Le paradoxe de l'action collective

Le paradoxe de l'action collective

Tout le monde s’accorde sur le fait qu’une action menée collectivement, basée sur un véritable travail collaboratif, sera autrement plus efficace qu’un acte isolé. Oui, mais.

 1. Attention aux jugements binaires

 Les exemples qui viennent étayer ce constat ne manquent pas.

  • Nul besoin d’être grand clerc pour comprendre que les membres d’une équipe de sport, d’une unité de combat, d’une escadrille de voltige doivent s’entraîner ensemble pour gagner, pour vaincre, pour briller et, dans certains cas, pour survivre.
  • Nul besoin d’avoir une longue expérience pour se persuader qu’une équipe managériale, qu’un poste de commandement, qu’une cellule de crise doivent au quotidien comme en situation d’urgence pouvoir travailler collectivement et coopérer, en interne comme en externe, pour conduire un projet ou pour affronter une situation d’exception.
  • Nul besoin d’une grande imagination pour réaliser « qu’on est plus intelligent à plusieurs que tout seul », « que la richesse est dans la différence » et que la créativité comme le vivre/travailler ensemble en seront renforcés.

 Mais, à force de marteler ce qui semble être des lieux communs, on en arrive à montrer du doigt l’individu. Ou plus exactement celui qui prétend agir seul car se rendant ainsi coupable d’individualisme. Ici, je pose simplement deux questions :

ne sommes-nous pas tous des individus avec nos perceptions et nos idées ?
n’existe-t-il pas des cas de figure ou l’individu fera la différence ?

 En fait, un minimum d’honnêteté intellectuelle permet de reconnaitre que tout n’est pas si simple. Et certains diront « tant mieux ».

Mais il y a plus.

 2. Des sociétés globalement individualistes

 Les sociétés évoluent et, en fonction des circonstances, font pencher la balance d’un côté ou de l’autre. Ainsi, ce début de XXI° siècle consacre l’action collective. L’un des secteurs les plus évocateurs est celui du travail. Tous le disent : le mode managérial à mettre en place doit jouer la carte du collectif. Le mode vertical, ce système dirigiste de l’ancien temps, doit disparaitre. Il en va de l’efficacité comme du bien-être au travail ; lequel influe sur l’efficacité, etc.

 Certes.

 Mais il y a quand même une certaine ironie dans cette quête : les mêmes personnes qui louent le nouveau système et réclament son instauration à corps et à cris sont, « parfois », des individualistes forcenés. Qui recherchent leur intérêt personnel, qui sont très performants pour critiquer l’action de leurs voisins et collègues ou qui sont imbattables pour dialoguer avec leur smartphone.

Alors, hypocrisie ou ambivalence ?

 3. Pour aller plus loin

 Depuis plusieurs années, il ne se passe presque pas un jour sans que l’on compare la société française à celle des États-Unis d’Amérique. Pour, selon son tempérament, tantôt louer le pragmatisme des « Anglo-Saxons », tantôt, célébrer le caractère latin.

 L’ironie est que, dans les deux cas, nous avons affaires à des individualistes.

 Mais :

le Français prône l’action collective alors qu’il est fondamentalement individualiste ;
l’Américain est un individualiste qui a compris, dès le début de sa (récente) histoire la nécessité et la force de l’action collective.

 Cela n’apporte-t-il pas de l’eau au moulin de ceux qui constatent que la France est un pays qui brille par sa créativité mais qui peine à innover ?

 4. Pour aller encore plus loin

 Pour alimenter la réflexion, je suggèrerais bien, de manière très sérieuse, la (re)lecture du « Meilleur des Mondes » d’Aldous Huxley ; écrit en 1931...

 Et de manière plus distrayante, de (re)visionner « Les professionnels » de Richard Brooks (1966), « Les douze salopards » de Robert Aldrich (1967) ainsi que « Rollerball » ; la version de Norman Jewison avec James Caan (1975), surtout pas celle de 2002.

 odouin@olivierdouin-conseil.com

 

Gérald A.

Chercheur-associé, axe de recherche-Renseignements, laboratoire SDR3C, CNAM

7 ans

La différence entre Etats-Unis et France qu'Olivier Douin est intéressante, mais elle pourrait être approchée autrement, sur le temps long. Celui-ci est propice à la mise en place d'un processus d'apprentissage qui influe ensuite sur les cultures nationales. Concernant le Français. Jusqu'en 1930, il est d'avantage rural que citadin. L'individualisme forcément est encouragé par les modèles d'héritage : pour éviter la fragmentation de la ferme, l'endogamie et l'accaparement sont des pratiques courantes et... individuelles. Le modèle ouvrier qui tend à concurrencer le rural depuis la fin du XIXe siècle, sous des réflexes de classe, repose sur la distinction individuelle, largement influencé par Stakhanov. Tout autre est le modèle américain qui, s'il emprunte les mêmes modes d'héritage, va cultiver l'entraide rurale, l'action collective suppléant l'individuelle quand cela est nécessaire. Les occasions ne manquaient pas : conditions climatiques comme en Europe, conquête de nouveaux espace, non plus par l'accaparement, mais pour la construction d'un Etat. Cette mythologie de la frontière est collective, tant somme des actions individuelles qu'apport du collectif. Voilà pourquoi les principes de management sont américains et non allemands

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