Le retour du mythe des "navires propres" équipés de réacteurs au thorium
ULSTEIN développe depuis cette année de façon très visible un programme de navire d’expédition propre, ou de base flottante de rechargement en énergie électrique, fondé sur l’embarquement d’un réacteur (nucléaire) utilisant le thorium, plus abondant sur terre que l’uranium, notamment en… Norvège, pays d'origine du chantier connu en particulier pour ses étraves en X.
« Le projet a débuté en janvier lorsque nous avons été mis au défi de développer une nouvelle façon d'attirer de nouveaux clients. Nous étions censés aller au salon Seatrade en avril et c'était un développement naturel de chercher comment établir une croisière d'exploration à zéro émission.
En même temps que Thor, Ulstein a également révélé un concept portant le nom du partenaire du héros mythologique nordique, Sif, en l'occurrence un bateau de croisière à batterie capable d'accueillir 80 passagers et 80 membres d'équipage. Les deux modèles incluent la marque X-BOW® d'Ulstein. La société estime qu'un seul navire Thor pourrait être responsable de la recharge de jusqu'à quatre navires naviguant dans une zone particulière. Un positionnement dynamique ou des ancres seraient utilisés lors de ces opérations de charge, avec un véhicule drone utilisé pour transférer la prise de charge entre les navires. Avec les progrès rapides réalisés dans la technologie des batteries, on estime que le navire à passagers pourrait être complètement chargé en aussi peu que six heures…
"La principale raison pour laquelle nous avons fait cela était que nous voulions lancer cette discussion et essayer d'influencer à la fois les sociétés de classe, les politiciens et le grand public. C'est le plus important pour nous », déclare Muren. »
Evidemment, envisager l’usage du thorium est loin d’être neutre, que ce soit en termes de sûreté, de sécurité, mais également d’impact environnemental, ainsi que le relève depuis de longues années le CEA sur le sujet :
« POUR AMORCER UN RÉACTEUR AU THORIUM, IL FAUT DE L’URANIUM
Le thorium n’est pas un élément fissile , mais seulement fertile comme l’uranium 238. Son utilisation en réacteur ne peut s’envisager qu’en association avec des éléments fissiles capables d’entretenir une réaction en chaîne. Son utilisation qui nécessite l’ajout d’un isotope fissile (uranium enrichi ou plutonium) était donc impossible au tout début de l’exploitation de l’énergie nucléaire et ne peut venir qu’en aval d’un cycle U-Pu déjà maîtrisé.
Le démarrage d’un réacteur fonctionnant avec un cycle thorium-uranium 233 requiert :
. soit une charge d’uranium 233 constituée par irradiation de thorium dans les réacteurs à eau,
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. soit un combustible à l’uranium enrichi (en uranium 235) ou au plutonium, auquel est substitué progressivement le combustible à l’uranium 233 extrait des combustibles thorium passés en réacteur à eau.
L’UTILISATION DU THORIUM REQUERRAIT DEUX FILIÈRES DISTINCTES
Le système nucléaire devrait alors compter non pas une filière industrielle complète de la mine au déchet, mais deux, très distinctes :
. Un parc de réacteurs à eau de la filière uranium -comprenant des éléments combustibles au thorium- associé à un procédé de retraitement pour extraire l’uranium 233 ou du plutonium ;
. Un second parc de réacteurs, amorcé avec les éléments fissiles produits dans les réacteurs à eau, associé à un second procédé de traitement des combustibles au thorium pour recycler l’uranium 233.
Le retraitement des combustibles usés au thorium, indispensable pour les deux options, nécessite le développement, au niveau industriel, d’un procédé spécifique (procédé thorex), distinct de celui utilisé pour l’uranium, qui n’a été expérimenté aux États-Unis qu’à l’échelle du laboratoire, et qu’au niveau préindustriel en Inde. »
Nous l’avons déjà vécu sur d’autres sujets qui concernent l’énergie et le transport maritime : la forte pression mise sur les acteurs peut faciliter, dans l’urgence apparente, l’émergence de solutions impliquant des risques industriels forts à majeurs… surtout si le storytelling comme souvent consiste à justifier et communiquer en se limitant à une partie du cycle seulement (ici comme ailleurs, l’utilisation sans impact de l’énergie électrique, dans la phase dite Tank to Wheel). D’autres programmes, finalement peu éloignés, ont pu émerger dans un passé récent avant d’être heureusement abandonnés pour des raisons d’impact potentiel (DCNS avec FlexBlue au tournant des années 2010, pour des microréacteurs nucléaires immergés en mer).
Rappelons-le : la sobriété et l’efficience énergétique restent les clés majeures pour sortir de la crise écosystémique qui bat désormais son plein (climat/biodiversité/énergie/santé) et nous avons tous, acteurs du maritime notamment, un devoir de vigilance extrême afin d’éviter qu’alors que le vieux monde se meurt et que le nouveau monde tarde à apparaître, dans ce clair-obscur surgissent les monstres, pour paraphraser A. Gramsci. Nous avons la responsabilité de considérer chaque énergie dans le contexte des impacts complets de son cycle, sans céder à l’innocuité toute relative de son usage final.