte valeur écologique et sociale 🌼 Jardinière de coopérations et de lien social 🌼 Semeuse d'espoir et d'envies d'agir 🌼 Passeuse de savoirs
3 ansMerci Cedric. Je fais les mêmes constats. Je me permets juste une réflexion personnelle en lien avec mon vécu pro. Travailler en full teletravail ne me semble pas viable et adapté pour créer en effet un esprit d'équipe, une culture commune. On a beau organiser des temps à distance conviviaux, engageants, efficaces, rien de remplace le fait de se voir. Ces hubs comme tu les appelles pourraient alors être le siège de rencontres régulières entre les personnes (équipes, parties prenantes d'un projets par ex). C'est en effet repenser les temps collectifs en présentiel comme des temps à forte valeur ajoutée, précieux et voir comment les temps à distance s'articulent avec (pour quoi faire, piur délivrer quoi ?)). Bref un vaste sujet. J'ai hâte de voir comment les organisations vont se saisir de ce sujet 😉
Formatrice et Coach en Communication
3 ansEffectivement, ta proposition de ´ hub collaboratif ´ , lieu propice aux echanges et source d’information, est devenu indispensable pour faire battre le coeur de´ la raison d’etre ´ de l’entreprise. Bravo et merci a Cedric Defay pour cet article. #solutioninnovante #communicationinterne
Social scientist | Innovation & change
3 ansMerci d’exprimer aussi clairement les enjeux qui sans conteste seront les nôtres ces prochains mois. J’ajouterais que les questions d’échelle sont sensibles : la question du collectif post-COVID trouve un portage « naturel » au niveau de l’équipe et à celui de l’entreprise, mais il faudrait la prendre en charge à chaque maille intermédiaire, et tout particulièrement à celle de ces collectifs transverses dont l’animation relève d’une responsabilité plus diffuse…