Le sang des fraises du Québec

Le sang des fraises du Québec

Êtes-vous déjà allés cueillir des fraises? Peut-être y êtes-vous allé pour le plaisir, ou peut-être avez-vous des plans derrière chez vous…

D’emblée, oui, des fraises, ça se cueille. Je le dis, car étonnamment bien des gens n’en ont aucune idée. Ils vont à l’épicerie, point. Pas de questionnement sur ses origines, sur ses nutriments, sur son historique. On s’en fout, pourvu qu’elles soient belles et que nous en ayons à l’année. Même si elles ne sont pas mangeables, on s’en fout, on en veut à l’année. Et maudit que nous sommes chauvins quand nous parlons de nos bonnes fraises juteuses et sucrées du Québec. On est fier, mais on se balance de l’histoire que cache la fraise.

J’ai débuté ce texte avec une question à laquelle je vais répondre : oui. J’ai fait la cueillette de fraises, des framboises, et de bleuets. Personnellement, la cueillette de bleuets et framboises était plus simple, car je pouvais rester debout comparativement aux fraises où nous sommes à quatre pattes, mains au sol, poignets endoloris, dos courbé, genoux raqués, cou brûlé par le soleil, et c’est comme ça tous les jours pendant des semaines. À Granby, au début de l’été, nous étions quelques étudiants, décrocheurs et immigrants à attendre l’autobus qui venait nous chercher aux Halls de Granby afin de nous amener aux champs… faire quelques dollars.

Je détestais.

Ce n’était que des emplois saisonniers et temporaires, et pour moi, c’était clair comme de l’eau de roche que cette situation n’était que temporaire. Mais ce n’était pas le cas de tous.

Lorsque vous vous présentez chez votre épicier préféré pour vous acheter une chopine de fraises, vous voulez qu’elles soient du Québec, qu’elles soient sucrées, et qu’elles soient disponibles au moment que vous voulez. Si vous vous posez des questions, elles se limitent à la comparaison des prix, et peut-être, je dis bien peut-être, à son historique à court terme, c’est-à-dire à son transport.

Une fraise cache beaucoup plus que ça, vous le savez.

Juan, un Guatémaltèque quitte son pays 3 mois par année pour venir au Québec. Il laisse sa femme et ses 4 enfants pour gagner de l’argent, pour apprendre une nouvelle langue, pour voir ce que l’avenir lui réserve. Ainsi, il laisse sa famille pour venir en terre étrangère afin d’aider la famille qui l’accueille depuis 5 ans. Lorsqu’il revient chez lui à la fin de la saison, sa famille est heureuse et Juan… tente d’oublier ces derniers mois.

Malade comme un chien pendant ses 2 semaines au Québec, il a néanmoins été contraint de travailler 14 heures par jour, et ceci, 6 jours semaines pendant 3 mois. Les déjeuners étaient rationnés, les pauses étaient inexistantes, l’accès à l’eau était difficile, et les pauses pipi, eh bien on en reparlera. Le droit de communiquer avec ses collègues était limité, même à la fin de la journée lorsqu’il entrait au Shack. Il voulait sortir, mais il ne recevait pas ses paies. Il voulait sortir, mais il n’avait pas de papiers. Il voulait faire quelque chose, mais on ne le laissait rien faire. Une autre journée se terminait, et on remettait la cassette pour 4 :00 am demain. 3 mois de malheur pour gagner de l’argent. À chaque année il se disait que son sort allait s’améliorer. 3 mois de malheur qui se répètent année après année. 3 mois de malheur pour effectuer du travail que les résidents ne daignent même pas faire.

3 mois de malheur pour notre bonheur.

J’imagine que vous êtes le genre de personne qui s’offusque que Nike exploite des enfants pour ses espadrilles. J’imagine vous vous vous offusquez contre Gap qui exploite des enfants pour fabriquer ses vêtements. J’imagine que vous étiez offusqué de voir le nombre de morts dans les usines Apple en Chine, pour la fabrication de votre iPhone.

Quand c’est à l’autre bout du monde, on s’offusque parce que ça parait bien, mais dans les faits on agit ainsi justement parce que c’est loin et qu’on sait que cela ne changera rien.

Quand c’est ici, eh bien on fait juste l’ignorer.

La prochaine fois que vous croquerez dans votre fraise justesse, pensez à ce qu’elle cache.

https://ici.radio-canada.ca/nouvelle/1717842/sante-travailleurs-agricoles-temporaires-coronavirus

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