L’environnement et la protection de la santé feront-ils les frais de la simplification ?
L’environnement et la protection de la santé feront-ils les frais de la simplification ?
L’exemple des terres excavées
Par Ann-Philippe de la Giraudière
Avocat au Barreau de Paris, cabinet Fauvet, La Giraudière et Associés
Depuis plusieurs mois, le ministère de la transition écologique et solidaire (MTES) cherche à faire sortir les terres excavées de leur statut de déchet au nom du développement de l’économie circulaire. Après plusieurs tentatives infructueuses dans différents véhicules législatifs, c’est finalement un arrêté ministériel qui devrait voir le jour dans quelques semaines.
Posé ainsi, le problème peut paraître d’emblée hermétique ou réservé aux seuls initiés. Il n’en est rien. Ce changement de statut juridique nous concerne tous en réalité car il en va de la protection de l’environnement et des atteintes potentielles à la santé humaine qui en découlent.
Aménageurs, collectivités locales, Etat, associations, tous sont concernés par une réforme prête à passer en catimini par voie réglementaire et qui vise à transférer des pans entiers de la police de l’environnement – une compétence éminemment régalienne – à une gestion contractualisée entre opérateurs privés sans garanties sérieuses de contrôle ni de traçabilité. C’est ce que le Gouvernement appelle « instaurer de la circularité entre professionnels » …pour mieux se désengager ou transférer la compétence de contrôle vers les maires qui y sont peu ou pas préparés, notamment en milieu rural ou péri-urbain.
De quoi s’agit-il exactement ?
Les terres excavées proviennent de l’activité de déconstruction-construction-aménagement du BTP. Ces terres sont à l’heure actuelle juridiquement considérées comme des déchets. Elles en représentent 40% du volume total. Cette qualification impose des modalités de traçabilité et de responsabilité jugées contraignantes par certains opérateurs de BTP lorsqu’il est question de faire quitter ce statut de déchet pour le valoriser économiquement et lui rendre sa qualité de produit.
Dans le droit actuel, leur réemploi ou leur valorisation pour des opérations d’aménagement ou de construction est soumis obligatoirement à une procédure de sortie du régime juridique du statut de déchet (SSD), via un traitement par une installation classée, ICPE ou IOTA. C’est cette procédure de sortie qui permet de garantir l’innocuité environnementale et sanitaire des terres destinées à être réutilisées.
Selon l’administration, continuer à qualifier de déchet les terres excavées rend difficile leur valorisation surtout au moment où des volumes très importants de terres excavées vont faire l’objet de projets ambitieux d’aménagement comme par exemple celui du Grand Paris.
L’administration propose donc de faire perdre ab initio le statut de déchet aux terres excavées, et donc d’éviter la procédure de sortie avec passage en installation classée, lorsqu’il est prévu de réemployer les terres sorties de leur excavation en génie civil ou en aménagement.
En apparence, tous les clignotants sont au vert : primauté du contrat sur la loi, développement de l’économie circulaire, simplification, baisse des coûts.
Pourtant, avec un tel projet, tout repose désormais sur la vertu des professionnels – le maître d'ouvrage du site d'excavation et l’aménageur – ainsi que sur le contrôle aléatoire des autorités publiques (probablement municipales)… mais sans réelle traçabilité des terres.
Or, la traçabilité est essentielle pour déterminer les responsabilités le cas échéant en cas de pollution avérée.
Et sans peur du gendarme ou sans « contrôle technique » obligatoire, nous sommes confrontés à un risque systémique de fraude à grande échelle et des trafics de terres dans lesquels pourront se nicher les mafias comme en Calabre ou au Royaume-Uni, sans réelle capacité de riposte des pouvoirs publics nationaux ou locaux puisque toute traçabilité aura disparu.
Alors que les élections européennes ont montré l’importance que revêt l’enjeu écologique pour nos concitoyens, la légèreté des pouvoirs publics sur le sujet étonne…
On voit bien que le point d’équilibre est difficile à déterminer entre rapport qualité-prix du processus de valorisation et maintien de standards élevés de protection de l’environnement et de la santé humaine.
Il ne semble manifestement pas encore atteint.
Il appartient donc au législateur d’en débattre de manière contradictoire au Parlement. Le projet de loi sur l’économie circulaire bientôt présenté en conseil des ministres nous en donne justement l’occasion.