L'effet 2020 vu par Maslow
Au dire de plusieurs chefs d’entreprise et de responsables RH que j’ai eu l’occasion de rencontrer cette année, la crise sanitaire et les épisodes de confinement-déconfinement ont totalement repositionné le niveau de motivation de plusieurs salariés. Certains d'entre eux, habituellement moteurs, positifs et fortement engagés, se sont révélés subitement anxieux, frileux et en veille d’implication. D’autres au contraire, d’ordinaire effacés, suiveurs ou discrets, ont mis à jour des talents d’initiatives, avec un optimisme et une adaptabilité insoupçonnés.
En y regardant de plus près, la fameuse pyramide de Maslow pourrait bien nous permettre d'expliquer cela.
Maslow pose le principe que tout être humain cherche avant toute chose à satisfaire ses besoins les plus primaires avant de se préoccuper de ses besoins plus aboutis. Pour faire simple, dans l’ordre de priorité décroissante des besoins, Maslow a identifié les cinq niveaux suivants :
- niveau 1: Besoins primaires et physiologiques (manger, boire, dormir, respirer...)
- niveau 2: Besoins de santé et de sécurité
- niveau 3: Besoins relationnels, de vie sociale et affective
- niveau 4: Besoins d’estime de soi
- niveau 5: Besoins d’épanouissement personnel
Dans nos sociétés occidentales dites "riches", les 3 premiers niveaux sont plutôt associés à des éléments de satisfaction, les 2 derniers étant plus associés à des éléments de motivation. C’est dans ces deux derniers niveaux qu’on trouve habituellement les « éléments moteurs » de l’entreprise, les salariés les mieux impliqués et les plus engagés.
Or que s’est-il passé lors de cette crise sanitaire ?
un PC comme nouveau collègue de travail
- certaines entreprises ont vu leur visibilité quasiment réduite à zéro : fermetures administratives pour une durée non définie, perte immédiate et massive de clients, recours brutal au chômage partiel et à l’isolement soudain de salariés. Parmi ces derniers, on a beau être très motivé, quand cela arrive aussi soudainement qu’en mars dernier, cela crée un choc ! Y compris pour ceux qui étaient perchés en haut de la pyramide de Maslow, qui peuvent d’un coup se sentir particulièrement inquiets pour la sécurité de leur emploi et donc pour leur équilibre de vie tout court. Et de ce fait, qui dégringolent subitement au niveau 2 de la pyramide !
- Le virus et les informations anxiogènes sur la saturation des hôpitaux, sur le décompte morbide du nombre de morts, commentés jour après jour sur les chaines d’information en continu, ont pu aussi noircir les idées de certains autres, angoissés pour eux-mêmes, ou pour leurs proches fragiles ou plus exposés aux dangers d’une contamination. Effet de focale sur une problématique de santé et de sécurité vis à vis de soi-même ou de ceux qu’on aime. Et là encore, ceux-là rejoignent la foule des anxieux au deuxième étage de la pyramide…
- Sans être nécessairement dans l’une ou l’autre des deux catégories précédentes, de nombreux autres salariés ont été placés en télétravail, et cela s’est produit la plupart du temps dans une grande précipitation, avec un confinement clouant ces personnes chez elles avec un simple PC comme unique nouveau collègue de travail. Quid de la vie sociale ? Manque de soutien, manque d’information, manque de préparation… et voilà encore d’autres salariés motivés qui descendent d’un coup à l’étage 3, absorbés dans le vide laissé par la séparation brutale avec les collègues, les clients, les fournisseurs, les responsables hiérarchiques (oui oui, même eux...).
Combien sont-ils qui sont soudainement passés des étages de motivation aux étages inférieurs liés à une non-satisfaction, une inquiétude ou une angoisse vis-à-vis de leur situation ? Apparemment nombreux… Mais d’autres ont quand même tiré leur épingle du jeu. D’un naturel sans doute moins inquiets vis-à-vis du virus, à tort ou à raison, d’un niveau de revenus probablement moins menacé ou dans un cadre de confinement peut-être moins stressant, ils ont réussi à nuancer, à relativiser, à positiver, à faire face avec plus de facilité et d’aplomb que leurs collègues, à prendre parfois les rênes pour aider l’entreprise à adapter les règles du travail à la situation. La crise a révélé leur talent, jusque-là masqué par « ceux d’en haut de la pyramide », aujourd’hui redescendus de leur piédestal.
Il est sans doute trop tôt pour comprendre tout ce que la crise aura changé dans les femmes et les hommes qui font nos entreprises. Ce qui semble toutefois se dessiner, c’est qu'une sorte de redistribution des cartes du leadership a vu le jour, et cela surprend tout le monde, des intéressés eux-mêmes jusqu’aux dirigeants visiblement étonnés de redécouvrir certains de leurs salariés sous un visage nouveau.