Le SaaS n'est pas l'eldorado sans stratégie d'innovation
J’ai récemment eu l’occasion de rencontrer une responsable innovation dans une organisation de soutien aux entrepreneurs pour parler de Business Model et d’innovation. Je précise que c’était une femme ayant occupée un très haut poste de chef de service innovation dans une structure publique ! Nous avons échangé pendant près de 2 h sur la problématique de Business Model et d’innovation. Deux thématiques visiblement pas maîtrisées de son côté. A la question pourquoi ne pas avoir choisi le business model du SaaS pour soutenir votre croissance et votre innovation, je lui a fait une réponse sous un prisme financier et stratégique.
Quant on propose un modèle d’abonnement récurrent à un service (type SaaS), la détermination du prix (abonnement) au regard de la proposition de valeur (service apporté à l’usager) est déterminante pour soutenir la croissance en éviter le churn. En gros, pour éviter que vos client (early adopters) , ne passe à la concurrence quelques temps plus tard. Le SaaS sert avant tout un modèle de développement financier, et pas l'innovation qui doit le supporter.
Je m'explique. Même à proposer un service à 19€/mois (barre haute symbolique pour un service Premium en SaaS) et en ayant atteint un nombre récurrent de 1500 clients/mois (déjà un exploit commercial) soit 342 000€ de ARR (revenus récurrent à l’année). Et à comparer ces revenus avec le coût d’acquisition client, les autres coûts d’exploitation fixes, variables et de développement... La rentabilité est très rarement acquise, y compris sur le moyen-long terme. Le business model du SaaS ne vaut ainsi pas seulement que pour un nombre très important d’abonnés/mois récurrents mais aussi d’abonnés fidèles dans le temps (Churn). C'est la variable la plus imprévisible. Acquérir des clients est une chose, les retenir face à la concurrence est beaucoup plus complexe.
Le seul moyen pour soutenir un modèle SaaS efficient, en dehors du volume d'abonnés recurrents et de le faire en innovant. Je parle bien ici de la vraie innovation, celle qui permet se de protéger contre la concurrence, mais aussi de fiabiliser son business model dans le temps. En clair, je crée une proposition de valeur qui a du sens pour le client, protégée, unique et donc difficilement imitable.
Explication par l'exemple en comparant deux entreprise opérant sur le même marché, avec un business model et des investissements quasi identique, l'une faisant de la croissance, l'autre pas. Spotify entreprise suédoise lancé en 2008 : 140 millions d’utilisateurs. Stratégie d’acquisition : Freemium. Stratégie de fidélisation: abonnement premium gratuit pendant deux mois, puis payant à 9.99€/mois Innovation en support de son modèle : plus de 84 brevets déposés.
En 2015, Spotify a atteint un taux de conversion de son modèle free à son modèle payant de 26.6% alors que pour la plupart des sociétés opérant en SaaS, un taux de conversion correct se situe entre 2 et 5% selon le Havard Business Review
Deezer (son concurrent entreprise français, lancée en 2007) et en résistance depuis 10 ans. Nombre d'abonnés: 7 millions. Stratégie d'acquisition: Offre Freemium. Stratégie d'acquisition-fidélisation: Offre premium à l’essai pendant 3 mois pour 0.99€, puis de 9.99€/mois. Est-ce à dire que Deezer est si peu confiant dans sa proposition de valeur, qu’il propose de la tester à moins d’1€ avant de passer à un abonnement réellement digne de ce nom ! Innovation en support de son modèle: pas de brevets connus à ce jour.
Certains analystes diront que Deezer a ciblé un marché trop focalisé sur la France (vrai) et que l'entreprise a payé l’erreur de son business model gratuit du départ (Faux). Spotify a le même type de business model. La vraie différence, c'est que l'entreprise suédoise a soutenu son business model par de l'innovation brevetée partout dans le monde et pas Deezer, et que l'usager, confirme cette valeur ajoutée, lorsqu'il décide de passer d'une offre Premium gratuite, à la version payante!
Récemment des startups françaises « d’innovation de rupture » ont levé des dizaines de millions d’euros, pour attaquer le marché américain (eldorado du SaaS), avec un business model d'abonnement payant à 19€/mois pour une offre de services facilement imitable car non protégée, et au renfort de quelques centaines d'utilisateurs. Le modèle du SaaS, ne peut fonctionner que s'il est récurrent et supporté par une innovation qui le protège de l'imitation, par la concurrence. Ce que n'hésite pas à faire les américains en brevetant à tout va. Donc s'exporter au US, sur un marché concurrentiel et protégé, sans se protéger soi même est une erreur stratégique.
La protection de l'innovation par le brevet est certes un chemin complexe, mais c'est le seul aujourd'hui qui permet de dégager de la valeur dans l'actif, y compris quand il s'agit de revoir son business model pour s'adapter à son marché.
CEO, ingénieure innovation, conseil en stratégie et création de valeur | Valorisation des entreprises et des actifs immatériels | Evaluatrice certifiée CVA, CPVA | VP Clubeee | IHEDN
6 ansJe rejoins votre analyse. Se battre sur un marché sans proposition de valeur avec barrière à l'entrée suffisamment forte, c'est se confronter rapidement à une concurrence virulente.
Country Manager France, Belux, Switzerland @ SCITON - eMBA - 🌍
6 ansMerci pour cet article Catherine Nohra-China; toujours autant de plaisir à te lire.