Le pricing se résume-t-il à augmenter les prix?
Un fournisseur qui augmente ses tarifs sans créer de nouvelle valeur pour ses clients est comme un chat qui tente de mordre sa queue. Il contribuera au mieux à la montée de l'inflation et au final ne gagnera pas davantage, au pis il fera fuir ses clients si une alternative existe sur son marché.
Définir un prix dépasse la seule question de la rentabilité
On n'a pas toujours la possibilité de se référer à la concurrence pour fixer ses prix. On n'a pas non plus toujours une position sur le marché qui permette de "faire le marché" et dicter la segmentation de l'offre et les prix. A contrario on n'est pas toujours sur un marché nouveau ou le prix reste encore secondaire, ni sur un marché où la négociation de gré à gré est la seule règle. Mais on a souvent un chef de produit qui jure de multiplier les volumes de vente si on concède à sacrifier les prix ou un commercial qui vous explique que la vente ne s'est pas faite à cause du prix. On a aussi souvent un dirigeant qui profite de sa position de leader pour augmenter les prix à défaut d'augmenter ses parts de marché, pour atteindre l'objectif, cette année seulement et pour la dernière fois (c'est promis).
Ces pratiques peuvent se révéler dans le temps des pièges et transformer l'entreprise qui les pratique en éternel suiveur sans aspérité ou en arrogant leader qui en oubliera d'innover obérant ainsi son avenir. Sauf rattrapage des pratiques de la concurrence, une évolution de prix doit traduire une évolution de la valeur créée. A défaut les ajustements se feront sur les autres variables: expérience client, part de marché, rentabilité, inflation …
Toute peine mérite salaire ou tout résultat mérite salaire?
A priori définir un prix est une équation à plusieurs variables ou critères que l'on fait varier pour trouver le bon équilibre. Parmi les critères se trouve le modèle qui revient à choisir sur quoi asseoir le prix: tarification à la consommation réelle ou au forfait; location ou pleine propriété; consommation effective ou tarification à l'activité générée chez l'utilisateur. Par simplification nous identifions 4 principaux modèles: Propriété, Locatif, Consommation, Productivité. Ces différents modèles peuvent s'appliquer à peu près à tout bien de consommation, d'équipement ou service mais leur pertinence dépend largement du marché sur lequel intervient l'entreprise et le choix en est vite restreint. Prenons deux exemples.
Si l'entreprise intervient dans un secteur "ubérisable" (disons pour faire simple qu'elle risque de voir un intermédiaire, une plateforme d'intermédiation numérique comme Uber par exemple, venir se placer entre elle et son client et la ravaler au statut de simple fournisseur qui perd la maîtrise de la fixation du prix et au final, ce qui suit logiquement, de sa marge), elle a intérêt à choisir un modèle qui la rapproche de son client -comprendre des intérêts de son client, des bénéfices qu'il perçoit le mieux. Le modèle Productivité qui revient à faire payer selon le résultat obtenu chez le client, s'il est applicable, sera sans doute le bon choix parce qu'il réduira l'espace entre le fournisseur et le client et réduira la place pour une plateforme d'intermédiation. Prenons un cas théorique, le mobilier de salon et les chaises en particulier qui meublent une salle de conférence. L'entreprise qui tient une conférence est peu encline à acheter les chaises, peut-être les louera-t-elle le temps de la conférence mais elle préférera sans doute avoir recours à un prestataire assurant toutes les prestations attachées à une conférence. Elle pourrait cependant avoir intérêt à contracter avec le fournisseur de chaque prestation si son coût et son risque sont sensiblement réduits. Si donc le fournisseur ne vend, ni ne loue ses chaises mais les factures au nombre de présents effectifs à la conférence, non au nombre de chaises installées, il réduira le risque de son client sans significativement augmenter le sien ni réduire sa marge. En pratique c'est un modèle proche d'un acteur comme Critéo dans le numérique (paiement au clic).
Si l'entreprise est un acteur du numérique, ce sera probablement le modèle Consommation qui sera le plus adapté. Un tel modèle apporte une récurrence du revenu pour le fournisseur et une certaine objectivité de la facturation pour le client. Mettons tout de suite d'accord les étranges marketeurs qui appellent le SaaS un service et la licence un produit, car on peut mettre en œuvre un modèle Locatif sans faire du SaaS, avec un logiciel chez l'utilisateur (la pratique existait avant l'an 2000), il est ainsi bien question de modèle tarifaire et non d'architecture Cloud ou de technologie. Toutefois le SaaS est indéniablement un facilitateur pour le modèle "Consommation" puisqu'en plaçant l'unité de calcul logique et les données chez le fournisseur et non plus chez le client, le SaaS donne au fournisseur une grande facilité pour la mesure de la consommation de ses clients sans grand risque de contestation.
Mais les modèles ont leurs avantages et risques, et là encore il ne s'agit pas nécessairement de technologie. Le modèle Propriété le plus décrié aujourd'hui est cependant celui qui minimise les risques du fournisseur là où le modèle Locatif transforme l'obligation de moyen en obligation de résultat pour le fournisseur et où les modèles Consommation ou Productivité créent une dépendance directe et immédiate du revenu du fournisseur avec la bonne tenue du marché des clients. Pour minimiser les inconvénients et maximiser les avantages des modèles, le pricing manager averti les mélangera souvent . Il mixera par exemple Locatif et Propriété par un "droit d'entrée" pour réduire le "trou d'air" d'un passage entre un modèle Propriété à Locatif.
Bi-face et Freemium
L'avènement, il y a 20 ans, des modèles de financement par la publicité avec notamment les fournisseurs d'accès Internet (FAI) gratuits et, toujours d'actualité, Google, a dissocié le bénéficiaire du service du payeur de ce service (modèles bi-faces). Si ce modèle a été un échec pour les FAI et la tentative éphémère des PC gratuits financés par la publicité qui suivit, il a été une réussite pour Google.
Il faut toutefois attribuer le succès de Google à d'autres facteurs et non pas seulement au modèle bi-face.
D'une part la crise de 2007 a réduit les budgets de communication alors que les utilisateurs des services de Google augmentaient, ce qui aurait pu créer un phénomène de ciseau potentiellement dramatique sur la marge (le risque d'un tel modèle, est en effet une hausse des charges par l'augmentation des utilisateurs mais une baisse des revenus par la diminution des payeurs dans la mesure il n'y a pas de corrélation entre les charge et les revenus dans ce modèle). Il n'y a pas eu de conséquence négative en 2007 pour Google qui a bénéficié de l'arbitrage publicité traditionnelle vers publicité en ligne qui était alors un marché de premier équipement. Il aurait pu ou pourrait en être autrement sur un marché mature. D'autre part Google ou encore LinkedIn développent une facturation directe de l'utilisateur dans une approche freemium/premium (LinkedIn) ou en créant et commercialisant de nouveaux services (offre Google pour les entreprises par exemple). Enfin ces acteurs ont également développé une troisième source de revenus issus de ce l'exploitation du "Big Data" repris par quelques critiques sous le terme de "quand vous ne payez pas, c'est que le produit c'est vous", montrant par-là la limite du seul modèle bi-face.
Ce modèle Bi-face pourrait être considéré comme le cinquième modèle tarifaire après Propriété, Locatif, Consommation, Productivité. Mais il diffère en ce qu'il ne se suffit pas à lui-même, il ne peut être que complémentaire.
Les 7 règles par ordre de priorité
Si vous êtes convaincu que la fixation du prix est un sujet très important, l'article a joué son rôle mais ne vous a pas donné toutes les moyens d'y parvenir. Pour commencer, voici les grandes règles, dans l'ordre d'importance, avant de toucher aux prix et aux modèles tarifaires:
- Créer objectivement de la valeur (éviter les effets inflationnistes)
- S'assurer que la valeur créée se traduit en valeur perçue pour le client
- Contrôler qu'il y a bien un bénéfice économique pour le fournisseur
- Vérifier qu'on est dans la solvabilité du marché (bon ordre de grandeur par rapport à la concurrence ou alternative)
- Vérifier la lisibilité du modèle (pas d'obstacle à la décision par l'incompréhension ou la complexité)
- Mesurer et contenir le coût de l'application dans votre gestion (back office) du modèle
- Assurez-vous que tous vos collaborateurs comprennent et soient solidaires (maintenance et contrôle des pratiques tarifaires )